Alors que la CAN 2025 bat son plein au Maroc, une autre compétition, silencieuse et tout aussi révélatrice, se joue en coulisses: celle des budgets. Soulignons qu’un certain nombre de pays ne rendent pas publics leurs budgets. Ce qui a rendu l’exercice difficile. Nous nous sommes donc basé que sur les données disponibles. L’analyse des données financières disponibles pour vingt sélections participantes dévoile un paysage d’une profonde asymétrie, reflet des réalités économiques, des priorités politiques et des modèles de gouvernance sportive à l’œuvre sur le continent.
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Pourtant, les budgets dédiés– quand ils sont connus– révèlent des stratégies diamétralement opposées et des inégalités criantes. Zoom sur l’économie cachée du tournoi, à commencer par les budgets dédiés à la CAN 2025 des fédérations de football qui les ont officiellement communiqués.
Sénégal et Cameroun révèlent leurs chiffres
Le Sénégal et le Cameroun illustrent la stratégie de l’investissement étatique massif ciblé vers la quête du titre. Avec un budget de 5,986 milliards FCFA (9,125 millions d’euros) dédié à la CAN 2025, les Lions de la Teranga ont certes réduit leur enveloppe de 60% par rapport à l’édition de 2023, mais maintiennent une structure où les primes représentent l’essentiel de la motivation, absorbant 56% du total (3,331 milliards FCFA). L’objectif officiel, rappelé dans les documents, reste sans ambiguïté: ramener une deuxième couronne continentale après le sacre de 2021, avec une prime de victoire prévue à 1,16 milliard FCFA (environ 1,768 millions d’euros).
Le Cameroun suit une logique comparable, avec 5 milliards FCFA (7,622 millions d’euros) débloqués par l’État, dont entre 1,3 et 1,5 milliard directement consacrés aux primes des joueurs et du staff technique, une enveloppe destinée à «motiver l’équipe face à des adversaires redoutables» dans un groupe relevé où l’on compte les Eléphants de Côte d’Ivoire.
Dr Patrice Motsepe annonçant les primes CAF. 10 millions USD pour le vainqueur: la CAF relève la mise, offrant une bouée financière vitale pour les petites fédérations dépendantes de ces revenus.. Le360
À l’inverse de ces modèles de dépenses importantes, le Burkina Faso incarne une approche volontairement rationalisée et transparente. Le Comité National d’Organisation (COCAN) a présenté un budget équilibré de 3 milliards FCFA (4,573 millions d’euros), dont 67% est strictement réservé aux primes et honoraires liés à la performance sportive. Une rigueur qui s’accompagne d’une limitation drastique de la délégation (28 joueurs, 29 officiels, 75 supporters encadrés), une démarche que son président, Évariste Dabiré, justifie en martelant l’engagement à œuvrer «dans la transparence, la rigueur et la responsabilité».
Trois cas qui démontrent que des budgets élevés peuvent être motivés soit par la pression du résultat immédiat (Sénégal, Cameroun), soit par une vision de gouvernance stricte (Burkina Faso).
Les pays qui affichent leurs comptes
| Pays | Budget CAN 2025 | Allocation clé | Stratégie |
|---|---|---|---|
| Sénégal | 5,986 milliards FCFA (9,125 M€) | 56% aux primes (3,331 Mds FCFA) | Quête du titre |
| Cameroun | 5 milliards FCFA (7,622 M€) | 1,3-1,5 Md FCFA pour primes joueurs/staff | Motivation face à adversaires |
| Burkina Faso | 3 milliards FCFA (4,573 M€) | 67% aux primes liées à la performance | Rationalisation et transparence |
Sources: Presse & Fédérations de football.
Au-delà des grands budgets, d’autres stratégies, souvent révélatrices de contraintes structurelles profondes, émergent. Les Comores en sont l’archétype le plus frappant, avec une concentration extrême et risquée des ressources. Près de 60% du budget fédéral global de 5,4 millions de dollars (environ 4,595 millions d’euros) est canalisé vers l’équipe A masculine, dépendant intégralement d’une subvention étatique ad hoc instable, le nouveau «Fonds Cœlacanthes». Ce choix se fait au détriment criant du football de base, les clubs locaux et les autres sélections nationales ne recevant que des miettes, tandis que les recettes propres de la fédération s’effondrent de 59,46%.
