Cautionnement Visas USA : les pays africains ciblés par ce programme pilote inédit et ceux qui pourraient suivre

Visa américain

Le 07/08/2025 à 14h51

Trois aéroports agréés, un remboursement conditionnel et des montants indexés sur les coûts d’expulsion: le dispositif opérationnel de la nouvelle caution pour le visa américain révèle des contraintes logistiques majeures pour les voyageurs africains.

Dans une communication publiée le 5 août 2025, le Département d’État américain annonce un programme pilote de cautionnement pour visas B1/B2, destinés aux séjours temporaires à des fins d’affaires (B-1) et de tourisme ou visite (B-2). Le programme pilote entre en vigueur du 20 août 2025 au 5 août 2026, soit environ 1 an, via une Règle Finale Temporaire (TFR).

Entendez par Règle Finale Temporaire (Temporary Final Rule) un instrument juridique exceptionnel utilisé par les agences fédérales américaines pour mettre en place des réglementations immédiatement applicables, tout en contournant les procédures normales de consultation publique.

Dans le cas de figure, le programme cible exclusivement les ressortissants de pays répondant à l’un des trois critères suivants: un taux élevé de dépassement de visa selon le Rapport 2023 du Département de la Sécurité Intérieure (DHS), des déficiences dans la vérification d’identité ou des antécédents, ou la présence de programmes de «Citoyenneté par Investissement» (CBI) sans exigence de résidence préalable. Dans sa phase initiale, seuls deux pays africains – le Malawi et la Zambie – figurent sur la liste des États concernés. Les ressortissants de ces pays devront s’acquitter d’une caution de 5.000$, 10.000$ ou 15.000$, déterminée lors de l’entretien consulaire, en plus des frais de visa standards.

Le paiement s’effectue obligatoirement via la plateforme sécurisée Pay.gov après instruction formelle de l’agent consulaire, sous peine de perte définitive des fonds en cas de démarche autonome anticipée.

Pays africains susceptibles d’être ciblés par l’extension du programme

La fiche d’information annexée à la Proclamation 10949, intitulée «Restriction de l’entrée des ressortissants étrangers afin de protéger les États-Unis contre les terroristes étrangers et autres menaces à la sécurité nationale et à la sécurité publique», publiée le 4 juin 2025, identifie 19 pays à « risque sécuritaire élevé », dont 7 africains sous restrictions totales (Tchad, République du Congo, Guinée équatoriale, Érythrée, Somalie, Soudan, et Libye) frappés d’une suspension totale des visas, et trois autres (Burundi, Sierra Leone, Togo), objet de restrictions partielles de visas.

Les premiers, c’est-à-dire le Tchad, la République du Congo, la Guinée équatoriale, l’Érythrée, la Somalie, le Soudan, la Libye échapperaient à la caution car déjà soumis à des restrictions d’entrée totales.

Le mécanisme de caution cible délibérément les pays avec lesquels les États-Unis entendent maintenir des flux migratoires limités mais contrôlés. Ce qui signifie que le Burundi, la Sierra Leone, et le Togo, objet de restrictions partielles de visas, sont les plus menacés, pour ne pas dire, les plus susceptibles d’être ciblés par l’extension du programme de cautionnement. À l’échelle mondiale, ils figurent sur la même liste que Cuba, le Laos, le Turkmenistan, et le Venezuela.

Le Togo (19.03% de dépassement B1/B2), la Sierra Leone (15.43%), et le Burundi qui affiche un taux de séjour illégal de 15,35% pour les visas B1/B2, réunissent le critère déterminant pour la caution (niveau élevé de dépassement B1/B2), bien que ce dernier soit subjectif. À cela s’ajoute le fait que le Togo et la Sierra Leone sont explicitement critiqués pour leur défaillance documentaire («lack of cooperation in sharing identity information»).

Ainsi, la Proclamation 10949 pourrait servir de feuille de route pour l’extension de la caution. Dans ce cas, l’exclusion initiale du Togo, la Sierra Leone, et le Burundi relèverait d’une stratégie diplomatique échelonnée.

C’est dire que la Maison Blanche privilégie les pressions graduelles, évitant un blocage régional massif tout en instrumentalisant les données DHS comme levier. Egalement, le ciblage spécifique du Malawi et de la Zambie soulève des interrogations. Selon le Département d’État américain, ces pays sont désignés sur la base du rapport DHS 2023 évoquant des «dépassements suspects» parmi les détenteurs de visas B1/B2, alors qu’ils ne sont aucunement cités dans la fiche d’information annexée à la Proclamation 10949.

