La question taraudait les dirigeants et opérateurs économiques africains depuis le retour de Donald Trump aux affaires. Va-t-il ou non prolonger l’Africa Growth and Opportunity Act (Agoa), ou «Loi sur la croissance et les opportunités économiques en Afrique», promulguée en 2000 et qui a aboli les droits d’importation, des Etats-Unis sur plus de 6.800 produits extraits et fabriquées dans les pays d’Afrique subsaharienne, qui expire en septembre 2025?
Depuis le 2 avril, les Africains sont fixés sur la question après la décision de Trump d’appliquer des taxes douanières à 185 pays et territoires du monde au nom de la «réciprocité douce».
En effet, sans même y faire allusion, Trump a torpillé l’Agoa, une loi adoptée en mai 2000 par le Congrès des Etats-Unis et signée par le président Bill Clinton. Elle a pour but de soutenir les économies des pays africains en leur facilitant l’accès au marché américain s’ils suivent les principes de l’économie libérale. Un partenariat commercial gagnant-gagnant en ce sens qu’il permet aux produits des pays africains d’accéder au marché américain sans droits de douane pour des milliers de produits (automobile, textile, minerais et pierres précieuses, hydrocarbures, agricoles…) et aux opérateurs économiques américains de bénéficier des sources d’approvisionnement abondantes et non alourdies par des taxes, et donc d’être plus compétitifs.
Lire aussi : Voici les tarifs douaniers annoncés par Trump et leurs impacts sur les économies africaines
L’accès des milliers de produits sans droits de douane rendait les produits africains, dont des matières premières (hydrocarbures, produits agricoles, minerais) et des produits transformés (textile, automobile…) plus compétitifs, comparativement à ceux devant supporter des taxes douanières.
L’Agoa bénéficie, avant l’entrée en vigueur des nouvelles taxes de Trump, à 31 pays d’Afrique subsaharienne, sur 48 pays concernés par cet accord. Les autres étant exclus pour diverses raisons (coups d’Etat, discrimination à l’égard de certaines couches de la société, guerre…).
Si cet accord avait boosté les échanges commerciaux entre les Etats-Unis et le continent africain, il faut souligner qu’il était dénoncé par certains hommes politiques américains opposés à son caractère unilatéral, avançant qu’il n’obligeait pas les pays africains à accorder de préférences identiques aux produits américains. En quelque sorte, la décision de Donald Trump de taxer tous les pays africains – les Seychelles, la Somalie et l’Eswatini étant les seuls pays non cités sur les listes de la Maison Blanche-, vient, en quelque sort, apporter une réponse aux opposants de l’Agoa.
Ces taxes douanières signent la fin de l’Agoa en ce sens que tous les produits venant du continent africains doivent désormais s’acquitter des taxes douanières comprises entre 10% (tarif plancher) et 50% (plus haut tarif appliqué).
Lire aussi : Le Zimbabwe va suspendre les droits de douane sur les importations des Etats-Unis
Après la suspension de l’aide au développement, la fin de l’Agoa constitue un nouveau coup dur pour les économies africaines dont nombreuses seront davantage fragilisées. Avec la fin de ces accès sans droits de douane, les exportations de nombreux pays africains vers les Etats-Unis seront moins compétitives vis-à-vis d’autres pays africains ou des autres continents moins taxés.
Rappelons que les pays les plus taxés par la décision de Trump au niveau du continent africain sont le Lesotho (50%, soit le pays le plus taxé au monde), Madagascar (47%), Maurice (40%), Botswana (37%), Afrique du Sud (30%), Algérie (30%), Côte d’Ivoire (21%), Nigeria (14%)… Les produits qui seront les moins taxés sont ceux en provenance de la RDC (11%), du Cameroun (11%), du Maroc (10%), de la Mauritanie (10%),…
Le cadre de l’Africa Growth and opportunity Act (Agoa) offre un accès des produits des pays d'Afrique subsaharienne au marché américain sans droits de douane, sous certaines conditions. En 2024, 32 pays africains ont bénéficié de cet accord commercial qui expire en septembre 2025.. DR
Rappelons que les exportations africaines vers les Etats-Unis se sont établies, en 2024, à 49 milliards de dollars, alors que les importations du continent en provenance du marché américain étaient de 41,6 milliards de dollars. Ainsi, la balance commerciale est excédentaire au profit des pays africains à hauteur de 7,4 milliards de dollars. Les principaux produits exportés par les pays africains l’année dernière sont le pétrole brut (7,3 milliards de dollars), les métaux précieux et les pierres précieuses (6,9 milliards), les véhicules automobiles (1,7 milliard) et les vêtements (1,4 milliard). Ces quatre produits représentent plus de 35,30% de la valeur des exportations africaines vers les Etats-Unis.
