Les récents défaillance de New World TV, acteur majeur parmi les détenteurs de droits de diffusion des compétitions de la CAN 2025, incapable de diffuser certains matchs clés des phases éliminatoires, rappellent l’urgence d’investir dans des compétences locales. C’est dans ce contexte que la CAF a récemment lancé une initiative majeure: l’Académie de radiodiffusion et le Programme des directeurs de télévision à Johannesburg. L’atelier inaugural s’est tenu pour les pays anglophones avec 18 directeurs de télévision de 16 pays réunis dans les studios SuperSport.
Cette démarche, présentée comme un pilier de la vision du président de la CAF, Patrice Motsepe pour rendre le football africain «compétitif à l’échelle mondiale», révèle une stratégie beaucoup plus ambitieuse, mêlant enjeux économiques, technologiques, géopolitiques et quête de légitimité.
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En formant une génération de techniciens et de managers africains, la CAF cherche à réduire sa dépendance envers des prestataires externes, à endiguer le piratage- favorisé par les écrans noirs- et à capter une part plus large des 2,2 milliards de flux numériques générés par ses compétitions.
Derrière les formations aux métiers de la réalisation, de la production ou de la gestion médiatique, se cache un triple objectif: contrer les critiques récurrentes sur la qualité des diffusions africaines, souvent jugées inférieures aux standards de l’UEFA, sécuriser des revenus médiatiques stables face à la concurrence croissante entre diffuseurs (Canal+, SuperSport, New World TV) et affirmer une souveraineté médiatique dans un secteur dominé par des acteurs étrangers.
Les coulisses d'un match de football.. DR.
En alignant ses standards sur ceux de l’Europe notamment, le football africain aspire à renégocier sa place dans l’économie globale du sport, où médias et droits de diffusion jouent un rôle crucial dans le financement du sport professionnel, notamment dans le football. En France, par exemple, les droits audiovisuels restent encore la première source de revenus du football professionnel, représentant entre 50 et 75 % des ressources hors transferts des clubs engagés, devant le sponsoring (31 %), les spectateurs, et les ventes de produits dérivés. Globalement, l’économie du sport est estimée à environ 2 % du PIB mondial.
Et pourquoi pas capitaliser sur le succès financier de la CAN 2023 — 1,4 milliard de téléspectateurs et 80 millions de dollars de bénéfices — pour transformer l’essai. Comme le résume Véron Mosengo-Omba, secrétaire général de la CAF : «C’est une démarche concrète pour résoudre nos défis de qualité et promouvoir le football africain à l’échelle mondiale.»
L’autre élément à noter est que l‘ombre d’HBS plane sur le projet. La structure spécialisée dans la production de retransmissions télévisées pour de grands événements sportifs reste une référence incontournable. L’atelier dédié aux directeurs de télévision est animé par le directeur de la Coupe du monde HBS/FIFA, et réalisateur de match pour des événements de football majeurs, Jamie Oakford.
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Rappelons que HBS, société entièrement détenue par Infront Sports & Media. Elle a été créée en 1999 principalement pour gérer la production des retransmissions de la Coupe du monde de football de la FIFA. L’entreprise a produit les retransmissions de plusieurs Coupes du monde, notamment celles de 2002 en Corée du Sud et au Japon, 2006 en Allemagne, 2010 en Afrique du Sud, et 2014 au Brésil. HBS travaille étroitement avec la FIFA pour fournir des services de production de haute qualité, incluant la gestion des signaux télévisés, la coordination des ressources, et l’innovation technologique pour améliorer l’expérience visuelle des spectateurs.
Réalités anglophones vs francophones
La CAF structure son Académie de radiodiffusion autour d’une segmentation volontaire entre pays anglophones et francophones, reflétant une compréhension fine des réalités hétérogènes du continent. En organisant un atelier inaugural à Johannesburg pour les anglophones (18 directeurs de 16 pays) et un autre prévu en avril 2025 pour les francophones, l’instance africaine adapte son approche aux spécificités linguistiques, mais aussi culturelles et médiatiques. Une dualité qui permet une adaptation technique ciblée.
Parallèlement, cette division répond à des enjeux infrastructurels asymétriques: en Afrique francophone, où les défis de connectivité et de maintenance technique sont exacerbés, les formations insistent certainement sur la résilience opérationnelle et la gestion de crise. À l’inverse, en zone anglophone, l’atelier s’appuie sur l’écosystème sud-africain, doté de studios de pointe (SuperSport) et d’une expertise en production broadcast de niveau mondial, pour élever les standards.
