Alors que l’Afrique subit une escalade de phénomènes météorologiques extrêmes– des canicules record à Fès (45°C) aux inondations meurtrières en RDC (19 morts) et Afrique du Sud (78 morts)–, un projet pilote de l’Organisation météorologique mondiale (OMM) au Malawi cristallise un espoir stratégique: l’intelligence artificielle (IA) comme levier pour combler les déficits critiques d’alerte précoce.
Ce test du modèle «Forecast-in-a-Box», développé par la Norvège et le Centre européen pour les prévisions météorologiques à moyen terme (ECMWF), révèle autant de promesses que de défis systémiques pour le continent.
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A côté de ce projet pilote, le rapport «State of the Climate in Africa 2024» de l’OMM, publié en mai 2025, dresse un constat implacable: l’Afrique subit une amplification sans précédent des phénomènes extrêmes, avec des disparités régionales alarmantes. L’Afrique du Nord émerge comme l’épicentre du réchauffement continental, enregistrant une anomalie thermique de +1.28°C en 2024 par rapport à la moyenne 1991-2020– un rythme 90% plus rapide que le reste du continent. Autrement dit, l’Afrique du Nord est la sous-région qui se réchauffe le plus vite sur le continent africain.
Une surchauffe accélérée, combinée à l’intensification des sécheresses, qui exacerbe les crises hydriques, agricoles et migratoires. Parallèlement, la Corne de l’Afrique illustre une nouvelle tendance dangereuse: après des précipitations inférieures à la normale (mars-mai 2025), la région subit depuis mai des pluies anormalement abondantes au Kenya, en Somalie, dans le sud de l’Éthiopie, et jusqu’en Ouganda et au Rwanda. Une alternance brutale entre sécheresses paralysantes et déluges destructeurs qui désorganise les systèmes agro-pastoraux et accroît les risques d’inondations et de glissements de terrain.
Des données qui confirment que le continent, bien que contribuant faiblement aux émissions mondiales, paie le prix fort d’une crise climatique qui fracture ses équilibres socio-économiques.
Il en découle des impacts économiques brutaux: à Fès (Maroc), les activités touristiques prennent un coup sous une canicule sans précédent, du fait que les gens annulent leurs réservations; l’agriculture vacille face aux rendements imprévisibles.
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Alors que les coûts associés aux changements climatiques dans les pays africains peuvent atteindre jusqu’à 5% de leur PIB, un fardeau insoutenable pour les économies émergentes, les experts de l’OMM exhortent les services météorologiques à mettre à profit les dernières avancées en matière de modèles de prévision numérique du temps et d’intelligence artificielle pour prévoir des risques très localisés.
Le saut technologique ciblé du projet au Malawi
Piloté par MET-Norway et le Département du changement climatique et des services météorologiques du Malawi (DCCMS), cette initiative teste deux innovations: le modèle «Bris», un système de prévision par IA haute résolution fonctionnel sans supercalculateurs, et le «Forecast-in-a-Box», solution clé en main intégrant l’AIFS (Artificial Intelligence Integrated Forecasting System) développé par le Centre européen pour les prévisions météorologiques à moyen terme (ECMWF).
Des outils, radicalement distincts des modèles numériques traditionnels, qui se caractérisent par leur légèreté, leur rapidité et leur déploiement possible hors infrastructures HPC (High-Performance Computing), comme le souligne l’OMM. Lucy Mtilatila, directrice des services météorologiques et de changement climatique, représentante permanente du Malawi auprès de l’OMM, y voit une opportunité stratégique. «Nous croyons fermement que cette initiative renforcera notre infrastructure d’alerte, fournira des données exploitables et développera nos capacités à long terme», réagit-elle.
Disons que ce projet combine l’expertise norvégienne en IA et les données locales malawites, permettant aux météorologues d’acquérir une expérience pratique dans l’exécution de prévisions IA, évaluant leur faisabilité opérationnelle et leur potentiel pour les alertes précoces.
D’autres approches IA météo en Afrique
Ailleurs sur le continent, l’intelligence artificielle (IA) émerge comme un outil vital pour pallier les déficits criants en infrastructures d’observation et en systèmes d’alerte précoce. Si le projet pilote malawite «Forecast-in-a-Box» incarne une dynamique prometteuse, une diversification de modèles hybrides se déploie avec des spécificités adaptées aux réalités locales contrastées de l’Afrique.
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Au Kenya et en Éthiopie, une approche hybride combinant IA et modèles physiques intègre des données satellitaires et thermodynamiques pour anticiper les basculements extrêmes entre sécheresses aiguës et inondations soudaines. Une innovation qui répond directement à l’instabilité agro-pastorale dévastatrice documentée par l’OMM.
