Dans un récent communiqué publié par le Département d’État américain, les Etats-Unis annoncent l’octroi de 150 millions de dollars sur trois ans à Zipline International Inc., entreprise basée à San Francisco, fondée en 2014, spécialisée dans la conception, la fabrication et l’exploitation de drones de livraison, principalement pour des produits médicaux. Objectif: élargir les services sanitaires de Zipline au Rwanda, Ghana, Nigeria, Kenya et Côte d’Ivoire, et desservir 15.000 centres de santé et 100 millions de personnes (médicaments, sang).
Ce partenariat public-privé, présenté comme modèle de la stratégie «America First Global Health» , lie le versement de subvention aux performances et exige des gouvernements africains 400 millions de dollars de frais d’utilisation. Le Rwanda signera en premier.
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Washington promeut ainsi la technologie US contre les «infrastructures alternatives», faisant allusion aux offres chinoises. L’accord vise à créer des emplois locaux, renforcer les systèmes de santé et contrer l’influence étrangère via l’export d’expertise américaine.
A y voir de plus près, cette annonce américaine marque un tournant dans l’aide sanitaire étrangère des États-Unis. Si le financement américain capte l’attention, l’engagement financier massif des cinq gouvernements africains partenaires– jusqu’à 400 millions de dollars en frais d’utilisation– constitue le véritable pivot de cette initiative, illustrant la nouvelle doctrine «America First» du président Donald Trump tout en posant des défis de pérennité pour les systèmes de santé africains.
Ces cinq nations émergent clairement comme un groupe phare dans l’adoption de technologies sanitaires innovantes sous ce nouveau paradigme américain. Le Rwanda, où Zipline opère depuis 2016, est cité comme le premier signataire attendu, confirmant son statut de laboratoire africain de la santé digitale. Son leadership, rejoint par des poids lourds d’Afrique de l’Ouest (Ghana, Nigéria, Côte d’Ivoire) et un d’Afrique de l’Est (Kenya), dessine une alliance géographique stratégique. Ces pays s’illustrent par leur volonté de co-investir massivement dans une infrastructure technologique américaine pour résoudre des défis logistiques critiques, visant 15.000 établissements de santé et 100 millions de personnes.
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Soulignons que le mécanisme financier est novateur mais exigeant. Comme l’explique le communiqué du Département d’Etat Américain, «cette stratégie public-privé utilise des paiements basés sur l’atteinte d’étapes et des engagements de cofinancement avec les gouvernements partenaires pour assurer la durabilité et la participation des gouvernements bénéficiaires». Concrètement, les fonds américains (jusqu’à 150 millions de dollars) sont débloqués progressivement sur la base de résultats, après la signature par les gouvernements de contrats engageant leur propre financement pour les services logistiques continus.
Ce modèle PPP strictement «pay-for-performance» répond directement aux critiques de l’administration Trump sur l’inefficacité passée. «Aujourd’hui, moins de 40% de l’aide étrangère pour la santé va aux fournitures de première ligne et aux agents de santé», le reste étant absorbé par les coûts de gestion. Ici, le financement américain cible spécifiquement le déploiement technologique «made in USA», tandis que les pays africains assument le coût opérationnel récurrent. Cela dit, il y a de quoi souligner ici un défi majeur: la soutenabilité à long terme de l’engagement des parties africaines, malgré l’objectif affiché de «renforcer des systèmes de santé résilients et durables».
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Disons que le partenariat Zipline s’érige en archétype opérationnel de la «America First Global Health Strategy», stratégie qui redéfinit radicalement l’approche américaine de l’aide sanitaire mondiale. Comme l’affirme Jeremy Lewin, sous-secrétaire d’État américain chargé de l’aide étrangère, des affaires humanitaires et de la liberté religieuse, cet accord incarne un «partenariat innovant et axé sur les résultats au cœur de l’agenda d’aide étrangère America First». Son architecture épouse méticuleusement les trois piliers de la doctrine: sécurité sanitaire, renforcement des alliances bilatérales et prospérité économique américaine.
La dimension «Plus Sûr» (Safer) de la stratégie américaine se manifeste par l’utilisation des drones comme bouclier épidémiologique pour les États-Unis. La stratégie explicite l’objectif de protéger l’Amérique en surveillant et en aidant à contenir rapidement les épidémies avant qu’elles n’atteignent les côtes américaines. Les capacités logistiques de Zipline– livraison ultrarapide de produits sanguins, vaccins et traitements en zones reculées – répondent directement à cet impératif sécuritaire. En accélérant la réponse locale aux foyers infectieux (paludisme, Ébola, choléra), le dispositif vise à circonscrire les menaces sanitaires à la source, réduisant le risque d’importation vers le territoire américain.