Le Malawi est toutefois mentionné dans la liste «jaune» des 16 pays africains auxquels il avait été donné un ultimatum de 60 jours, en mars 2025, pour améliorer leurs procédures de sécurité et de vérifications des voyageurs. Parmi ces pays figurent également l’Angola, le Bénin, le Burkina Faso, le Cameroun, le Cap-Vert, les Républiques du Congo et Démocratique du Congo, le Tchad, la Guinée équatoriale, la Gambie, le Liberia, le Mali, la Mauritanie, Sao Tomé-et-Principe et le Zimbabwe. Faut-il en conclure que certains de ces pays pourraient être visés par une future extension du programme de cautionnement?

Ce qui illustre une stratégie de pression unilatérale motivée par des considérations géopolitiques ou sécuritaires non publiques, dépassant les critères techniques officiels. Elle pourrait servir d’avertissement préventif à d’autres États africains pour forcer une coopération renforcée (partage de données, contrôles migratoires), sans base statistique évidente. Ce qui révèle une instrumentalisation politique des restrictions de visas comme outil de pression coercitive.

Encore une fois, il faudrait garder à l’esprit que ce ne sont que les détenteurs de visa BA/B2 qui sont concernées pour l’heure.

Montant de la caution

Comme indiqué plus haut, le montant de la caution est déterminé lors de l’entretien consulaire. Le Département d’État américain explique que les agents consulaires devront fixer le montant de la caution à 10.000 dollars, sauf s’ils ont des raisons de croire que la situation du demandeur de visa ne lui permettra pas de payer ce montant (mais qu’il dispose néanmoins de moyens suffisants pour payer tous ses frais de voyage pendant la durée de son séjour prévu aux États-Unis), auquel cas la caution sera fixée à 5.000 dollars. Par ailleurs, si la situation de l’étranger — notamment la nature et l’étendue de ses liens aux États-Unis — laisse présumer qu’une caution de 10.000 dollars ne suffirait pas à garantir son départ dans les délais prévus, le fonctionnaire pourra exiger une caution de 15.000 dollars comme condition à la délivrance du visa.

Pour prendre cette décision, les agents consulaires évalueront l’ensemble des circonstances, en tenant compte notamment des informations fournies par le demandeur dans son dossier ou lors de l’entretien, concernant l’objet de son voyage, son emploi, ses revenus, ses compétences et son niveau d’études.

Le Département d’État américain explique que les trois options pour le montant de la caution ont été fixées après consultation du Trésor et du DHS. Pour fixer ces montants, le département dit avoir «pris en considération les coûts liés à l’expulsion, y compris le coût total du cycle de vie de l’application des lois sur l’immigration (y compris les coûts de soutien à la mission) se terminant par l’expulsion, calculé par le DHS à environ 17.121 dollars par étranger».

Mécanismes opérationnels: contraintes et garanties

Les mécanismes opérationnels du programme imposent des contraintes strictes aux titulaires de visas sous caution. Premièrement, l’entrée et la sortie du territoire américain doivent impérativement transiter par l’un des trois aéroports désignés: Boston Logan (BOS), New York-JFK (JFK) ou Washington-Dulles (IAD). Tout écart entraîne un refus d’entrée ou une non-reconnaissance du départ, déclenchant potentiellement la confiscation de la caution.

Deuxièmement, le remboursement intégral de la caution est soumis à des conditions précises: le voyageur doit quitter les États-Unis avant l’expiration de son séjour autorisé, renoncer à son voyage avant la péremption du visa, ou voir son entrée refusée par les services frontaliers (CBP). Comme le précise le Département d’État, «le cautionnement sera annulé si le titulaire quitte les États-Unis à ou avant la date autorisée».

Troisièmement, la caution est immédiatement confisquée en cas de dépassement de la durée légale de séjour, de demande d’asile ou de changement de statut migratoire, ou de départ non enregistré via les aéroports agréés. Le Département de la Sécurité Intérieure (DHS) détient l’autorité finale pour statuer sur les manquements, sans possibilité de recours administratif préalable.