Parallèlement, des initiatives comme MetNet, déployées au Ghana et au Kenya via des partenariats avec Google, révolutionnent le nowcasting en générant des prévisions à très court terme (15 minutes) avec une résolution spatiale fine (5 km), sans recourir à des réseaux de radars coûteux. Une solution pragmatique est cruciale pour des économies où les pertes sectorielles immédiates, qu’elles soient touristiques ou agricoles, pèsent lourdement sur le PIB national.
Pour les petits États insulaires en développement (PEID) africains, confrontés à des menaces distinctes comme l’élévation marine et les cyclones, des systèmes comme CAPC démontrent que l’IA peut combler l’absence de stations météo terrestres densifiées, renforçant ainsi la résilience face à des risques côtiers croissants.
Enfin, des modèles transcontinentaux accessibles comme Aardvark Weather, fonctionnant sur des ordinateurs basiques, exploitent des données intrinsèquement fragmentées (satellites, stations rudimentaires) pour fournir des prévisions exploitables.
Intérêts stratégiques
Au-delà de l’aspect technique, ce projet incarne trois intérêts majeurs. Sur le plan économique, il vise à réduire les pertes de PIB (pouvant atteindre 5% selon l’OMM) liées aux catastrophes climatiques. Un système d’alerte précoce (SAP) efficace pourrait diminuer les dégâts agricoles en anticipant les chocs (sécheresses, inondations).
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En effet, les documents insistent sur la contribution significative des SAP à la réduction des pertes économiques, à la protection des moyens de subsistance et à l’amélioration de la résilience face aux aléas climatiques. Par exemple, la FAO rapporte des témoignages d’agriculteurs ayant pu protéger leurs cultures contre des événements climatiques grâce à ces systèmes, mais sans quantification précise de la réduction des pertes.
Socialement, il permet d’adapter l’information climatique aux réalités locales. A Fès ou d’autres villes marocaines et d’Afrique du Nord, où des canicules paralysent le tourisme, des alertes hyperlocales optimiseraient la gestion des activités et protégeraient les populations vulnérables.
Sur le plan politique, il offre une autonomie décisionnelle cruciale. En évitant la dépendance aux supercalculateurs étrangers, l’IA permet un traitement décentralisé et souverain des données. Une décentralisation qui est vitale pour des pays aux ressources limitées, transformant l’accès à l’innovation en levier de résilience systémique.
En définitive, «Forecast-in-a-Box» pourrait révolutionner la résilience africaine si– et seulement si– il s’ancre dans des écosystèmes locaux. Cela dit, sans renforcement parallèle des stations météo, sans transfert de compétences Sud-Sud, et sans intégration aux politiques agricoles, l’IA restera un outil fragmenté. Comme le souligne l’OMM, l’Afrique a besoin de «prévisions très localisées».
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L’alerte précoce IA n’est pas un luxe technique. C’est un pilier de survie économique. Le projet Malawi en est un test grandeur nature.
Canicules et inondations : l’IA, pilier de survie économique pour une Afrique en surchauffe
Éléments | Description |
---|---|
Contexte Climatique | - Amplification sans précédent des phénomènes extrêmes : canicules record (ex: 45°C à Fès), inondations meurtrières (RDC, Afrique du Sud). - Réchauffement accéléré en Afrique du Nord (+1.28°C en 2024 vs 1991-2020). - Alternance sécheresses/déluges en Corne de l’Afrique. - Coût économique : jusqu’à 5% du PIB des pays africains. |
Projet Pilote (Malawi) | - « Forecast-in-a-Box » : Solution clé en main intégrant l’AIFS (système IA de l’ECMWF). - Modèle « Bris » : Prévision IA haute résolution sans supercalculateurs. - Objectif : Combler les lacunes techniques et renforcer les alertes précoces. - Piloté par MET-Norway et DCCMS Malawi. |
Autres Initiatives IA | - Kenya/Éthiopie : Modèles hybrides (IA + physique) pour anticiper sécheresses/inondations. - Ghana/Kenya : MetNet (Google) pour le nowcasting (prévisions 15 min, résolution 5km). - PEID Africains : Système CAPC pour risques côtiers sans stations terrestres. - Transcontinental : Aardvark Weather (fonctionne sur ordinateurs basiques). |
Intérêts Stratégiques | - Économique : Réduction des pertes de PIB (agriculture, tourisme). - Social : Alertes hyperlocales adaptées (ex: protection des populations vulnérables). - Politique : Autonomie décisionnelle (décentralisation, indépendance des supercalculateurs étrangers). |
Défis & Conditions de succès | - Renforcement parallèle des stations météo terrestres. - Transfert de compétences Sud-Sud et formation locale. - Intégration aux politiques sectorielles (agriculture, urbanisme). - Ancrage dans les écosystèmes locaux pour éviter une fragmentation des outils. |