Les pressions inflationnistes s’atténuent, mais les tensions géopolitiques assombrissent les perspectives. C’est ce que l’on retient de la dernière édition du Commodity Markets Outlook du Groupe de la Banque mondiale, qui braque les projecteurs sur les perspectives des marchés des matières premières.
Selon le rapport d’octobre 2025, les cours mondiaux des produits de base devraient poursuivre leur descente pour la quatrième année consécutive, pour tomber en 2026 à leur plus bas niveau depuis six ans. Les prix devraient fléchir de 7% en 2025 et en 2026, sous l’effet d’une croissance économique mondiale atone, d’un excédent pétrolier croissant et d’une incertitude politique persistante.
Pour les économies africaines, fortement tributaires des exportations de ressources, cette projection révèle des vulnérabilités structurelles mais aussi des opportunités de réforme. Zoom sur les effets pour un dizaine d’économies africaines dont le Maroc, la Côte d’Ivoire, le Ghana, le Kenya, l’Ouganda, l’Égypte et l’Afrique du Sud.
En 2026, le Maroc devrait capitaliser sur l’envolée des engrais (+21%).. DR.
Les tendances clés
Dans son rapport périodique, la Banque Mondiale dessine un paysage contrasté pour les matières premières africaines. Dans l’énergie, le pétrole Brent devrait s’effondrer à 60 dollars/baril en 2026 (contre 81 dollars le baril en 2024, ou encore environ 68 dollars le baril en 2025), plombé par un excédent d’offre mondiale (+65 % par rapport à 2020) et une demande atone, notamment en Chine où la transition vers les véhicules électriques freine la consommation. Une chute qui devrait impacter lourdement les économies pétrolières comme le Nigeria, l’Angola ou l’Algérie, dépendantes des recettes d’exportation.
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À l’inverse, l’agriculture présente des dynamiques divergentes: le cacao (–6 % en 2026) et le café (–7%), piliers des exportations ivoiriennes et ghanéennes, subiront une baisse menaçant les revenus de 20 millions de petits planteurs, malgré un rebond de production au Ghana (+34 %).
Selon la BM, le riz et le blé (–6,1% en 2025) amélioreront l’accessibilité alimentaire dans les pays importateurs nets, mais pénaliseront l’Égypte, exportatrice de blé. Seuls les métaux précieux résistent: l’or (+42% en 2025) et l’argent (+34%), portés par leur statut de valeur refuge, profiteront à l’Afrique du Sud, premier producteur aurifère du continent. Egalement les pays d’Afrique de l’Ouest, qui de plus en plus optent pour la réappropriation de leurs minerais (Burkina Faso, Mali, Niger, Ghana).
Enfin, les engrais (dont les prix devraient connaître un bond de 21 % en 2025), dopés par les restrictions commerciales et les coûts des intrants, pénalisent les agriculteurs africains, mais avantagent temporairement le Maroc, dont les exportations de phosphates bruts bondissent de +49 % par rapport à la même fin septembre 2024 (pour un chiffre d’affaire s’élevant à 7,675 milliards de dirhams à fin septembre 2025), tirant profit des tensions sur les marchés mondiaux.
Vulnérabilités et résiliences pays par pays
La Côte d’Ivoire et le Ghana devraient faire face à un double défi. Si la production de cacao rebondit (+5% en Côte d’Ivoire, +34% au Ghana en 2025-26), la chute des prix (–6% en 2026) devrait éroder de manière drastique leurs recettes, comme le souligne le rapport. «Le rebond de production pourrait atténuer le choc, mais des prix bas menacent les petits planteurs». Face à ce qui précède, une diversification vers la noix de cajou s’impose.
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Au Kenya et en Ouganda, le café Arabica (–13% en 2026) expose les économies, mais le thé – dont les prix grimpent à Mombasa– offre une bouée de sauvetage. Selon la BM, le risque réside dans les tensions tarifaires américaines sur le café brésilien, susceptibles de détourner les flux commerciaux.
Pour sa part, le Maroc devrait capitaliser sur l’envolée des engrais (+21%). Ses exportations de phosphates et d’acide phosphorique atteignent 74,6 milliards de dirhams fin septembre 2025. Toutefois, la Banque Mondiale alerte. «Le renchérissement des engrais érode les marges bénéficiaires des agriculteurs», risquant de réduire la demande future.
L’Égypte, bénéficiaire nette de la baisse du blé (–7%), devrait alléger sa facture alimentaire, mais devrait voir ses exportations de GNL menacées par la chute des prix du gaz en Europe (–11% en 2026).
Enfin, l’Afrique du Sud devrait compenser le déclin du charbon (–21% en 2025) par la vigueur de l’or (+5% en 2026), tout en accélérant sa transition énergétique face à l’essor des renouvelables et des véhicules électriques.
Quid des effets sur la sécurité alimentaire et les dettes souveraines ?
La baisse des prix du riz (–10% sur un an) et du blé (–7% en 2025) améliore l’accessibilité alimentaire dans les pays africains importateurs nets, mais cet avantage est partiellement annulé par la flambée des engrais (+21% en 2025) qui compromet les rendements agricoles. Comme le souligne le rapport, «le renchérissement des engrais est susceptible d’éroder davantage les marges bénéficiaires des agriculteurs», risquant de réduire la production locale malgré des denrées importées moins chères.
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Si le nombre de personnes confrontées à la faim devrait reculer à 634 millions en 2025 selon les projections, l’Afrique subsaharienne reste vulnérable avec une inflation alimentaire persistante (2,9% au 3ème trimestre 2025) et des stocks céréaliers tendus, notamment pour le maïs où l’offre mondiale dépense à peine la demande.
