Comment l’Égypte consolide sa place de porte d’entrée des IDE en Afrique

Le président égyptien Abdel Fattah al-Sisi rencontre la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen au palais présidentiel d'Ittihadiya au Caire.

Le 01/07/2024 à 13h06

VidéoTrois mois après la signature d’un nouveau partenariat stratégique, l’Union européenne et l’Égypte affichent leur ambition commune, au risque d’éclipser bon nombre de pays du continent. Une dynamique de fond qu’investisseurs et diplomates seraient bien avisés de suivre de près.

À peine 100 jours après la signature d’un nouveau partenariat stratégique et global entre l’Égypte et l’Union européenne, un sommet d’investissement conjoint marque une accélération sans précédent des liens économiques entre les deux parties. Lors de la conférence du 29 juin 2024 au Caire, l’UE et l’Égypte ont dévoilé une feuille de route ambitieuse pour consolider la place du pays comme pivot des investissements européens en Afrique.

«Votre stabilité et prospérité sont essentielles pour toute la région», a souligné Ursula von der Leyen, présidente de la commission Européenne, citant la position stratégique de l’Égypte comme «porte d’entrée vers l’Europe, entre l’Afrique et le Moyen-Orient, la Méditerranée et l’Indo-Pacifique


Le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi n’a pas manqué de vanter les atouts géostratégiques de son pays, soulignant que « L’Égypte a prouvé être un partenaire fiable pour relever les défis communs et assurer la sécurité dans son voisinage régional ». Avec ses 110 millions d’habitants, si l’Égypte représente une opportunité à saisir, les investisseurs étrangers devront rester vigilants quant à l’évolution de la situation économique et sécuritaire. Une approche pragmatique et nuancée s’impose pour tirer parti du potentiel égyptien tout en gérant les risques inhérents.

En effet, l’Égypte souffre d’un déficit commercial structurel en raison de la faiblesse de son appareil exportateur et d’une part importante d’importations incompressibles. Cette dépendance aux importations, combinée à des besoins de financement élevés, rend l’économie vulnérable aux chocs extérieurs. A cela s’ajoute l’inflation dans le pays qui reste élevée. Sur le plan sécuritaire, des défis persistent, notamment la menace terroriste dans le Sinaï et les répercussions des conflits régionaux.

Ainsi, malgré ses atouts indéniables, l’Égypte doit relever des défis structurels pour devenir un véritable partenaire économique stable et fiable.

Un portefeuille de 40 milliards d’euros

Pour concrétiser ce rapprochement, pas moins de 20 accords et mémorandums d’entente ont été signés à l’occasion du sommet, représentant plus de 40 milliards d’euros d’investissements projetés par des entreprises européennes. Selon Ursula von der Leyen, ces investissements massifs proviennent de groupes européens de premier plan opérant dans l’hydrogène, la gestion de l’eau, la construction, la chimie, le transport maritime, l’aviation et l’automobile.

L’UE prévoit en outre un ambitieux plan d’aide économique de 7,4 milliards d’euros sur plusieurs années, dont 1 milliard d’euros d’assistance macrofinancière immédiate pour accompagner les réformes engagées par Le Caire. Un autre projet de 25 millions d’euros vise à former la jeune main-d’œuvre égyptienne aux technologies propres et au numérique.

Le pari de l’économie verte

L’accent a particulièrement été mis sur le développement d’une économie verte en Égypte. «L’Égypte a l’ambitieux objectif de devenir une plaque tournante des énergies propres, ce qui est aussi dans l’intérêt de l’Europe», a expliqué Mme von der Leyen.

Le pays se prépare en effet à exporter à grande échelle de l’électricité solaire et de l’hydrogène vert vers l’Europe, tout en développant des filières industrielles locales de fabrication d’équipements renouvelables. L’UE projette ainsi 1,8 milliard d’euros d’investissements dans ces secteurs stratégiques.

«Et si nous unissions nos forces pour les produire dans notre région commune, plutôt que de les importer de loin? » a lancé la présidente de la Commission, appelant à créer des chaînes de valeur «propres» euro-méditerranéennes.

Un renforcement des liens déjà étroits

L’UE reste de loin le premier partenaire commercial et investisseur de l’Égypte, représentant 40% de ses investissements étrangers directs (IDE). Avec ce nouveau partenariat global, les 27 et Le Caire ambitionnent de «porter à un nouveau niveau leur engagement stratégique», selon Mme von der Leyen.

En effet, l’Union européenne est un partenaire commercial et investisseur majeur de l’Égypte. En terme commercial, l’UE est le plus important partenaire commercial de l’Égypte, représentant environ 25% du volume total des échanges commerciaux avec le pays. Le commerce bilatéral de biens entre l’Égypte et l’UE a connu une augmentation significative, passant de 8,6 milliards d’euros en 2003 à 24,5 milliards d’euros en 2020. Les principaux produits exportés par l’Égypte vers l’UE sont les combustibles, les produits miniers, les produits chimiques et les produits agricoles.

En termes d’investissements, l’UE est également un investisseur majeur en Égypte, après les pays arabes du Golfe. Les investissements de l’UE en Égypte ont atteint un niveau record de 8,2 milliards de dollars en 2022-2023, contre 3,2 milliards de dollars en 2021-2022.

Au-delà des investissements, la feuille de route prévoit une coopération renforcée dans les domaines du commerce, des transports durables, de l’agriculture, de la sécurité alimentaire et hydrique ou encore de la numérisation. Une grande ambition, pour un « partenariat gagnant-gagnant, pour l’Égypte et l’Europe, pour leurs peuples, leurs entreprises et le bien commun », a conclu Ursula von der Leyen.

Confirmation à la tête du Top 5 des IDE entrants en Afrique

Selon les dernières statistiques de la CNUCED, l’Égypte est redevenue en 2022 la première destination des investissements directs étrangers (IDE) en Afrique, après l’avoir perdu en 2021, détrônant son rival historique, l’Afrique du Sud. Une tendance qui se confirme en 2023.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Selon la CNUCED, l’Égypte a capté 11,4 milliards de dollars d’IDE en 2022, nettement devant l’Afrique du Sud (9,2 milliards). Un classement que Le Caire confirme en 2023 avec 9,8 milliards de dollars d’IDE entrants, contre 5,2 milliards pour Pretoria.

Il faut savoir qu’en 2023, l’Égypte a capté 9,841 milliards de dollars d’IDE, soit près du double de l’Afrique du Sud, deuxième avec 5,233 milliards. Le pays des Pyramides devance également l’Éthiopie (3,263 milliards), l’Ouganda (2,886 milliards) et le Sénégal (2,641 milliards) dans ce top 5 continental.

Cette percée égyptienne n’est pas une lubie passagère, mais le reflet d’une donne géoéconomique en Afrique. Avec son poids démographique et son rôle diplomatique, sans oublier le soutien désormais affiché de l’Europe, l’Égypte s’érige en puissance incontournable du continent.

Pour les multinationales désireuses d’accéder au marché africain, l’Égypte fait figure de partenaire de choix. Son appartenance aux marchés communs africain et arabe offre un accès privilégié à 1,8 milliard de consommateurs, complété par des accords commerciaux avec l’Europe et d’autres régions.

Par Modeste Kouamé
Le 01/07/2024 à 13h06