CNUCED: voici les 5 pays africains les plus résilients aux chocs exogènes

Le Botswana, le Cabo Verde, Maurice, le Maroc et l'Afrique du Sud ont montré une résilience dans six domaines critiques de vulnérabilité.

Le 25/02/2025 à 16h44

Face aux crises climatiques, énergétiques et géopolitiques, cinq pays africains se distinguent par leur capacité à absorber les chocs. Analyse des stratégies qui font d’eux des modèles de résilience.

Dans un contexte mondial marqué par des crises imbriquées (climatique, énergétique, géopolitique), la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED) identifie cinq pays africains comme des modèles de résilience. Entendez par «modèles de résilience», des pays capables de résister, s’adapter et se remettre efficacement des perturbations externes grâce à des stratégies structurelles.

En la matière, la CNUCED met en avant le Botswana, Cabo Verde, Maurice, Maroc et Afrique du Sud, dans son récent rapport sur le développement économique en Afrique 2024. Ces cinq pays sont également ceux d’Afrique qui affichent la note la plus basse en matière de risques opérationnels à la mi-2023 en raison de leurs «politiques fiscales et commerciales relativement favorables aux entreprises, ainsi que leur stabilité politique et efficacité gouvernementale relatives». Ces pays ont montré une résilience dans bon nombre des six domaines de vulnérabilité identifiés (vulnérabilités climatique, de connectivité, économique, énergétique, de gouvernance et sociale).

La CNUCED indique que le niveau de vulnérabilité de ces cinq pays dans au moins cinq des six domaines cités ci-dessus est faible, comparé à la moyenne générale en Afrique. Leurs niveaux globalement et relativement faibles de vulnérabilité aux chocs peuvent aider à expliquer leur capacité à atténuer les chocs multiples et à se remettre des effets néfastes de la poly-crise. Des caractéristiques que les entreprises et les investisseurs recherchent sur un marché lorsqu’ils prennent une décision d’entrée ou d’investissement.

Ces cinq pays font également le contrepied aux discours dominant. Comme le souligne la CNUCED, «le discours dominant exagère les risques de commerce et d’investissement en Afrique, alors que la région continue d’afficher de faibles scores dans des domaines critiques, notamment l’accès au financement, les infrastructures, les formalités administratives et la gouvernance».

Avec des scores de vulnérabilité systématiquement inférieurs aux moyennes africaines, ces économies illustrent comment des réformes structurelles, une intégration régionale stratégique et une gouvernance robuste peuvent atténuer les chocs externes, notamment des événements imprévisibles et perturbateurs, hors du contrôle direct des pays, qui impactent leurs économies.

Ces chocs incluent les crises climatiques, entre autres la sécheresse, les crises énergétiques (exemple : la flambée des prix des hydrocarbures), les turbulences géopolitiques à l’instar de la guerre en Ukraine qui perturbe les marchés mondiaux, ou encore les fluctuations des cours des matières premières ou du tourisme.

En effet, «la résilience fait la différence entre le choc et l’impact», souligne Rebeca Grynspan, Secrétaire générale de la CNUCED. La résilience de ces pays ne supprime donc pas les chocs, mais en limite les conséquences grâce à une préparation systémique. Plongeon dans les mécanismes de leur succès.

Maurice: résilience, stabilité et innovation

Avec des scores de vulnérabilité bien inférieurs aux moyennes africaines – économique (23,5 contre 69,5), gouvernance (2 contre 51,3) et énergétique (0,31 contre 48,5) –, Maurice incarne une résilience ancré dans la stabilité et l’innovation. Le pays combine une stabilité politique remarquable, portée par des institutions efficaces et des cadres réglementaires solides, à une diversification économique progressive, réduisant sa dépendance aux secteurs traditionnels comme le tourisme. Son leadership en transition énergétique, avec 6,3 % d’énergies renouvelables dans son mix en 2023, explique son score énergétique exceptionnel, l’un des plus bas du continent.