Parallèlement, la chute des recettes d’exportation – pétrole, cacao ou café – exacerbe les pressions sur la dette souveraine: l’Égypte (dette à 92% du PIB) et le Ghana (en restructuration) pourraient subir un double choc sur leur balance des paiements et leur capacité à importer des biens essentiels, fragilisant les programmes sociaux dans un contexte où les marges budgétaires se contractent.
Les recommandations de la Banque Mondiale
La Banque Mondiale insiste sur l’urgence de transformer cette crise qui arrive en levier de réforme structurelle. «La baisse des prix du pétrole offre aux économies en développement la possibilité de faire avancer des réformes budgétaires», explique Ayhan Kose, économiste en chef adjoint de la Banque mondiale et directeur de la cellule Perspectives, évoquant la suppression progressive des subventions aux carburants (comme au Nigeria ou en Angola) pour libérer 3 à 3,5% du PIB destinés aux infrastructures et au capital humain.
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Le rapport rejette explicitement les solutions de court terme (quotas, restrictions commerciales), privilégiant une «production plus diversifiée et plus efficace» via l’innovation technologique et la transparence des données. Pour la transition énergétique, l’essor des véhicules électriques – qui réduit la demande pétrolière – ouvre simultanément des débouchés pour les métaux de base (cuivre, aluminium), essentiels aux data centers d’IA. L’Afrique du Sud (métaux du groupe platine) et la RDC (cobalt) pourraient en tirer parti, à condition d’investir dans la transformation locale plutôt que dans l’extraction brute, et de « promouvoir une fixation des prix par le marché » pour renforcer la résilience face aux chocs.
Géopolitique et climat: les risques imminents
Selon la Banque Mondiale, l’équilibre précaire des marchés pourrait basculer sous l’effet de deux facteurs explosifs. Sur le front géopolitique, de nouvelles sanctions (comme celles imposées fin octobre 2025 sur le pétrole russe, ayant fait bondir les cours de 5%) ou une escalade des conflits (Moyen-Orient, Ukraine) pourraient provoquer des pics de prix. Le pétrole et l’or– valeur refuge– offriraient alors un répit aux exportateurs africains, mais aggraveraient l’inflation importée pour les pays dépendants comme le Kenya ou l’Égypte.
Sur le plan climatique, un épisode La Niña «plus intense que prévu» devrait menacer les récoltes en Afrique australe (maïs, blé), tandis que des vagues de chaleur amplifieraient la demande d’électricité – dopant le charbon en Afrique du Sud et le gaz en Égypte pour le refroidissement. Des phénomènes qui devrait accentuer la volatilité des marchés agricoles et énergétiques, comme le note la Banque Mondiale, «des conditions météo extrêmes pourraient perturber la production agricole et accroître la demande d’électricité accentuant la pression sur les prix». Dans ce contexte, la résilience des économies africaines dépendra de leur capacité à anticiper ces chocs par des politiques agricoles adaptatives et énergétiques diversifiées.
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Ainsi, la chute des matières premières annoncée en 2026 est un avertissement: les économies africaines gagneraient à accélérer leur diversification et réformer les subventions coûteuses. Comme le rappelle les économistes de la Banque Mondiale, «ce répit ne durera pas. Les gouvernements doivent tirer parti de la situation pour remettre de l’ordre dans les finances publiques et accélérer les échanges». Pour les acteurs économiques, la priorité est de renforcer la résilience via l’innovation agricole, une fiscalité adaptée et une intégration régionale accrue. Le temps des réformes structurantes est venu pour ceux qui hésitent encore.
Matrices premières: vulnérabilités africaines face à la chute des cours
| Pays | Secteurs clés impactés | Tendance des prix (2025-2026) | Effet principal | Recommandations prioritaires |
|---|---|---|---|---|
| Maroc | Phosphates/Engrais | Engrais: +21%; Phosphates: +49% | Boom des exportations mais baisse de la demande future possible | Transition vers les métaux (Cu, Al) |
| Côte d’Ivoire | Cacao | -6% en 2026 | Érosion des recettes; menace sur 20M de petits planteurs | Diversification vers la noix de cajou |
| Ghana | Cacao | -6% en 2026 (prod. +34%) | Revenus menacés malgré rebond de production | Transformation locale des fèves |
| Kenya | Café Arabica et Thé | Café: -13%; Thé | Vulnérabilité café; résilience par le thé de niche | Valorisation des circuits courts |
| Ouganda | Café et Thé | Café: -13% | Dépendance à l’export café; instabilité des revenus | Investissement irrigation et qualité |
| Égypte | Blé et GNL | Blé: -7% ; Gaz (UE): -11% | Baisse facture alimentaire ; recul recettes GNL | Sécurisation stocks stratégiques |
| Afrique du Sud | Or et Charbon | Or: +5%; Charbon: -21% | Compensation partielle; urgence transition énergétique | Accélération énergies vertes et véhicules électriques |
| Nigeria | Pétrole | Brent: -10% en 2026 (60$/baril) | Érosion recettes (25% budget); crise de liquidités | Suppression subventions carburants (3,5% PIB libéré) |
| Angola | Pétrole | Brent: -10% en 2026 | Choc budgétaire (70% recettes export); pression sur la dette | Diversification pétrochimique et solaire |
| Algérie | Pétrole et Gaz | Brent: -10% ; Gaz UE: -11% | Réduction réserves de change; contraction des investissements publics | Réforme des entreprises publiques énergétiques |
Source: Banque mondiale.