La Côte d’Ivoire et le Bénin illustrent, à des échelles différentes, le modèle de la délégation et de la dépendance étatique. En Côte d’Ivoire, la Fédération (FIF) se décharge explicitement de la gestion financière de la CAN sur l’Office National des Sports (ONS). Le président de la Fédération ivoirienne de football (FIF), Yacine Idriss Diallo, précise dans la presse que «les dépenses relatives à la participation de la Côte d’Ivoire à la CAN 2025 relèvent de l’Office national des sports (ONS), seul habilité à communiquer sur les arbitrages financiers», isolant ainsi cette charge du budget fédéral global. Cela dit, le budget 2025 de la Fédération Ivoirienne de Football atteint un record de 24,7 milliards FCFA (48,478 millions d’euros), en hausse de 74,90% par rapport au budget de 2024.
Le Bénin, pour sa première qualification historique, dépend lui aussi d’injections gouvernementales dans le cadre d’une enveloppe globale de 4,6 milliards FCFA (7,012 millions d’euros) redistribuée à l’ensemble des fédérations sportives, football y compris, le ministère mettant en avant la transparence financière et la certification des comptes.
Le Nigéria affiche aussi une ambition budgétaire globale relativement importante, la Fédération (NFF) ayant adopté un budget annuel de 17,6 milliards de nairas (10,3 millions d’euros) couvrant toutes ses activités, ce qui inclut implicitement, mais sans ventilation publique, un soutien substantiel aux Super Eagles, priorité absolue.
Le Mozambique et le Zimbabwe adoptent des approches plus directes basée sur la motivation par les primes. Si le budget global de la FMF mozambicaine (399,015 millions de meticais mozambicains (MZN), environ 6,2 millions de dollars) ne détaille pas de ligne CAN, la fédération motive ses joueurs par la promesse de primes individuelles de 1,5 million de meticais (23.000 dollars) par joueur en cas de victoire finale.
«S’ils remportent la CAN 2025, ils recevront chacun 1,5 million de meticais», a déclaré Feizal Sidat, président de la Fédération Mozambicaine de Football (FMF), un pari audacieux pour une équipe outsider. Le Zimbabwe bénéficie quant à lui d’un soutien politique direct et chiffré: une allocation gouvernementale de 1 million de dollars spécifiquement pour la CAN, complétée par 400.000 de dollars provenant du «fonds de bureau» du président Emmerson Mnangagwa. Le ministre des Finances Mthuli Ncube a ainsi annoncé que «le gouvernement a aussi fait une provision de 1 million de dollars pour les préparatifs et la participation», un soutien politique direct et affirmé pour compenser un budget relativement limité.
Côte d’Ivoire, Nigéria, Mozambique: trois cas d’opacité
| Pays | Budget / Financement CAN 2025 | Structure & Allocation Clé |
|---|---|---|
| Côte d’Ivoire | Gestion par l’Office National des Sports (ONS) | Budget CAN exclu du budget FIF. - Budget FIF 2025: 24,7 milliards FCFA (48,5 M€). - Programme de préparation: Stage à Marbella (Espagne) + 2 matchs amicaux. |
| Nigeria | Intégré au budget global NFF (17,6 milliards NGN / 10,3 M€) | - Priorité absolue aux Super Eagles. - Couvre toutes activités fédérales |
| Mozambique | Non spécifié (Budget global FMF : environ 6,2 M$) | - Prime promise: 23 000 USD/joueur en cas de victoire de la CAN 2025. |
Sources: Presse & Fédérations de football.
Maroc, Algérie, Égypte, Tunisie: le silence des poids lourds
L’analyse de la gouvernance financière du football africain révèle un phénomène persistant: l’opacité demeure la norme pour plusieurs des nations les plus influentes du continent, malgré des situations économiques contrastées. Le Maroc, pays hôte, en est l’exemple le plus symbolique. Aucun budget spécifique à la sélection nationale détaillé pour la Fédération Royale Marocaine de Football (FRMF) n’a été rendu public. Les données financières les plus récentes disponibles concernent les saisons antérieures, approuvées lors de l’assemblée générale ordinaire (AGO) de mars 2025 pour 2023-2024.
Les seuls chiffres disponibles sont ceux des investissements colossaux réalisés par le Royaume. Si la structure de financement, dépendante à environ 86% de subventions publiques (Ministère de la Jeunesse et des Sports, Bank Al-Maghrib, CDG, OCP, ONMT et SNRT), de Droits TV et sponsors majeurs ainsi que de contributions FIFA/CAF, est connue, les chiffres afférents à l’exercice 2025 restent introuvables.
