Voici une annonce qui dépasse la simple actualité technique. L’annonce conjointe de l’Agence des États-Unis pour le commerce et le développement (USTDA) et l’opérateur d’infrastructures télécoms spécialisé dans la fourniture de services Internet et de données AFR-IX Telecom, le 18 septembre 2025, concernant le financement d’une étude de faisabilité pour étendre le câble sous-marin Medusa à la côte atlantique africaine.
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A la clé de cette extension, le mégaprojet augmenterait l’accès numérique pour des centaines de millions de personnes dans 22 pays africains.
Une annonce qui révèle des enjeux stratégiques et économiques majeurs pour le Maroc, l’Algérie, la Tunisie, la Libye, le Gabon et la République Démocratique du Congo (RDC), et qui n’est rien d’autre qu’un énième projet financé par les Etats-Unis pour contrer l’influence grandissante de la Chine sur les infrastructures critiques africaines.
Le communiqué de l’USTDA, relayé par le Département d’État américain est remarquablement explicite. Il ne s’agit pas seulement d’étendre la connectivité, mais de promouvoir des «infrastructures numériques fiables» et de contrer d’autres acteurs que les américains qualifient de «malveillants». La citation de Thomas R. Hardy, directeur par intérim de l’USTDA, est sans équivoque. «L’implication de l’USTDA dans ce projet contribuera à le protéger contre les fournisseurs d’infrastructures non fiables susceptibles de manipuler les marchés, d’intercepter des données et d’exercer une surveillance au détriment des États-Unis et de nos partenaires africains».
Un discours qui positionne directement le projet dans la compétition stratégique entre les États-Unis et d’autres puissances technologiques, notamment la Chine, dont les entreprises sont des acteurs majeurs des infrastructures en Afrique. L’objectif est donc double: sécuriser les flux de données selon des standards américains et créer des débouchés pour les technologies US (IA, quantique, 6G).
Lors d'une opération de déploiement d'un câble sous-marin par le spécialiste chinois Ningbo Orient Wires & Cables. Le type de projet que les Etats-Unis voient d'un mauvais œil.. NBO
Géopolitique et sécurité des données
La phase initiale de Medusa, dont la mise en service est imminente, ancre solidement les pays du Maghreb– Maroc, Algérie, Tunisie, Libye– dans un réseau paneuropéen et méditerranéen. En les connectant directement à l’Europe via un câble à haute capacité (24 paires de fibres, 20 Tbps par paire), une étape qui renforce leur position de hubs numériques régionaux. C’est dire que l’extension atlantique financée par l’USTDA change radicalement la donne. Elle transforme Medusa d’un axe Nord-Sud en un véritable anneau numérique ceinturant l’Afrique du Nord et une partie de l’Ouest.
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Les implications pour les pays mentionnés sont distinctes. Pour le Maghreb, ces pays passent du statut de terminus à celui de plaques tournantes (hubs) critiques sur une autoroute de données majeure. Ce qui peut attirer des investissements dans des data centers et des services cloud, profitant de leur position géostratégique entre l’Europe et l’Afrique subsaharienne.
Soulignons aussi qu’en plus de bénéficier de l’augmentation de bande passante (20Tbps/paire), les pays du Maghreb deviennent aussi des cibles potentielles dans la compétition géopolitique des infrastructures.
Pour ce qui est de l’extension Atlantique, seuls le Gabon (via l’accord avec ACE) et la RDC sont cités comme points d’atterrissement potentiels. L’absence de détails sur les 20 autres pays cibles et les routes précises souligne le stade préliminaire de l’extension. Pour le Gabon et la RDC, l’enjeu immédiat est la confirmation de leur statut de portes d’entrée numériques majeures pour l’Afrique centrale et australe via l’accès à une infrastructure «de confiance» promue par les USA.
Mécanismes financiers et pilotage Américain
Comme le souligne Norman Albi, PDG d’AFR-IX, le soutien de l’USTDA est «véritablement catalyseur» pour transformer une vision en projet «bancable». Ce financement d’étude, s’ajoutant aux 14,3 millions d’euros de l’UE, est une stratégie éprouvée. L’USTDA utilise des fonds publics limités pour structurer des projets favorisant les entreprises et normes américaines. L’étude de faisabilité, confiée par AFR-IX exclusivement à des entreprises américaines (via le processus d’appel d’offres sur ustda.gov), garantit que les solutions techniques, les normes de sécurité et les futurs fournisseurs d’équipements seront fortement influencés par les intérêts américains.
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Le choix d’AFR-IX, opérateur axé sur l’Afrique, permet à l’USTDA de s’appuyer sur une expertise locale tout en gardant le pilotage stratégique et technologique américain. L’extension Medusa devient un outil de consolidation des «partenariats numériques à long terme avec les États-Unis».
