Crise ou pas, les transferts effectués par les migrants des pays d’Afrique du Nord ne faiblissent pas. Ce qui témoigne des liens très forts qu’entretiennent ces diasporas avec leurs pays d’origine. C’est le cas notamment de celles d’Égypte, du Maroc et de la Tunisie. En 2024, ces transferts se sont établis, d’après les banques centrales de ces trois pays, à plus de 44 milliards de dollars, contre 34 milliards de dollars en 2023, affichant une forte hausse de 29,41%. Les transferts des migrants ont donc largement dépassé les recettes touristiques qui se sont établies à 28,21 milliards de dollars en 2024, malgré les belles performances réalisées par ce secteur au niveau de la région.
Pour 2024, la forte hausse des transferts provient surtout de l’Égypte dont le montant est passé de 19,5 milliards de dollars en 2023 à 29,6 milliards de dollars en 2024, affichant une hausse exceptionnelle de 51,30%, selon les données de la Banque centrale d’Égypte (CBE). Un volume largement supérieur aux 22,7 milliards de dollars projetés par la Banque mondiale dans ses estimations de décembre 2024.
Il s’agit de loin du montant le plus important au niveau du continent. Un niveau qui s’explique par la forte diaspora égyptienne constituée de plus de 10 millions de personnes dont une grande partie est installée dans les pays du Golfe.
Rien que durant le mois de décembre 2024, les envois ont atteint environ 3,2 milliards de dollars, contre environ 1,6 milliard de dollars en décembre 2023. Ce montant était en hausse de 24,5% par rapport au mois de novembre précédent (2,6 milliards de dollars).
À titre illustratif, le montant enregistré lors du dernier mois de l’année écoulée dépasse le total des transferts des migrants tunisiens durant toute l’année 2024 (2,41 milliards de dollars).
Les diasporas égyptienne, Marocaine et Tunisienne ont transféré 44 milliards de dollars vers leurs pays d'origine en 2024, contre 34 milliards en 2023, soit une hausse de 29,41%. . DR
Selon la CBE, «les envois de fonds des Égyptiens travaillant à l’étranger continuent d’augmenter, soutenus par les mesures de réformes économiques prises en mars 2024». Pour rappel, le 6 mars de l’année dernière, la CBE avait décidé de laisser la livre égyptienne flotter librement dans une démarche visant à éliminer le différentiel des taux de change entre le marché officiel et les cours parallèles, tout en augmentant les taux d’intérêt de 6%. Le taux de change dollar-livre égyptienne est passé de 30,87 livres pour 1 dollar au 5 mars 2024 à 50,81 livres pour le même dollar à fin 2024, soit une dépréciation de 64,60%.
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Ces mesures ont permis de canaliser une partie des transferts qui empruntaient la voie parallèle pour tirer profit de la différence énorme avec le marché officiel. Cela explique en grande partie la forte progression des transferts des migrants égyptiens en 2024, comparativement à 2023.
À cela s’ajoute la hausse des taux d’intérêt qui incite les migrants à transférer une partie de leur épargne de leurs pays d’accueil vers les banques égyptiennes où non seulement ils bénéficient d’un taux de change favorable, mais aussi des taux d’intérêt élevés. Enfin, cette hausse trouve son origine aussi dans la volonté des migrants égyptiens de soutenir leurs familles restées au pays et qui font face à une aggravation de la cherté de la vie.
Derrière l’Égypte, le Maroc continue de bénéficier des transferts de sa forte diaspora estimée à plus de 5 millions d’individus installés essentiellement dans les pays de l’Union européenne (France, Espagne, Belgique, Pays-Bas, Italie…).
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En 2024, selon les données officielles, les migrants marocains ont transféré 117,7 milliards de dirhams (environ 12 milliards de dollars), contre 115,3 milliards de dirhams en 2023, soit une hausse de 2,18%. Les transferts dépassent ainsi les recettes touristiques (11 milliards de dollars) et représentent l’équivalent de 7,8% du Produit intérieur brut (PIB) du pays. Au Maroc, et à l’image de l’Égypte, les transferts constituent la seconde source de devises du pays derrière les exportations.
Au niveau de la Tunisie, les envois des migrants ont augmenté de 6% passant de 7,66 milliards de dinars tunisiens en 2023 à 8,13 milliards de dinars tunisiens en 2024. Ainsi, les transferts de cette diaspora, estimée à plus de 1,82 million d’âmes, dépassent légèrement les recettes touristiques (2,41 milliards de dollars) et constituent la seconde source de devises du pays après les exportations.
Les transferts des migrants d’Egypte, du Maroc et de la Tunisie en 2023 et 2024
Pays | Montants transférés en 2024 | Montants transférés en 2023 | Var 2024/2023 | Montant transféré en milliards dollars |
---|---|---|---|---|
Egypte | 29,6 milliards de dollars | 19,5 milliards de dollars | 51,3% | 29,6 |
Maroc | 117,7 milliards de dirhams | 115,30 milliards de dirhams | 2,18% | 12 |
Tunisie | 8,13 milliards de dinars | 7,66 milliards de dinars | 6,0% | 2,61 |
Source: Banque centrale d’Egypte, Banque centrale de Tunisie, Office des Changes...
Pour ce qui qui est de l’Algérie, les chiffres des transferts des migrants disponibles se rapportent à 2023 et s’établissaient à 1,8 milliard de dollars, et ceux de 2024 devraient rester inférieurs à 2 milliards de dollars. Toutefois, ces chiffres sont biaisés et ne reflètent pas la réalité des montants envoyés par la diaspora algérienne du fait que la grande majorité des transferts de celle-ci emprunte des circuits parallèles. À cause du différentiel du taux de change entre le marché officiel et le marché parallèle, les migrants algériens préfèrent recourir aux circuits informels pour gagner beaucoup plus au niveau du change. Alors que le cours officiel euro-dinar algérien est de 142 dinars pour 1 euro, sur le marché parallèle 1 euro rapporte 250 dinars, soit un gap de change de 109 dinars. Ce qui est énorme et justifie amplement le recours aux circuits parallèles pour les transferts d’argent. Or, ces montants transitant par le marché noir ne sont pas répertoriés par les statistiques officielles.
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À l’effet taux de change s’ajoutent les coûts du transfert via les circuits classiques des banques et sociétés spécialisées (Western Union, MoneyGram, Ria…) qui favorisent aussi les transferts via le marché parallèle.
Les transferts d’argent des migrants des pays d’Afrique du Nord ont des impacts très positifs sur les populations et les économies de la région. Ils améliorent les indicateurs économiques de ce trio nord-africain où ils constituent la seconde source de devises après les exportations. Cette manne contribue au renforcement des réserves en devises des pays dont ils soutiennent la stabilité économique en améliorant les balance des opérations courantes et de paiement.
Reste que si les innovations technologiques, notamment les solutions de transfert digital ont facilité et accéléré ces mouvements de fonds, certains obstacles continuent à freiner ces envois. C’est surtout le cas des coûts de transferts souvent élevés et les canaux informels qui détournent une partie de ces transferts des circuits économiques classiques. En outre, pour un impact plus significatif, leur optimisation et surtout une meilleure canalisation vers des investissements productifs représentent un enjeu majeur pour un impact plus significatif sur le développement économique des pays de la région.