L’Algérie présente un paradoxe similaire. La Fédération Algérienne de Football (FAF) affiche une santé financière, avec un excédent de près de 4,5 milliards de dinars (environ 30 millions d’euros) en 2024 et un budget prévisionnel 2025 équilibré s’élevant à 6,1 milliards de dinars de dépenses (environ 40 millions d’euros). Pourtant, aucune ventilation détaillée, et notamment aucune allocation spécifique à la CAN 2025, n’est publiée, occultant ainsi l’usage concret d’une manne financée à 69,47% par le sponsoring et à 13,87% par des subventions étatiques.
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Le même flou entoure l’Égypte, où aucun budget officiel de la fédération (EFA) ou allocation dédiée à la CAN n’est public. Les seuls chiffres évoqués sont un budget 2024/2025 avec 555 millions de livres égyptiennes de dépenses (environ 10 millions d’euros). Le gouvernement complète via le ministère des Sports, promettant des primes individuelles substantielles, mais le cadre financier global reste dans l’ombre.
Enfin, la Tunisie pousse la logique du financement par projet à son paroxysme, communiquant non pas sur un budget annuel, mais sur des subventions FIFA reçues en 2025 (568 000 dollars pour les sélections nationales et 500 000 dollars pour l’hôtel de la Fédération tunisienne de football en mai 2025, 1,5 million de dollar pour le VAR et la diffusion des compétitions nationales en novembre 2025, ou encore 1 million de dollars en décembre 2025 pour un complexe des sélections et 500 000 dollars pour le centre de médecine sportive). Une communication sélective, bien que la fédération affirme «respecter pleinement les principes de bonne gouvernance et de transparence». Tendance qui tend à masquer la gestion globale et les fonds alloués à la participation à la CAN, créant un déficit d’information préjudiciable à toute évaluation complète.
Les Fédérations qui gardent le secret
| Pays | Situation financière | Opacité CAN 2025 | Source de revenus dominante |
|---|---|---|---|
| Maroc | Données 2023-2024 seulement disponibles | Aucun budget spécifique publié | Subventions publiques (environ 86%) |
| Algérie | Excédent 2024: 4,5 Mds DA (30 M€) | Aucune ventilation malgré budget 2025 connu | Sponsoring (69,47%) |
| Égypte | Budget EFA 2024/2025 : 555 M EGP (10 M€) | Aucune allocation CAN divulguée | Subventions ministère des Sports |
| Tunisie | Subventions FIFA cumulées: >3,5 M$ (2025) | Budget global absent ; communication par projet | Financements FIFA ciblés |
| RDC | Budget FECOFA: 6,3 M$ (global) | Aucun détail CAN | Subventions État/FIFA |
Sources: Presse & Fédérations de football.
Cela dit, pour de nombreuses fédérations aux moyens limités, la CAN 2025 représente moins un poste de dépense détaillé qu’un pari financier stratégique, où l’espoir des primes de la Confédération Africaine de Football devient un élément central de l’équation budgétaire. La Zambie illustre cette attente, avec un budget spécifique pour la CAN soumis au gouvernement et estimé à «plus de 40 millions de kwachas» (environ 1,5 million d’euros), comme l’a indiqué le secrétaire permanent des Sports, Kangwa Chileshe, précisant que «le gouvernement finalise encore le budget soumis par la FAZ».
Ce montant, à mettre en regard du budget global de la fédération de 267 millions de kwachas (10 millions d’euros), souligne le caractère ciblé de l’effort.
Le Gabon et la République Démocratique du Congo opèrent avec des budgets fédéraux globaux modestes (3,377 milliards FCFA pour la Fegafoot, soit 5,148 millions d’euros, et 6,315 millions de dollars américains pour la FECOFA) et sans ligne dédiée explicitement à la CAN. Pour elles, le barème des primes CAF constitue une manne potentielle vitale. Le Gabon, par exemple, sait qu’une simple troisième place dans son groupe rapporterait 700 000 dollars (environ 420 millions de FCFA), une somme significative au regard de son budget total.
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L’Ouganda et la Tanzanie présentent des cas de budgets fédéraux annuels en croissance (41,114 milliards de shillings ougandais, soit environ 9,63 milliards d’euros, et 56,31 milliards de shillings tanzaniens, environ 19,31 millions d’euros, respectivement), principalement orientés vers le développement des infrastructures et des compétitions nationales. Cependant, dans ces cadres budgétaires, aucun montant spécifique isolé pour la CAN 2025 n’est identifiable publiquement.
