Le texte, qui doit être débattu prochainement au parlement, prévoit que cette batterie de nouvelles taxes rapportera 289 milliards de shillings (2 milliards d’euros) pour abonder le budget de 3.600 milliards de shillings (24 milliards d’euros) prévu pour 2023-24.
Mais il alimente aussi le mécontentement croissant contre le président William Ruto.
Elu l’an dernier en promettant d’améliorer le sort des « débrouillards » du petit peuple, le chef de l’Etat fait depuis face aux critiques, notamment après avoir supprimé des subventions coûteuses sur les carburants et la farine de maïs, dont les prix ont augmenté.
Il se défend en affirmant ne pas avoir d’autre choix, après avoir hérité d’une économie lourdement endettée par son prédécesseur Uhuru Kenyatta qui a multiplié les emprunts pour financer des projets d’infrastructure coûteux.
Dans son salon de beauté sur un marché de la capitale Nairobi, Rebecca Nyalesa s’inquiète du projet de loi à venir.
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«Ça va nuire à notre pouvoir d’achat», redoute cette coiffeuse de 45 ans: «Chaque fois que vous allez faire vos courses, vous constatez que les prix ont augmenté. Mais nos revenus n’ont pas augmenté. La vie est très dure.»
Coiffeuse depuis 30 ans, elle craint que les taxes prévues sur divers de produits de beauté - perruques, faux cils, faux ongles, etc - ne dissuadent sa clientèle, qui s’est déjà raréfiée ces derniers mois.
«Avant, je pouvais tresser six personnes par jour. Maintenant, c’est deux ou trois», explique-t-elle.
Une cliente, Rose Achieng, confirme: elle avait l’habitude de venir se faire coiffer trois ou quatre fois par mois, mais désormais ce n’est plus qu’une fois. «On en arrive au point où on doit décider si on veut se coiffer ou acheter à manger», explique cette mère de deux enfants, âgée de 29 ans.
«Le manuel du FMI»
Déjà ébranlée par la pandémie de Covid, l’économie la plus dynamique d’Afrique de l’Est combat aujourd’hui les conséquences de la guerre en Ukraine et de la sécheresse qui frappe la Corne de l’Afrique, qui sont venues alimenter l’inflation (+7,9% sur un an en avril).
En mars, la banque centrale a abaissé ses prévisions de croissance pour 2023 à 5,8%, contre 6,1% précédemment.
Le Kenya croule également sous une montagne de près de 65 milliards d’euros de dettes, qui inquiète les agences de notation, dont Moody’s qui a abaissé la semaine dernière la note de la dette souveraine du pays.
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William Ruto assure prendre les «bonnes décisions» pour redresser l’économie et les finances publiques face aux demandes de réformes du Fonds monétaire international (FMI).
«Beaucoup de gens disent que vous ne pouvez pas augmenter les impôts et rester riche, et c’est vrai. Mais accumuler des dettes jusqu’à la faillite n’est pas une solution», a-t-il déclaré à des journalistes dimanche, en assurant: «Nous ne sur-imposons pas.»
Pour l’économiste kényan Reginald Kadzutu, ce projet de loi est tiré du «manuel du FMI». «Lorsque vous êtes proche du défaut de paiement et qu’il vous faut négocier, vous devez prouver que vous avez la capacité à générer suffisamment de revenus et le seul moyen est de taxer tout ce qui est possible», explique-t-il.
«Tsunami d’impôts»
L’une des dispositions les plus controversées est un prélèvement de 3% sur les salaires de tous les contribuables pour financer un programme de logement à bas prix.
De nombreuses denrées alimentaires, comme le poisson importé, le sucre raffiné localement, les jus en poudre et les pâtes alimentaires produites localement, feront également l’objet de taxes.
Le gouvernement prévoit également de doubler (à 16%) la TVA sur la plupart des produits pétroliers. Cette hausse s’ajoutera à celle de 9% observée cette semaine sur le prix du carburant au détail, après que le gouvernement a supprimé des subventions.
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D’autres propositions incluent une taxe de 3% sur le transfert d’actifs numériques comme les cryptomonnaies et une augmentation de la taxe sur les jeux de hasard à près de 20% du montant misé.
Le texte n’épargne pas non plus les influenceurs et autres fournisseurs de contenu sur les réseaux sociaux, qui verront leurs revenus soumis à un impôt de 15%.
Dénonçant un «tsunami d’impôts», le leader de l’opposition, Raila Odinga, a menacé de faire descendre les Kényans dans la rue.
«Nous n’aurons pas d’autre choix que de mobiliser tous les secteurs sociaux et de prendre toutes les mesures politiques nécessaires pour faire cesser ce fardeau», a déclaré M. Odinga, qui a organisé quatre journées d’action, parfois violentes (3 morts), fin mars et début mai, pour dénoncer notamment la hausse du coût de la vie.
Pour Josiah Burudi, coursier moto de 52 ans, William Ruto a renié sa promesse d’améliorer la vie des Kényans ordinaires: «C’est comme si on nous avait mené en bateau. La vie devient de pire en pire.»