Eté chaud ne rime pas avec afflux vers les plages dans tous les pays du continent. En cette saison estivale où les rivages attirent des millions de vacanciers, seize pays africains vivent une autre réalité: aucun accès à la mer. Ces économies enclavées, regroupant le Botswana, le Burkina Faso, le Burundi, la Centrafrique, le Tchad, Eswatini, l’Éthiopie, le Lesotho, le Malawi, le Mali, le Niger, le Rwanda, le Soudan du Sud, l’Ouganda, la Zambie et le Zimbabwe, représentent 50% des pays en développement sans littoral (PEDSL) à travers le monde.
Avec 16 pays enclavés, l’Afrique est le continent comptant le plus de pays sans littoral, loin devant l’Asie (10), l’Europe (4) et l’Amérique latine (2).
Loin d’être un simple constat géographique, cette réalité pèse lourdement sur l’économie de ces pays. Avec des coûts logistiques écrasants et une dépendance aux voisins de transit, leur sort économique semble scellé par la géographie.
Pourtant, comme le souligne la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED) lors du récent sommet d’Awaza au Turkménistan, qui s’est tenue du 5 au 8 août 2025, cette «fatalité géographique» peut être renversée.
Ainsi, la CNUCED propose une feuille de route pour transformer ces contraintes en leviers. Zoom sur ces stratégies pour redessiner l’avenir économique de ces pays.
Des coûts qui étouffent
La géographie impose aux 16 pays africains sans littoral un désavantage systémique où les coûts de transport excèdent de 50% la moyenne mondiale, doublant mécaniquement le prix des échanges. Cette réalité s’accompagne de délais d’importation deux fois plus longs que la norme, avec une distance moyenne de 1.370 km jusqu’au premier port, transformant chaque transaction en parcours du combattant logistique.
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Ces économies paient ainsi le prix d’une marginalisation commerciale criante. Bien qu’abritant 7% de la population mondiale, ces États ne génèrent que 1,2% du commerce global, un chiffre stagnant depuis une décennie. Comme le résume Rebeca Grynspan, Secrétaire générale de la CNUCED, «la géographie ne doit pas dicter le destin économique». Cette dépendance aux corridors transitant par des pays voisins souvent instables– eux-mêmes en développement– crée une vulnérabilité chronique, freinant les investissements étrangers et confinant ces nations dans l’exportation de matières premières, qui représentent 80% de leurs ventes internationales.
Photo de groupe lors du sommet d'Awaza (Turkménistan), montrant des pays enclavés et des partenaires, illustrant l'appel à la cohérence
internationale et la coopération essentielle pour briser la "fatalité géographique".
Intégration, numérique et réformes douanières
Face à ce qui précède, la CNUCED recommande à ces pays de miser sur l’intégration, numérique et les réformes douanières. Pour la structure spécialisée des Nations-Unies, l’intégration régionale émerge comme un puissant catalyseur pour libérer les échanges.
En la matière, des projets concrets déployés en Afrique prouvent que la coopération porte ses fruits. Le Corridor nord en Afrique de l’Est a réduit le temps de franchissement frontalier à Malaba de trois jours à trois heures, tandis que le Corridor central reliant l’Asie à l’Europe via l’Afrique a divisé par deux les délais de transport. Des gains tangibles qui accélèrent les livraisons et réduisent les coûts.
La Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) amplifie cette dynamique en catalysant la transformation structurelle. Si 80 % des exportations africaines hors continent restent brutes, 61 % du commerce intra-africain se compose désormais de produits transformés, offrant aux économies enclavées des débouchés vitaux pour leur valeur ajoutée.
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Le saut numérique redéfinit quant à lui les règles du jeu. Les services numériques, indifférents aux frontières physiques, offrent aux pays enclavés une opportunité stratégique pour compenser leur enclavement, malgré leur part modeste (0,3 %) des exportations numériques mondiales. L’usage d’Internet y a doublé depuis 2014, avec une couverture en haut débit mobile atteignant en moyenne 86 % de la population. Les exportations de services numériques ont ainsi bondi à 10,6 milliards de dollars en 2022, affichant une croissance annuelle supérieure à la moyenne mondiale. «Si vous pouvez vous connecter, vous pouvez être compétitif», martèle Rebeca Grynspan. Toutefois, le potentiel reste sous-exploité. Moins de la moitié de la population accède à la 4G, pourtant indispensable au commerce électronique.
La facilitation des échanges s’appuie enfin sur des réformes douanières révolutionnaires. Le programme ASYCUDA, déployé dans 66 % des pays enclavés, a réduit jusqu’à 90 % les délais de dédouanement tout en dopant les recettes fiscales, comme au Malawi où elles ont progressé de 42 %. Cette modernisation s’accompagne d’un renforcement des capacités locales, avec 600 professionnels formés (dont 40 % de femmes). L’accord récent entre la CNUCED et le Turkménistan (1,5 million USD) intégrant l’intelligence artificielle pour optimiser la gestion des risques ouvre une voie prometteuse pour l’Afrique, démontrant que la numérisation des douanes est un levier incontournable.
Des opportunités en matière de minéraux critiques, tourisme et démographie
Au-delà des stratégies structurelles, les pays enclavés africains disposent de leviers sectoriels clés pour transformer leur destin économique. Les minéraux critiques (lithium, cobalt) représentent une opportunité stratégique majeure : avec une demande mondiale appelée à tripler d’ici 2030 pour alimenter les technologies vertes (panneaux solaires, éoliennes, véhicules électriques), ces ressources offrent une voie crédible pour échapper à la « trappe des matières premières » qui pèse sur 80 % de leurs exportations.