La participation au tournoi qui se tient au Maroc y est vraisemblablement intégrée aux postes généraux dédiés aux équipes nationales, sans transparence sur le coût réel de l’opération. Pour ces nations, la performance sportive à la CAN revêt ainsi une double importance: sportive, bien sûr, mais aussi financière, la prime de la CAF pouvant représenter un revenu non négligeable, voire un retour sur investissement pour les dépenses engagées. Une dynamique qui place les fédérations les plus modestes dans une situation de dépendance aux résultats immédiats, au détriment parfois d’une planification de développement à plus long terme.
Une prime record
La récente annonce du président de la CAF, Dr Patrice Motsepe, d’une prime record de 10 millions de dollars pour le vainqueur de la CAN 2025 constitue une rupture majeure dans l’économie politique du football continental. Cette augmentation de 43% par rapport à l’édition 2023 (7 millions) et de 100% sur quatre ans achève de professionnaliser financièrement la compétition reine. Cette revalorisation historique du barème, qui voit également le finaliste empocher 4 millions et chaque demi-finaliste 2,5 millions, crée un gradient de récompenses jusque dans les échelons inférieurs: même les équipes terminant 3ème et 4ème de leur groupe toucheront respectivement 700.000 et 500 000 dollars. Une manne potentielle qui n’est pas qu’un symbole; elle devient un argument stratégique central pour les fédérations
Elle sert de levier motivationnel explicite, comme l’a illustré la promesse spectaculaire de la Fédération mozambicaine à ses joueurs. Surtout, elle représente une bouffée d’oxygène financier vital pour les fédérations aux budgets modestes ou en déficit structurel. Pour une nation comme les le Soudan ou le Benin, le simple fait de franchir la phase de groupes injecte une somme pouvant représenter une part significative de leur budget annuel.
Cette prime de la CAF agit ainsi comme un mécanisme de redistribution partielle, mais elle accentue également la pression de la performance à court terme, pouvant inciter à sacrifier les investissements de long terme sur l’autel de la quête de cette précieuse manne.
Ainsi, la radiographie budgétaire de la CAN 2025 dévoile une géopolitique sportive africaine profondément clivée. Une fracture nette se dessine entre, d’un côté, des nations qui assument un investissement étatique massif et relativement transparent – à l’image du Sénégal, du Cameroun ou du Burkina Faso avec sa rigueur affichée – et, de l’autre, une majorité où règne l’opacité.
Une opacité qui est le fait aussi bien de poids lourds historiques comme le Maroc, l’Algérie ou l’Égypte, que de nations émergentes telles que les Comores ou le Bénin, où la dépendance à des financements publics instables ou ponctuels se substitue à une stratégie financière fédérale claire. Dans ce paysage, la promesse des primes individuelles (Mozambique) ou le soutien présidentiel direct (Zimbabwe) apparaissent comme des palliatifs à l’absence de modèles durables.
L’augmentation spectaculaire des primes de la CAF, si elle est une bouée de sauvetage bienvenue, risque paradoxalement de renforcer cette logique de court terme en faisant de la performance en phase finale l’alpha et l’oméga de la santé financière pour les plus modestes.
Le constat est implacable: alors que les enjeux financiers n’ont jamais été aussi élevés et les flux d’argent aussi importants, la gouvernance financière transparente et responsable reste le parent pauvre du football africain. Comme le résume amèrement un observateur du secteur, «l’argent coule dans le football africain, mais il disparaît souvent dans des canaux obscurs».
Les dépendants aux subventions et modèles alternatifs
| Pays | Soutien financier | Dépendance |
|---|---|---|
| Comores | 60% du budget à l’équipe A (3,2 M$/5,4 M$) | Subvention étatique (Fonds Cœlacanthes) |
| Bénin | Part de 4,6 Mds FCFA (enveloppe sport nationale) | Redistribution gouvernementale |
| Zimbabwe | 1 M$ (gouvernement) + 400 000$ (président) | Soutien politique direct |
| Zambie | >40 millions ZMW (1,5 M€) soumis au gouvernement | Attente des primes CAF |
| Gabon | 3,377 Mds FCFA (5,15 M€) global | Attente des primes CAF |
Sources: Presse & Fédérations de football.
À l’heure où la CAN se professionnalise économiquement, le vrai défi pour les fédérations n’est peut-être plus seulement de mobiliser des budgets, mais de démontrer leur capacité à les gérer avec intégrité. La transparence, plus que le seul montant des enveloppes, pourrait s’avérer le véritable gage de crédibilité et de succès durable sur la scène continentale.