Finance, santé, éducation et commerce électronique
Pour les six pays concernés, l’arrivée de bande passante supplémentaire et diversifiée (hors monopoles existants) fera mécaniquement baisser les coûts d’accès internet pour les opérateurs locaux et les entreprises. La promesse de «haut débit» facilitera les services cloud, les transactions financières et les communications gouvernementales.
Le projet annonce aussi des opportunités pour les écosystèmes numériques locaux. Une bande passante accrue et moins chère stimule l’innovation locale (startups, fintech), l’e-commerce et l’inclusion numérique. Les gouvernements (via leurs entités comme l’Agence de Tocantins au Brésil citée sur USTDA.gov) pourront développer des services publics numériques plus performants.
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Cela dit, l’étude de faisabilité financée par l’USTDA est un tremplin pour les entreprises américaines des télécoms, de la cybersécurité et du cloud. En «recommandant des normes américaines et des alternatives aux fournisseurs d’infrastructures non fiables», comme le souligne Thomas R. Hardy, directeur par intérim de l’USTDA, elles se positionnent dès l’amont pour remporter les futurs contrats de déploiement et d’exploitation. Les appels d’offres pour l’étude et le futur projet généreront des revenus directs pour ces entreprises.
Si l’infrastructure est critique et «sécurisée» selon les standards US, elle accroît aussi la dépendance technologique vis-à-vis des fournisseurs américains. Ainsi, la «souveraineté des données» des pays africains reste un enjeu complexe: les données transiteront par une infrastructure promue et partiellement contrôlée par une puissance étrangère, malgré les bénéfices immédiats en termes de sécurité face à d’autres acteurs perçus comme menaçants. La participation d’Orange (européen) et de l’UE dans Medusa introduit une nuance, mais l’extension atlantique est clairement sous bannière US. A côté d’Orange, l’on peut aussi citer Nokia, lui aussi européen. En juillet 2025, l’opérateur annonçait avoir été sélectionné pour alimenter le système de câble sous-marin Medusa.
Ainsi, comme l’on peut le constater, l’extension Medusa financée par l’USTDA est bien plus qu’un projet d’infrastructure. C’est un pivot géopolitique et économique pour les côtes africaines. Pour le Maghreb, elle renforce leur statut de carrefour mais les expose aux tensions internationales. Pour le Gabon et la RDC (et potentiellement 20 autres), c’est une promesse d’accélération numérique, conditionnée par l’adoption de normes et technologies américaines.
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Les acteurs économiques locaux bénéficieront d’une connectivité améliorée et moins coûteuse, stimulant l’innovation et le commerce. Cependant, cette opportunité s’accompagne d’une réalité: le renforcement de l’influence stratégique et commerciale des États-Unis sur les infrastructures numériques critiques africaines, présentée comme un rempart contre d’autres influences mais suscitant des interrogations sur la souveraineté numérique à long terme. La réussite économique pour les pays riverains dépendra de leur capacité à négocier et tirer parti de ces nouvelles connexions tout en préservant leurs intérêts stratégiques nationaux dans un jeu d’influences globalisé.
Médusa: le câble sous-marin qui attise la guerre froide numérique États-Unis/Chine en Afrique
Aspects | Détails clés |
---|---|
Projet | Extension du câble sous-marin Medusa à la côte atlantique africaine. |
Financement/Pilotage | - États-Unis via l’USTDA (Agence pour le commerce et le développement). - Étude de faisabilité financée et confiée à des entreprises américaines. |
Objectifs affichés | - Augmenter l’accès numérique pour 22 pays africains. - Promouvoir des « infrastructures numériques fiables ». - Contrer l’influence chinoise en Afrique. |
Pays africains concernés | Phase initiale : Maroc, Algérie, Tunisie, Libye. Extension atlantique : Gabon, RDC, + 20 autres pays cibles. |
Enjeux géopolitiques | - Rivalité États-Unis/Chine pour le contrôle des infrastructures critiques. - Sécurisation des flux de données selon les standards américains. - Promotion des technologies US (IA, quantique, 6G). |
Bénéfices techniques | - Capacité : 24 paires de fibres, 20 Tbps par paire. - Baisse des coûts d’accès Internet. - Stimulation de l’innovation locale (fintech, e-commerce). |
Risques/Enjeux | - Dépendance technologique vis-à-vis des États-Unis. - Souveraineté numérique des pays africains compromise. - Exposition aux tensions géopolitiques (Maghreb comme cible stratégique). |
Acteurs impliqués | - AFR-IX Telecom (opérateur). - UE (cofinancement de 14,3M€). - Orange, Nokia (partenaires européens dans la phase initiale). |
Source: USTDA, Départementd’État américain.