Banque Mondiale : et si le vrai trésor des destinations africaines était dans les données bancaires anonymisées des touristes

Des sites touristiques africains incontournables.

Le 23/06/2025 à 13h16

Alors que le tourisme représente 7,3% du PIB africain, le manque de données fiables entrave son potentiel. La Banque mondiale propose une solution. S’inspirer du modèle caribéen combinant paiements anonymisés et outils géospatiaux pour une optimisation inédite.

Aux portes de la saison estivale, alors que des millions de voyageurs s’apprêtent à séjourner dans leur destination de rêve, de nouvelles pratiques contribuent à transformer, dans le silence, la gestion touristique. À l’instar du projet Banque mondiale-Visa dans les Caraïbes, vos données de paiement anonymisées deviennent de l’or pour les destinations. Mais que gagnent réellement les opérateurs et États à exploiter ces informations ?

Avant tout, il faut souligner que le tourisme africain, vital pour les économies locales, pâtit d’un manque crucial de données granulaires et actualisées. Comme le souligne la Banque mondiale, «les systèmes de collecte sont souvent sous-développés et sous-financés». Pourtant, le secteur représente 7,3% du PIB continental en 2024 (selon le Conseil mondial du voyage et du tourisme - WTTC), générant des millions d’emplois, notamment pour les femmes. Sans outils performants, les décisions d’investissement – infrastructures, marketing, formation – reposent sur des statistiques tardives ou fragmentaires.

L’apport des données de paiement

L’initiative caribéenne démontre la puissance transformatrice des données transactionnelles anonymisées. Combinées aux analyses géospatiales, elles livrent une radiographie inédite des flux touristiques, révélant des dynamiques jusqu’alors invisibles.

La granularité comportementale est leur atout maître. Comme le souligne la Banque mondiale, ces données «reflètent des comportements réels», permettant de disséquer les dépenses par nationalité, segment (croisiéristes, aventuriers) et localisation. L’exemple jamaïcain est révélateur.

Les touristes allemands concentrent 72% de leurs dépenses sur l’hébergement et la restauration, tandis que les Américains allouent 40% de leur budget aux transports. Une précision qui nourrit l’optimisation économique en redirigeant les investissements vers les activités à haute valeur ajoutée.

À Sainte-Lucie, l’identification d’un «potentiel inexploité de dépenses hors zones hôtelières» a conduit à réorienter les stratégies vers l’artisanat local, créant ainsi des circuits de revenus inclusifs. Enfin, ces outils forgent une résilience face aux crises. Le suivi en temps quasi réel des transactions permet d’ajuster dynamiquement l’offre face aux chocs climatiques ou géopolitiques, réduisant l’impact des saisons creuses de 15% selon les modèles caribéens. La donnée anonymisée devient ainsi un système nerveux central pour les économies touristiques vulnérables.

L’Afrique à l’heure du «New Data Model»

Il faut souligner que si ces innovations se font aujourd’hui en Caraïbes, il y a de quoi s’attendre à ce que cela ne tarde pas à s’étendre à toute autre destination y compris africaine, si cela n’est pas déjà le cas pour quelques unes. Ainsi, le modèle caribéen sert de prototype transposable à l’Afrique, où les «Big Three» (Maroc, Égypte, Afrique du Sud) pourraient intégrer données de paiement, cartographie satellitaire, IA et analyse de sentiments en ligne en un écosystème décisionnel inédit. Un «nouveau modèle de données sur les voyages» décrit par la Banque mondiale et qui permet d’abord un ciblage marketing chirurgical.

Il est admis que les touristes chinois sont globalement les plus gros dépensiers en tourisme international et en luxe. Par exemple, ils dépensent en moyenne deux fois plus que les touristes américains lors de leurs voyages à l’étranger. Ils représentent environ 21% des dépenses touristiques mondiales, avec une part importante consacrée au shopping de luxe (25% de leurs dépenses de voyage).

Les données Visa récentes indiquent que les touristes chinois tendent à dépenser davantage dans les expériences (hébergement, restauration) que dans les biens de luxe lors de leurs voyages internationaux, même si le luxe reste une part importante de leurs dépenses globales. Pour le Maroc, une telle niche est exploitable via des campagnes hyper-personnalisées.

Ensuite, cette nouvelle approche autorise une mesure d’impact objective des politiques publiques. En croisant les flux de paiements avec les cartes d’occupation des sols, l’Egypte pourrait quantifier la réduction de l’empreinte carbone liée à ses écotaxes, ou tracer la création d’emplois féminins dans la restauration locale.

Enfin, cette nouvelle approche valorise les chaînes de valeur autrefois invisibles, à l’instar d’Antigua où les dépenses des croisiéristes en bijouterie (31% des transactions) ont révélé un gisement pour l’artisanat. Appliqué à l’Afrique du Sud, ce modèle pourrait cartographier les achats d’art zoulou hors des sentiers battus, redirigeant les investissements vers des coopératives rurales. Ainsi, ces outils font émerger une économie touristique de précision – où chaque dollar dépensé éclaire un chemin de développement.

Toutefois, cette manne suscite des interrogations légitimes. L’anonymisation ne doit pas être un leurre. Le RGPD des destinations africaines devra encadrer strictement l’agrégation des données, garantir leur usage exclusif pour le développement durable, et prévenir toute ré-identification. Par ailleurs, les limites opérationnelles persistent : l’exclusion des paiements en cash, encore majoritaires dans certains segments, et qui fausse l’analyse. A cela s’ajoute la standardisation des méthodes, qui est cruciale pour comparer les destinations, comme le montre le cas caribéen aux systèmes disparates.

En définitive, l’exploitation des données de paiement et géospatiales n’est pas une simple optimisation technique. C’est un levier de souveraineté économique pour l’Afrique. Elle permet de «concevoir des stratégies [...] pour améliorer l’affectation des ressources», souligne la Banque mondiale, maximisant ainsi la contribution du tourisme aux Objectifs de développement durable. Mais cette transformation exige un cadre éthique robuste et des investissements dans les capacités analytiques locales.

Par Modeste Kouamé
Le 23/06/2025 à 13h16