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A cela s’ajoute le tourisme, qui confirme son potentiel résilient. En 2023, les recettes cumulées de ces pays enclavés ont atteint 20 milliards USD – dépassant les niveaux pré-pandémie – grâce à 43 millions de visiteurs internationaux, un secteur à fort impact sur les Objectifs de développement durable.
Enfin, la démographie dynamique ouvre des perspectives inédites : la population des pays enclavés africains devrait croître de 400 millions d’habitants d’ici 2050, créant un bassin de consommateurs jeune et expansif, capable d’attirer les chaînes d’approvisionnement mondiales et de stimuler l’entrepreneuriat local.
Briser les cloisonnements
Malgré ces atouts, les économies enclavées africaines subissent des disparités socio-économiques criantes qui hypothèquent leur décollage. Leur PIB par habitant est en moyenne trois fois inférieur à celui de leurs voisins côtiers, tandis que leur indice de développement humain accuse un retard de 19 % – reflet d’inégalités systémiques. Lors du récent sommet de Séville sur le financement du développement, la CNUCED a exigé une réforme urgente de l’architecture financière internationale.
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Un appel qui cible trois priorités : un allègement structurel de la dette, des conditions commerciales équitables pour compenser les surcoûts logistiques, et un rôle renforcé des banques multilatérales de développement. Comme le souligne Rebeca Grynspan, «le développement ne peut être financé de manière cloisonnée : il nécessite une cohérence entre les systèmes et la crédibilité des règles qui les régissent». Sans cette cohérence, les stratégies d’intégration et de numérisation resteront inopérantes face au déséquilibre des capacités financières.
Clin d’œil à l’initiative Maroc Atlantique
C’est dans ce contexte que l’initiative Maroc Atlantique, officiellement lancée en novembre 2023 par le roi Mohammed VI, apparait comme un projet visionnaire et ambitieux aux retombées économiques et géopolitiques majeures pour l’Afrique de l’Ouest et le Sahel. Elle vise à offrir aux pays enclavés du Sahel- notamment le Mali, le Burkina Faso, le Niger et le Tchad- un accès direct à l’océan Atlantique via un vaste réseau de corridors logistiques terrestres reliant ces pays aux ports marocains, en particulier le port en eaux profondes de Dakhla. Un projet colossal qui transcende la simple dimension logistique pour devenir un levier de développement inclusif, de souveraineté énergétique et d’intégration régionale.
Autant dire que l’initiative est louable, car elle transforme une «fatalité géographique» en une dynamique prometteuse d’intégration économique, de souveraineté et de développement durable pour des pays longtemps pénalisés par leur enclavement. Elle témoigne également d’une stratégie marocaine de grande envergure, conciliant ambition géopolitique et pragmatisme économique, à même de relever les défis complexes du continent africain dans la décennie à venir.
Une initiative qui est donc un exemple concret de comment la géographie, au lieu d’être une limite, peut devenir la base d’un nouvel ordre économique et politique afro-atlantique intégrateur et prospère.
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Ainsi, la feuille de route est tracée: intégration régionale accélérée (via la ZLECAf), numérisation massive et réformes douanières ciblées. Mais sa réussite dépendra de l’engagement des États et de la communauté internationale. Pour les seize pays africains sans littoral, l’enjeu est de faire de l’enclavement un atout de connectivité régionale. Comme le rappelle la CNUCED, la géographie n’est plus une fatalité– à condition que la coopération suive les promesses.
Afrique : 16 pays sans littoral face au défi de l’enclavement
Pays | Défis majeurs | Atouts clés |
---|---|---|
Botswana | Dépendance aux corridors sud-africains | Diamants, tourisme (Delta de l’Okavango) |
Burkina Faso | Insécurité, enclavement renforcé | Or, coton, potentiel agricole |
Burundi | Pauvreté extrême, instabilité politique | Café, thé, terres fertiles |
Centrafrique | Conflits, infrastructures défaillantes | Diamants, or, bois |
Tchad | Éloignement des ports, climat aride | Pétrole, uranium, élevage |
Eswatini | Petite taille, dépendance à l’Afrique du Sud | Agroalimentaire, textiles |
Éthiopie | Conflits, accès à Djibouti congestionné | Hydroélectricité, café, hub aérien |
Lesotho | Enclavé dans l’Afrique du Sud | Eau (barrages), textiles |
Malawi | Délais logistiques, faible industrialisation | Tabac, thé, lac Malawi (tourisme) |
Mali | Insécurité, enclavement sahélien | Or, coton, potentiel solaire |
Niger | Désert, dépendance au port de Cotonou | Uranium, pétrole |
Rwanda | Relief montagneux, coûts logistiques | Technologie, tourisme (gorilles) |
Soudan du Sud | Instabilité, absence d’infrastructures | Pétrole (98% des revenus) |
Ouganda | Dépendance au corridor de Mombasa | Café, pétrole, tourisme (gorilles) |
Zambie | Dépendance aux ports sud-africains | Cuivre (70% des exportations), tourisme |
Zimbabwe | Sanctions, inflation | Platine, tabac, tourisme (chutes Victoria) |
Source: CNUCED.