«Notre société opère dans 38 pays, avec autant de régulateurs différents», déplore Jeremy Awori, PDG de la banque panafricaine Ecobank. «Chaque pays a ses propres lois, c’est très complexe. Et il faut ajouter les directives des différentes banques centrales, certaines règles internationales de finance...», ajoute-t-il à l’AFP en marge de l’évènement Africa CEO Forum organisé cette semaine à Abidjan.
Lors de ce sommet économique qui réunissait chefs d’entreprises et décideurs politiques, la question «d’accélérer l’émergence» d’une génération de «champions» africains a occupé une place centrale dans les débats.
Le continent africain compte aujourd’hui environ 345 sociétés qui font plus d’un milliard de dollars annuel de chiffre d’affaires. A titre de comparaison, l’Amérique latine en compte 210 et l’Inde 170.
Mais la dynamique n’est pas en faveur de l’économie africaine : le nombre de ces entreprises a reculé de 6% depuis 2015 alors qu’il a progressé de 30% en Amérique latine ou en Inde.
Pourtant, le potentiel économique de l’Afrique subsaharienne n’est pas mis en question.
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«D’ici 2050, 40% de la population sera africaine. Nous devons aider nos futurs champions à s’intégrer dans les chaînes de valeurs mondiales», a martelé le Premier ministre ivoirien Patrick Achi.
«Fragmentation du continent»
La question des échanges entre les pays africains eux-mêmes reste la grande zone d’ombre au tableau.
Les droits de douane - qui représentent une grosse partie des recettes fiscales dans plusieurs pays - peuvent dépasser 50% sur certains produits.
Et les barrières non-tarifaires, comme la longue attente aux frontières ou les divers formulaires à remplir pour exporter des marchandises, pénalisent encore plus lourdement le commerce continental.
Une étude de l’Union africaine (UA) avait par exemple constaté en 2014 que l’expédition d’un véhicule du Japon vers la Côte d’Ivoire coûtait trois fois moins cher que l’expédition du même véhicule de la Côte d’Ivoire vers l’Ethiopie.
«Le commerce intra-africain doit se développer, il ne représente que 20% des volumes d’échanges aujourd’hui. Le marché commun est un outil très important», pointe Olivier de Noray, directeur des ports et terminaux dans l’entreprise Africa Global Logistics.
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«La fragmentation de notre continent s’est aggravée ces dernières décennies. Chaque activité africaine a été négativement affectée par celle-ci», estime Wamkele Mene, secrétaire général de la Zone de libre échange continental africaine (Zlecaf).
Pour étayer son propos, il cite l’exemple de sociétés ayant des filiales au Rwanda et en République démocratique du Congo, distantes d’une vingtaine de kilomètres et pourtant contraintes de passer par une banque new-yorkaise pour faire des transferts d’argent entre les deux pays.
«Nous devons créer un marché unique pour tous nos pays, faire tomber les barrières et créer un cadre réglementaire harmonisé», martèle Wamkele Mene.
Officiellement entrée en vigueur en 2021, la Zlecaf est encore loin de ses objectifs de créer une seule grande zone commerciale en supprimant notamment la quasi totalité des droits de douane en 5 à 10 ans.
Selon le Fonds monétaire international (FMI), sa mise en oeuvre pourrait pourtant permettre une hausse de 10% du PIB réel médian par habitant et de 50% des échanges commerciaux entre les pays du continent.
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La souveraineté alimentaire de l’Afrique subsaharienne est également en jeu, la guerre en Ukraine ayant exposé au grand jour la dépendance de certains pays au blé russe et ukrainien.
«Nous ne pouvons pas continuer d’être dépendant, notamment des importations de produits agricoles», déplore Makthar Diop, directeur général de la Société financière internationale (IFC), une branche de la Banque mondiale.
«J’aimerais voir un continent avec des pays qui commercent davantage entre eux. Nous pourrions être auto-suffisants en nourriture, en engrais, et ne pas nous inquiéter de savoir où acheter des céréales quand il y a des crises», abonde Jeremy Awori.
«Les crises comme le Covid doivent permettre de réévaluer notre business model de manière positive. Si nous n’apprenons pas de ces crises multiformes : honte sur nous», conclut le patron d’Ecobank.