Le sentiment anti-français en Afrique n’a jamais été aussi haut. Pour beaucoup d’Africains, La Marseillaise résonne désormais comme l’hymne du désamour entre la France et ses anciennes colonies. Le son de cette musique a pris du volume, ces trois dernières années, avec la succession des coups d’Etats dans plusieurs pays du Sahel, jusqu’ici considérés comme des prés carrés français.
Alors qu’un vent nouveau souffle dans cette partie du monde, la France est acculée et contrainte à de grandes concessions. Retraits de troupes, rappels d’ambassadeurs…le récent départ, sur la pointe des pieds, des soldats français du Niger sous la pression de la junte au pouvoir dans le pays, est l’ultime camouflet infligé à Paris après plusieurs affronts subis en Centre Afrique, au Mali et au Burkina Faso.
Curieusement, le business français ne s’est jamais aussi bien porté en Afrique que dans ce contexte très tendu, semble-t-il. Le volume des importations et des exportations entre ce pays européen et les pays d’Afrique subsaharienne a atteint 26,7 milliards d’euros en 2021, soit leur plus haut niveau sur ces dix dernières années.
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En parallèle, le nombre de filiales d’entreprises françaises en Afrique a plus que doublé sur le continent entre 2010 et 2020, selon les chiffres du trésor français. Des chiffres récents qui indiquent «un dynamisme certain dans les échanges commerciaux entre la France et l’Afrique», observe Caryl Gervereau.
Cependant, nuance le Conseiller des Français de l’étranger interrogé par Le 360 Afrique, bien que remarquables, ces performances «donnent une image superficielle des relations franco-africaines. Elles masquent des tendances sous-jacentes qui sont moins favorables à la France, surtout quand on les situe dans le contexte d’une concurrence internationale croissante en Afrique. »
En réalité, explique le président du conseil consulaire de la ville de Marrakech et régions, «ces données ne doivent pas occulter une vision à long terme, plus nuancée et moins flatteuse pour la France.»
En effet, «Les données longitudinales racontent une histoire différente», insiste-t-il en arguant que selon les statistiques disponibles, les parts de marché à l’exportation de la France en Afrique ont chuté de manière significative, passant de 11% à 5,5% entre 2000 et 2017. Cette chute, remarque Caryl Gervereau, est particulièrement marquée en Afrique francophone, où les parts de marché français ont fondu de 26 à 12%.
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«Dans le même temps, la Chine a vu ses parts de marché grimper de 3 à 18%. Ces mouvements suggèrent que la France perd du terrain en Afrique, et ce, de manière substantielle, au profit de concurrents comme la Chine et la Turquie.».
S’y ajoute que dans certains secteurs, bancaire notamment, c’est le grand remplacement pour la France. Pour preuve, 2023 a été une année noire pour les banques françaises. Alors que le groupe Société générale, jusqu’ici la banque française la plus présente sur le continent, a cédé plusieurs de ses filiales en Afrique, Crédit Agricole, BPCE et BNP Paribas ont quitté définitivement ou cédé presque la quasi-totalité de leurs représentations africaines.
Cette nouvelle donne s’explique par la volonté d’un continent à diversifier ses partenaires économiques et à jouer un rôle plus affirmé sur la scène globale. En effet, plus que jamais, les pays africains sont de plus en plus actifs dans la diversification de leurs partenaires économiques, soutient notre interlocuteur français pour qui «cette stratégie est motivée par le désir de réduire la dépendance envers un petit nombre de partenaires et de négocier des conditions plus favorables.»
La France, malgré une perte d’influence relative, reste un partenaire de choix pour de nombreux pays africains notamment dans la partie anglophone où elle est moins présente jusqu’ici. Dans ces pays, poursuit Caryl Gervereau, les entreprises françaises détiennent en moyenne moins de 3% de parts de marché, «ce qui signifie qu’il y a un potentiel de croissance considérable».
Ce changement de cap stratégique n’est donc pas tant un signe de renforcement de l’influence française, mais plutôt une adaptation à un nouveau terrain de jeu, remarque-t-il. S’il est indéniable que l’ancienne puissance coloniale cherche à se maintenir en Afrique, parfois au risque de ternir davantage son image, la perte progressive de ses parts de marché au profit d’autres acteurs mondiaux, notamment la Chine, est le reflet du visage d’une France-Afrique mourante.