Lire aussi : En Afrique, la première salve de Trump se fait sentir: et si c’était une bénédiction?
La valeur des exportations des pays d’Afrique subsaharienne, région bénéficiant de l’Agoa, était de 39,5 milliards de dollars en 2024. Cette valeur risque de fortement baisser à cause de ces taxes. A titre d’exemple, le Lesotho, un des bénéficiaires de l’Agoa, verra ses exportations vers les Etats-Unis taxées de 50%. Or, ce petit pays enclavé à l’intérieur de l’Afrique du Sud dépend fortement de ses exportations de produits textiles, notamment les jeans, vers les Etats-Unis, sans droits de douane. Ces taxes risquent de fortement freiner les exportations textiles du pays. Or, le pays compte 11 usines de textile qui exportent leurs marchandises vers les Etats-Unis et qui emploient 12.000 personnes. Globalement, les taxes américaines risquent de faire perdre entre 30.000 et 40.000 emplois au Lesotho. Pire,
elles vont aussi porter un rude coup à l’investissement dans le pays en faisant perdre à celui-ci les avantages dont il jouissait au niveau du marché américain. Avec des droits douaniers de 50%, les jeans confectionnés au Lesotho ne seront plus compétitifs face à ceux fabriqués dans d’autres pays concurrents et faiblement taxés, d’autant plus que le pays importe toute la matière première de la Chine.
Ce sera également le cas pour Madagascar dont les exportations vers les Etats-Unis seront lourdement taxées à hauteur de 47%.
Mais le pays qui sera le plus affecté sera l’Afrique du Sud dont les Etats-Unis sont le second partenaire commercial après la Chine. En plus, depuis l’entrée en vigueur de l’Agoa, le pays arc-en-ciel en est le principal bénéficiaire. Il exporte des métaux précieux (platine notamment), des véhicules, des produits agricoles… sans droits de douane.
Lire aussi : Voici le nombre et la répartition par pays des migrants africains devant être expulsés des États-Unis
Le secteur qui sera le plus impacté est celui de l’automobile. En 2023, les exportations de véhicules ont atteint 1,90 milliard de dollars, soit 22% des exportations sud-africaines vers les Etats-Unis en 2023. Le patron de l’organisation patronale du secteur automobile sud-africain (Naamsa), Billy Tom, soulignait, bien avant la décision de Trump que «l’impact du non-renouvellement de l’Agoa serait dévastateur», expliquant que 86.000 emplois sont directement liés à cet accord. Pire, en incluant les emplois des sous-traitants du secteur, ce sont 125.000 emplois qui sont menacés. Sachant que l’accès sans droit de douane au marché américain a contribué à l’implantation de nombreux constructeurs automobiles, les taxes douanières imposées par Trump risquent de dissuader de nouveaux acteurs à s’implanter sur le marché sud-africain.
En tout cas, en taxant de 30% les produits sud-africains qui bénéficiaient jusqu’à présent d’un accès sans droit de douane sur le marché américain, Trump va les rendre moins compétitifs vis-à-vis de ceux des pays concurrents. Une situation qui pourrait réduire l’important excédent commercial au bénéfice de l’Afrique du Sud. En 2024, les échanges commerciaux entre les deux pays se sont établis à 20,5 milliards de dollars. L’Afrique du Sud a exporté 14,7 milliards de dollars vers les Etats-Unis et y a importé pour seulement 5,8 milliards de dollars, dégageant un excédent commercial de 8,9 milliards de dollars.
Lire aussi : L’Afrique devrait-elle s’inquiéter du retour de Donald Trump?
Que peuvent faire les pays africains face aux taxes imposées par Trump? Pas grand-chose, à part négocier individuellement de nouveaux accords commerciaux, Trump n’étant pas partisan du multilatéralisme. Ainsi, le Lesotho va envoyer une délégation vers les Etats-Unis pour trouver un accord à même de réduire le tarif douanier qui lui est appliqué. L’Afrique du Sud aussi souhaite négocier avec l’administration Trump pour trouver une solution à cette taxe exorbitante. Toutefois, pour elle, la situation sera difficile du fait des tensions politiques entre les deux pays.
La principale carte à jouer pour les pays africains lourdement taxés reste la révision à la baisse des tarifs douaniers appliqués aux produits américains importés. Le Lesotho, qui applique un droit de douane de 99% aux produits américains, doit consentir une forte baisse de celui-ci afin de bénéficier d’un accès plus favorable de ses produits sur le marché américain et y être relativement compétitif. Idem pour l’Afrique du Sud. A défaut, à l’instar des autres pays lourdement taxés, ils vont perdre des marchés importants.