Une performance renforcée par une connectivité logistique supérieure (34,9/100), facilitant son intégration dans les chaînes de valeur régionales et attirant les investisseurs malgré les turbulences mondiales. Le rapport souligne d’ailleurs que «les cadres réglementaires solides et l’efficacité gouvernementale» constituent des atouts majeurs. Toutefois, l’archipel peine à lever un obstacle persistant: l’accès au financement pour les PME, cité par 32 % des entreprises comme un frein à leur croissance. Ce défi rappelle que même les économies les plus résilientes doivent conjuguer réformes structurelles et inclusion économique pour pérenniser leur succès.

Botswana: diversification stratégique et défis énergétiques

Avec une vulnérabilité économique nettement inférieure à la moyenne africaine (43,4 contre 74) et une gouvernance stable (12,4 contre 64), le Botswana illustre comment une gestion prudente des ressources naturelles peut bâtir la résilience. Historiquement dépendant des diamants (30 % de son PIB), le pays a su atténuer ce risque grâce au Fonds souverain Pula, outil de stabilisation budgétaire, et à des politiques favorisant l’entrepreneuriat dans les secteurs agricole et technologique.

Cependant, son score de vulnérabilité énergétique (31,21/100) révèle une faiblesse structurelle. Le rapport souligne que 64 % des entreprises ont subi des coupures d’électricité en 2023, alourdissant leurs coûts et limitant leur compétitivité. Pour renforcer sa connectivité, aujourd’hui déficiente (48,8/100), le Botswana mise sur la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf), espérant harmoniser les régulations et stimuler les échanges intrarégionaux.

Comme le souligne Rebeca Grynspan, Secrétaire générale de la CNUCED, «la diversification économique reste un amortisseur indispensable contre les chocs» – un mantra que le pays applique, mais qui nécessite encore des investissements massifs dans les infrastructures énergétiques et logistiques pour consolider son modèle.

Cabo Verde: la résilience sociale comme levier économique

Malgré un contexte géographique contraignant, Cabo Verde affiche une résilience sociale exemplaire (16,53/100), soutenue par des politiques d’inclusion et un tourisme durable représentant 25 % de son PIB. Ce secteur, axé sur l’écotourisme et les énergies renouvelables, a permis de stabiliser l’économie tout en créant des emplois locaux. La gouvernance rigoureuse (9,8/100) renforce cette dynamique, avec des institutions transparentes et un cadre réglementaire attractif pour les investisseurs. Toutefois, l’insularité du pays pèse sur sa connectivité. Ce qui lui vaut un score de vulnérabilité en la matière de 59,9/100, limitant l’accès aux marchés régionaux et augmentant les coûts logistiques.

Pour y remédier, Cabo Verde mise sur des partenariats publics-privés ambitieux, modernisant ses ports et déployant des infrastructures numériques afin de compenser son enclavement. Comme le souligne le rapport, «les économies insulaires montrent que la résilience passe par l’adaptation aux spécificités géographiques» – une réalité que le pays transforme en opportunité, malgré le besoin persistant de financements pour pérenniser ces avancées dans un environnement mondial volatile.

Maroc: une transition énergétique pionnière face aux fragilités économiques

Avec un score de vulnérabilité énergétique quasi nul (0,62 contre une moyenne africaine de 48,5) et un mix électrique composé à 40% d’énergies renouvelables en 2023, le Maroc s’impose comme un modèle africain de transition verte. Ses investissements massifs dans les parcs solaires (comme Noor Ouarzazate) et éoliens, couplés à une intégration commerciale dynamique avec l’Europe et l’Afrique de l’Ouest, renforcent sa résilience. Cependant, le pays reste exposé à des vulnérabilités économiques (63,4), liées à sa dépendance aux importations céréalières– exacerbée par les sécheresses récurrentes– et aux transferts de la diaspora, sensibles aux conjonctures globales.

