Après TotalEnergies en janvier 2025, Royal Air Maroc et Africa Global Logistics (AGL) en avril 2025, c’est au tour de la Commission Européenne (CE) de signer un partenariat stratégique avec la Confédération Africaine de Football.
Lire aussi : CAF, TotalEnergies et Patrice Motsepe: des dividendes stratégiques derrière la prolongation du contrat de sponsoring
Le 18 mai, le président de la CAF, Patrice Motsepe, et Jozef Síkela, commissaire Européen aux Partenariats Internationaux, ont signé, au Caire (Égypte), un accord historique qui prévoit un partenariat entre la CE et la Coupe d’Afrique des Nations CAF TotalEnergies 2025 et 2027, la Coupe d’Afrique des Nations Féminine CAF TotalEnergies 2024 ainsi que le Championnat Africain de Football Scolaire de la CAF.
La signature de ce partenariat entre la CAF et la Commission Européenne (CE) marque une étape symbolique et stratégique dans les relations Afrique-Europe. Au-delà des enjeux sportifs, cet accord révèle des ambitions politiques, économiques et sociales ancrées dans une logique de soft power.
En analysant les déclarations des acteurs clés et les mécanismes du partenariat, plusieurs dimensions émergent: une réhabilitation de l’image de la CAF, une consolidation des investissements européens via le Global Gateway, et une instrumentalisation du football comme levier éducatif et culturel.
La signature de ce partenariat s’inscrit dans un contexte géopolitique marqué par une compétition accrue pour l’influence en Afrique. En associant son initiative Global Gateway (dotée de 150 milliards d’euros) à des événements sportifs panafricains, l’Union Européenne (UE) cherche à consolider son image de partenaire privilégié, face aux ambitions chinoises et russes.
La présence symbolique d’Ursula von der Leyen lors de la signature du partenariat et le choix stratégique du football– sport le plus populaire sur le continent– révèlent une approche calculée: le sport devient un véhicule de soft power pour promouvoir des projets d’infrastructures et de connectivité, tout en ancrant l’UE dans l’imaginaire collectif africain. La Présidente de la Commission Européenne l’affirme «Il s’agit de créer des liens, d’autonomiser les jeunes, les communautés locales et des régions entières».
Lire aussi : L’Afrique, 1er exportateur de footballeurs: les schémas tactiques pour la rentabilité économique
Une rhétorique qui, bien que centrée sur le codéveloppement, sert aussi à légitimer l’agenda économique européen. En liant visibilité sportive et investissements, l’UE capitalise sur l’émotion fédératrice du football pour rendre ses projets plus tangibles, tout en renforçant son influence normative. Ce partenariat apparaît ainsi comme une vitrine mutualisée : la CAF y gagne en prestige, tandis que l’UE assoit sa position face à des rivaux géopolitiques, dans un continent clé pour les enjeux du XXIe siècle.
La CAF en quête de crédibilité
Autre élément à souligner: les déclarations du Dr Patrice Motsepe sur les «politiques de gouvernance, d’éthique et de transparence» et la «tolérance zéro à l’égard de la corruption», qui ne relèvent pas du hasard. Elles répondent à une nécessité historique: redresser l’image d’une institution minée par des décennies de scandales financiers et de mauvaise gestion, comme l’affaire FIFAgate ayant impliqué d’anciens dirigeants de la CAF. En s’alliant à la Commission Européenne, réputée pour son exigence en matière de reddition de comptes, la CAF cherche à valider sa mue vers des standards internationaux.
Ce partenariat fonctionne donc comme un gage de crédibilité pour rassurer les investisseurs étrangers et les sponsors, souvent méfiants face aux risques de détournements. L’adhésion aux normes éthiques européennes devient un argument commercial, voire une condition de survie dans un écosystème footballistique globalisé.
Pour l’UE, exiger ces garanties permet de sécuriser ses fonds tout en exportant ses modèles de gouvernance. Ainsi, l’accord opère un double mouvement: il offre à la CAF une légitimité retrouvée, tout en servant les intérêts normatifs de l’Europe.