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L’axe «Plus Fort» (Stronger) se concrétise par la contractualisation rigoureuse des accords. La stratégie promeut des accords bilatéraux pluriannuels fondés sur des investissements conjoints et des repères de performance. Le modèle Zipline en est la traduction littérale: chaque gouvernement africain partenaire signe un contrat engageant sur des millions de dollars de cofinancement, tandis que les fonds américains (150 millions de dollars) sont débloqués progressivement sur preuve de résultats. Ce mécanisme conditionnel renforce les liens bilatéraux avec les cinq nations clés (Rwanda, Ghana, Nigeria, Kenya, Côte d’Ivoire), tout en instaurant une discipline financière et opérationnelle inédite. Ce qui matérialise le virage de Washington vers une logique de partenariat plutôt que d’assistanat, selon les termes du State Department.
Enfin, le pilier «Plus Prospère» (More Prosperous) révèle la dimension économique stratégique. La doctrine stipule que les États-Unis se rendront plus prospères en promouvant l’innovation sanitaire américaine dans le monde et en contrecarrant les exportations d’infrastructures financées par la dette – référence transparente aux investissements chinois en Afrique. Le communiqué est sans ambiguïté. «Le département d’État s’engage à élargir les marchés des entreprises américaines. L’expertise américaine est l’investissement infrastructurel privilégié en Afrique».
Ce partenariat enchaîne ainsi trois leviers de prospérité américaine: il ouvre un marché africain captif à une entreprise californienne (Zipline), consolide l’hégémonie technologique US face à la concurrence étrangère, et sécurise des revenus récurrents pour l’industrie américaine via des contrats de service pluriannuels. Si les bénéfices sanitaires pour les populations africaines sont réels, ce dispositif sert simultanément les intérêts commerciaux de Washington, transformant l’aide publique en vecteur d’expansion économique.
Une triple adéquation avec la stratégie «America First» qui illustre une reconfiguration fondamentale: la santé globale devient un instrument de puissance, où l’innovation technologique américaine sert à la fois des objectifs humanitaires, géopolitiques et mercantiles dans un cadre strictement défini par Washington.
Washington promeut ainsi la technologie US contre les «infrastructures alternatives», faisant allusion aux offres chinoises.
Comme l’on peut le constater, le Rwanda, le Ghana, le Nigéria, le Kenya et la Côte d’Ivoire font ainsi un pari ambitieux. Ils s’engagent financièrement à très grande échelle (400 millions de dollars) dans une technologie étrangère prometteuse pour la santé rurale, dans un cadre dicté par la nouvelle doctrine américaine. Ce PPP «pay-for-performance» cherche à éviter les écueils de la dépendance et du gaspillage dénoncés par Washington. Cela dit, il est à souligner cependant le risque d’une nouvelle forme de dépendance technologique et financière, où la pérennité repose entièrement sur la capacité des budgets nationaux à absorber des coûts récurrents élevés.
Si le potentiel d’amélioration de l’accès aux médicaments et au sang dans des zones reculées est réel, ce modèle, présenté comme «une nouvelle ère de la diplomatie», illustre surtout une relation Afrique-USA redéfinie: pragmatique, axée sur les résultats tangibles et les intérêts américains, mais exigeant des pays africains partenaires un engagement financier sans précédent et une responsabilité accrue dans le financement de leur propre système de santé. L’avenir dira si cet investissement massif de 400 millions de dollars par les cinq gouvernements produira les systèmes «résilients et durables» promis, ou s’il représentera un fardeau financier difficile à porter à long terme.
Stratégie «America First»: comment Zipline lie le Rwanda et 4 autres pays africains à un PPP exigeant
| Pays | Rôle dans le projet | Engagement financier (estimé) | Particularités |
|---|---|---|---|
| Rwanda | Premier signataire, laboratoire historique de Zipline (depuis 2016) | Part du total de 400 M$ | Leader africain en santé digitale, modèle de référence |
| Ghana | Partenaire clé en Afrique de l’Ouest | Part du total de 400 M$ | Intègre la technologie pour désenclaver les zones rurales |
| Nigeria | Poids lourd démographique et économique | Part du total de 400 M$ | Cible stratégique pour l’impact à grande échelle |
| Kenya | Pôle d’Afrique de l’Est | Part du total de 400 M$ | Hub technologique régional, complémentarité avec les innovations locales |
| Côte d’Ivoire | Partenaire ouest-africain | Part du total de 400 M$ | Renforcement des systèmes de santé face aux défis logistiques |