Pour diversifier ses sources de croissance, le Maroc mise sur la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf), dont le Protocole sur l’investissement pourrait amplifier les flux intra-africains, déjà tangibles. «L’Afrique doit exploiter ses marchés régionaux pour compenser les chocs globaux», rappelle Rebeca Grynspan, soulignant l’urgence de réduire les fractures logistiques et réglementaires qui entravent encore le potentiel du continent. Si le royaume allie vision énergétique et ancrage régional, son défi réside dans la sécurisation de ses chaînes d’approvisionnement et l’inclusion des PME dans cette transition structurante.

Afrique du Sud: une résilience économique contrastée malgré les vulnérabilités systémiques

Avec la plus faible vulnérabilité économique de ce Top 5 (16,5/100), l’Afrique du Sud tire sa résilience d’un secteur financier sophistiqué et d’une industrie manufacturière diversifiée, représentant 15 % de son PIB. Ses infrastructures de connectivité (score de 19,3/100), notamment portuaires (port de Durban) et routières, en font un hub logistique stratégique en Afrique australe. Cependant, le pays peine à surmonter une instabilité énergétique chronique (score de 13,71/100), avec des délestages fréquents qui pénalisent les PME.

Paradoxalement, le marché financier local montre des signes de dynamisme : 20 % des projets internationaux financés dans le pays en 2023 l’ont été par des investisseurs nationaux, révélant un potentiel de capitaux domestiques sous-exploité. Cette dualité reflète une économie complexe, où les atouts structurels (connectivité, diversification) coexistent avec des défis politiques et énergétiques qui ne sauraient être résolus sans une coordination renforcée entre secteurs public et privé.

Convergence des stratégies

Les cinq pays résilients identifiés par la CNUCED – à savoir le Botswana, Cabo Verde, Maurice, Maroc et Afrique du Sud – partagent une approche triadique pour affronter les chocs globaux. Premièrement, la diversification économique structure leurs modèles: réduction de la dépendance aux matières premières via des réformes sectorielles ciblées (tourisme durable à Cabo Verde, finance sophistiquée en Afrique du Sud). Deuxièmement, une gouvernance renforcée, incarnée par Maurice et son score de vulnérabilité politique quasi nul (2/100), garantit des cadres réglementaires stables, attirant les investisseurs malgré les crises. Troisièmement, l’intégration régionale, accélérée par la ZLECAf, élargit leurs débouchés. Comme le rappelle le rapport, les investissements intra-africains ont financé 20 % des projets dans les services en 2023, signe d’un marché continental en maturation.

Cependant, des vulnérabilités spécifiques rappellent que la résilience reste un processus inachevé. Le Botswana lutte contre une dépendance énergétique coûteuse, le Maroc contre des fractures sociales (malgré un PIB/habitant élevé), et l’ensemble du continent contre l’accès au financement des PME – 32 % des entreprises africaines le citent comme principal frein. Ces défis, couplés à des infrastructures inégales et à des transitions énergétiques encore timides (2,3 % des investissements mondiaux dans les renouvelables), soulignent la nécessité d’une coordination panafricaine pour transformer les succès nationaux en dynamique continentale.

Ainsi, ces cinq pays démontrent que la résilience africaine repose sur un équilibre entre réformes internes (énergie, gouvernance) et coopération régionale. Leur succès, bien que non exempt de lacunes, offre des pistes pour une Afrique moins dépendante des chocs exogènes et plus maîtresse de son destin économique. Reste à généraliser ces modèles à l’échelle continentale– un défi aussi urgent que complexe.

Les scores de vulnérabilités des 5 pays africains les plus résilients (score sur 100)

PaysEn matière économiqueEn matière de gouvernanceEn matière de connectivitéEn matière socialeEn matière énergétiqueEn matière climatique
Botswana43.412.448.828.5131.2115.1
Cabo Verde479.859.916.537.8319.7
Maurice23.5234.96.50.311
Maroc63.434.942.928.220.6226.2
Afrique du Sud16.519.819.318.2313.7115.2

Source : CNUCED.

Par Modeste Kouamé
Le 25/02/2025 à 16h44