L’un des éléments clés de cet accord est le soutien au Championnat Africain de Football Scolaire de la CAF. Ce championnat qui touchera jusqu’à 33.000 écoles à travers l’Afrique incarne l’ambition de transformer le sport en levier éducatif. Comme l’explique Jozef Síkela: «Il ne s’agit pas seulement de sport. Il s’agit de maintenir les enfants à l’école, de leur offrir des modèles et de créer les conditions nécessaires pour exploiter leur potentiel- sur le terrain comme en dehors.»
Lire aussi : Guinée. Le président de la Fédération «révoqué par ceux qui le soutenaient»: le Foot ne tourne plus rond
C’est dire que ce projet repose sur une conviction: le football peut lutter contre le décrochage scolaire en associant motivation sportive et obligation éducative. Il s’agit aussi de promouvoir l’inclusion sociale, en touchant des régions marginalisées. Toutefois, cet idéalisme se heurte à des réalités structurelles.
En Afrique subsaharienne, plus de 50% des écoles manquent d’installations sanitaires de base (rapport conjoint OMS/UNICEF 2023), et les inégalités d’accès à l’éducation persistent, notamment pour les filles. Sans un renforcement parallèle des infrastructures scolaires et une collaboration étroite avec les États et les ONG locales, l’impact risque d’être limité.
De plus, le projet devra éviter l’écueil de la compétition pure, au détriment de l’apprentissage. Si ces défis sont relevés, le football scolaire pourrait devenir un laboratoire d’innovation pédagogique, où le sport sert de catalyseur pour l’émancipation des jeunes– à condition que les ballons ne roulent pas sur des terrains minés par les carences systémiques.
Le football, catalyseur de projets du Global Gateway
En intégrant le football à sa stratégie Global Gateway, l’Union Européenne cherche à dépasser le cadre traditionnel de l’aide au développement pour rivaliser avec des initiatives comme les Nouvelles Routes de la Soie chinoises.
En associant des événements sportifs majeurs (Coupes d’Afrique des Nations) à des projets d’infrastructures dans la santé ou les services publics, la Commission Européenne vise à concrétiser ses investissements de 150 milliards d’euros, en les rendant «plus visibles et tangibles» pour les populations africaines.
Lire aussi : Investissements de l’UE en 2025: sur les 46 projets phares, 26 sont destinés à l’Afrique
Le football, dont l’écosystème génère des milliards de dollars, devient un vecteur indirect de stimulation des échanges économiques. Comme le souligne Patrice Motsepe, il s’agit de renforcer les «relations commerciales et d’investissement» entre les deux continents.
Interrogations critiques
Cependant, cette approche suscite des interrogations critiques: les infrastructures financées bénéficieront-elles prioritairement aux économies locales, ou serviront-elles les intérêts des entreprises européennes? L’équilibre entre partenariat équitable et néocolonialisme économique reste à prouver, d’autant que le modèle du Global Gateway, bien que présenté comme «gagnant-gagnant», repose sur des prêts souvent conditionnés à des achats auprès de fournisseurs européens. La réussite de cette synergie dépendra de la transparence dans l’allocation des fonds et de l’ancrage des projets dans les priorités africaines.
Promotion du sport féminin
L’autre élément à souligner est l’inclusion de la Coupe d’Afrique des Nations Féminine 2024 dans ce partenariat. Disons que cela répond à une double dynamique: symbolique et stratégique. Pour l’UE, soutenir le football féminin permet d’incarner son engagement en faveur de l’égalité des genres, conformément à ses valeurs affichées. Pour la CAF, c’est une opportunité de dynamiser un secteur historiquement négligé, où les disparités salariales et le manque de médiatisation persistent.
Toutefois, sans un financement spécifique et des politiques volontaristes pour combattre les discriminations structurelles (accès aux terrains, formation des entraîneuses, couverture médiatique équitable), cet engagement risque de rester superficiel. L’UE et la CAF devront dépasser les déclarations d’intention en créant des fonds dédiés, ou en intégrant des clauses de parité dans les contrats de sponsoring. Sinon, ce partenariat reproduira les inégalités qu’il prétend combattre, réduisant les joueuses à des alibis politiques.