Implications pour les pays africains: une approche ciblée

«Les pays couverts seront annoncés via Travel.State.Gov avec une brève explication», précise le département d’État américain, sans détailler les taux précis de dépassement ou les lacunes spécifiques de vérification d’identité. Cette sélection génère un fardeau économique disproportionné, immobilisant des capitaux vitaux pour les voyageurs légitimes (entrepreneurs, académiques) même si remboursable. Le TFR admet d’ailleurs que le mécanisme pourrait «décourager des demandeurs de visa B1/B2 légitimes», réduisant les échanges socio-économiques.

De manière stratégique, le programme agit comme un levier diplomatique explicite, présenté dans le texte comme un «outil diplomatique» pour contraindre les gouvernements à contrôler les départs de leurs ressortissants, renforcer la fiabilité des documents d’identité, et réformer les programmes de citoyenneté par investissement sans résidence. Cette pression s’accompagne de limites procédurales contraignantes: les voyageurs ne peuvent pas solliciter eux-mêmes une dispense de caution – seuls les consulats peuvent proposer des dérogations exceptionnelles pour « besoins humanitaires urgents » ou employés gouvernementaux – et toute erreur du système d’enregistrement des départs (ADIS) oblige le voyageur africain à prouver sa sortie du territoire américain via des documents annexes (cartes d’embarquement, relevés bancaires locaux), démarche particulièrement ardue pour les ressortissants de pays à faible connectivité aérienne.

Sécurité vs. Équité

Au vu de ce qui précède, il est évident que ce programme de cautionnement cristallise un conflit fondamental entre impératifs sécuritaires et équité géopolitique. En décourageant les voyages d’étudiants, chercheurs ou professionnels vers des conférences ou formations courtes, ils entravent les transferts de savoirs essentiels à l’innovation dans des économies en transition. Une dynamique qui érode parallèlement la soft power américaine sur le continent, perçue comme une défiance envers des partenaires stratégiques comme la Zambie (pays clé de l’Initiative Lobito Corridor) ou le Malawi (acteur stabilisateur en SADC), risquant de réorienter durablement les coopérations régionales.

Si le programme de cautionnement vise officiellement à «protéger les intérêts de la sécurité nationale», son ciblage initial du Malawi et de la Zambie interroge sur l’équilibre entre sécurité et équité. L’absence de transparence sur les critères de sélection, combinée à des coûts prohibitifs, en fait un instrument de pression diplomatique plus qu’une solution opérationnelle.

La balle est désormais dans le camp des gouvernements concernés: réformer leurs systèmes de contrôle ou subir un isolement relatif.

Cautionnement des visas USA : le Malawi et la Zambie en première ligne, d’autres pays africains sous menace

AspectDétails clés
Programme pilote- Dates : 20 août 2025 au 5 août 2026 (via Règle Finale Temporaire - TFR).
- Cible : Ressortissants de pays à « taux élevé de dépassement de visa », défaillances documentaires, ou programmes de « Citoyenneté par Investissement » sans résidence.
Pays africains ciblés (Phase initiale)Malawi et Zambie.
Montant de la caution- Options : 5 000 $, 10 000 $, ou 15 000 $ (fixé lors de l’entretien consulaire).
- Critères : Liens avec les États-Unis, revenus, coût moyen d’expulsion (17 121 $).
Mécanismes opérationnels- Points d’entrée/sortie exclusifs : Aéroports de Boston (BOS), New York (JFK), Washington-Dulles (IAD).
- Remboursement : Conditionné au respect de la durée légale de séjour et à la sortie via aéroports agréés.
- Confiscation : En cas de dépassement, demande d’asile, ou sortie non enregistrée.
Pays à risque d’extension- Prioritaires : Burundi (15,35% de dépassement), Sierra Leone (15,43%), Togo (19,03%).
- Autres candidats : Pays des listes « jaune », « orange », « rouge » (ex: Angola, Cameroun, RDC) cités dans l’ultimatum de mars 2025.
Implications stratégiques- Lourd fardeau économique pour voyageurs légitimes (blocage de capitaux).
- Levier diplomatique pour forcer la coopération (partage de données, contrôles migratoires).
- Risques : Érosion de la soft power américaine, frein aux échanges académiques/professionnels.
Critiques majeures- Manque de transparence sur les critères de sélection.
- Instrumentalisation politique des visas comme outil de pression coercitive.
- Contraintes logistiques pénalisant les pays à faible connectivité aérienne.
Par Modeste Kouamé
Le 07/08/2025 à 14h51