Ce partenariat mise également sur la puissance fédératrice du football pour transcender les clivages culturels et politiques. En évoquant des «relations culturelles» (Motsepe) ou l’objectif de «créer des liens» (von der Leyen), les deux parties capitalisent sur l’universalité de ce sport pour renforcer leur proximité avec les populations africaines. L’UE, souvent perçue comme technocratique et conditionnelle dans son aide, y trouve un moyen de redorer son image en s’associant à des passions partagées.
Anti-corruption et éthique: un enjeu de confiance
La rhétorique de « tolérance zéro » envers la corruption, martelée par Patrice Motsepe, n’est pas qu’un exercice de communication. Elle reflète une nécessité opérationnelle pour la CAF. Après des années de scandales (détournements financiers, pots-de-vin), l’institution doit restaurer la confiance des partenaires internationaux. Pour l’UE, exiger des garanties éthiques est à la fois un moyen de protéger ses investissements et d’imposer ses normes de transparence, dans un secteur où les flux financiers opaques sont légion. Une exigence qui pourrait créer un effet d’entraînement : les fédérations africaines récalcitrantes risqueraient de perdre l’accès à des financements cruciaux.
Toutefois, la mise en œuvre concrète de ces principes reste un défi. Les audits indépendants, la formation des dirigeants locaux aux bonnes pratiques, et la création de canaux de dénonciation sécurisés seront essentiels. Sans un suivi rigoureux, les promesses de « gouvernance exemplaire » resteront lettre morte, et le partenariat CAF-UE pourrait reproduire les erreurs du passé, où l’éthique servait de façade à des intérêts peu avouables.
Ainsi, comme on peut le voir, ce partenariat CAF-UE dépasse largement le cadre sportif. Il reflète une convergence d’intérêts: l’UE y gagne en influence et en visibilité pour son agenda économique; la CAF consolide sa crédibilité et accède à des financements structurants. Toutefois, les défis restent immenses.
Lire aussi : Foot business: comment la CAF combine droits TV, radiodiffusion et infrastructures pour sécuriser ses revenus
La réussite dépendra de la transparence dans l’exécution des projets, de l’équilibre des bénéfices économiques, et de la capacité à transformer les discours en actions tangibles pour les jeunes, les femmes et les communautés locales. En somme, il s’agit en fait de «transformer le potentiel en opportunité», un mantra qui devra être éprouvé sur le terrain, bien au-delà des pelouses.
Partenariat stratégique ou calcul Géopolitique ? Quand l’Europe investit les terrains de football africains
Points clés | Acteurs Principaux | Objectifs Stratégiques | Défis/Interrogations | Perspectives |
---|---|---|---|---|
Géopolitique et Soft Power | UE, CAF, Chine, Russie | - UE : Contrer l’influence chinoise/russe via le Global Gateway. - CAF : Renforcer son rôle panafricain. | Equilibre entre aide et intérêts européens. | Renforcement de l’image de l’UE en Afrique ; compétition géopolitique accrue. |
Réhabilitation de la CAF | Patrice Motsepe, Commissaires UE | - Restaurer la crédibilité post-scandales. - Attirer investisseurs via des normes éthiques. | Mise en œuvre effective de la transparence ; résistance interne. | Transformation de la gouvernance du football africain ; confiance des sponsors. |
Éducation et Inclusion | Championnat Scolaire CAF, UE | - Lutter contre le décrochage scolaire. - Promouvoir l’émancipation par le sport. | Carences infrastructurelles (écoles) ; priorisation compétition vs éducation. | Innovation pédagogique ; inclusion des régions marginalisées. |
Sport Féminin | CAF, UE, Sponsors | - Promouvoir l’égalité des genres. - Médiatiser le football féminin. | Financements spécifiques limités ; inégalités structurelles (salaire, accès aux terrains). | Avancées symboliques ; nécessité de politiques volontaristes. |
Anti-Corruption | UE, CAF, Organisations de contrôle | - Sécuriser les investissements. - Exporter les normes européennes de transparence. | Dépendance aux audits externes ; risque de greenwashing éthique. | Standardisation des pratiques ; légitimité internationale accrue. |
Global Gateway | UE, Entreprises européennes | - Rendre visibles les projets d’infrastructures (santé, connectivité). - Stimuler les échanges. | Bénéfices réels pour les économies locales ? Priorités africaines respectées ? | Synergie économie-sport ; rivalité avec les initiatives chinoises. |
Source : CAF.