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Cette différenciation stratégique, loin d’être une simple question de langue, incarne une vision pragmatique visant à combler les écarts structurels tout en capitalisant sur les forces régionales, essentielle pour uniformiser la qualité des retransmissions à l’échelle continentale.
Articulation avec d’autres programmes
L’Académie de radiodiffusion n’est pas isolée. Elle s’articule avec d’autres programmes clés de la CAF, notamment le développement des infrastructures. Cette approche systémique a été illustrée en avril 2024 par un atelier à Rabat dédié aux inspecteurs de stades, où la CAF a insisté sur la nécessité de standards internationaux pour les «installations médiatiques» – éclairage, espaces de production, connectivité– et la sécurité. Comme l’explique Véron Mosengo-Omba, secrétaire général de la CAF, «la qualité du produit télévisuel est au cœur de la réalisation de cette objectif».
L’enjeu est double: des stades équipés permettent des diffusions haut de gamme qui attirent sponsors (comme TotalEnergies) et téléspectateurs, tandis que les revenus financent à leur tour des infrastructures modernes. Une dynamique amplifiée par des partenariats médiatiques stratégiques avec beIN Sport, Canal+ ou SuperSport, qui apportent expertise technique et visibilité continentale.
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Luxolo September, responsable de la télévision/diffusion commerciale de la CAF, résume cette vision, «nous travaillons avec nos partenaires pour faire de ce rêve une réalité». En parallèle, les investissements dans les ligues professionnelles et les compétitions féminines renforcent l’offre sportive, alimentant un écosystème où chaque élément– des terrains aux écrans– se nourrit mutuellement. L’objectif ultime étant de maximiser la valeur commerciale du football africain, en transformant des matchs locaux en spectacles médiatiques globaux. Cette synergie entre infrastructures, médias et compétitions constitue ainsi le socle d’une ambition plus vaste: faire de l’Afrique un hub footballistique autonome, où la qualité des retransmissions ne dépend plus de prestataires externes, mais d’une chaîne de valeur entièrement maîtrisée.
Qui paie l’ambition ?
Les détails spécifiques sur le budget alloué à cette initiative ne sont pas mentionnés dans les sources disponibles. Cela dit, l’Académie de diffusion de la CAF est financée principalement par la Confédération Africaine de Football (CAF) elle-même. C’est le lieu de rappeler que les ressources financières de la CAF s’articulent autour de quatre piliers stratégiques.
En tête, les sponsorings et partenariats commerciaux constituent la colonne vertébrale, avec en figure de proue le contrat renouvelé avec TotalEnergies jusqu’en 2028, évalué à 375 millions de dollars sur quatre ans. Ce partenariat historique, qui couvre des événements majeurs comme la Coupe d’Afrique des Nations (CAN) et le Championnat d’Afrique des Nations féminin, est complété par des alliances avec des diffuseurs internationaux (beIN Sport, Canal+, SuperSport) et des marques locales, renforçant ainsi la stabilité financière de l’instance.
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Les droits médiatiques représentent un deuxième levier essentiel: la CAN 2023, diffusée dans 180 pays, a généré 1,4 milliard de téléspectateurs et 2,2 milliards de flux numériques. Des chiffres qui se traduisent par des revenus substantiels via la vente de droits exclusifs à des opérateurs comme New World TV ou Canal+. Ces droits, couplés à des accords de sous-licence avec des chaînes locales et une gestion centralisée des contenus numériques, permettent à la CAF de maximiser sa rentabilité tout en élargissant sa portée continentale.
Enfin, l’autre source des ressources est interne à la CAF: les efforts réalisés en termes de gestion plus rigoureuse afin d’améliorer les finances. Le rapport financier audité de la période 2022-2023 et le budget 2024-2025, publié au terme de la 46e Assemblée Ordinaire de la CAF qui s’est tenue à Addis Abeba le 22 octobre 2024, fait état d’une réduction de 68 % du déficit en 2023- passant de 28,9 à 9,2 millions USD- et d’un bénéfice net anticipé de 11,7 millions de dollars pour la période 2024-2025. Des chiffres qui démontrent une maîtrise accrue des coûts, couplée à une hausse des recettes issues de l’organisation directe de compétitions. La CAN 2023, par exemple, a généré 80 millions de dollars de profits, confirmant le potentiel économique des événements sportifs africains.
Ces ressources combinées financent non seulement des projets structurants comme l’Académie de radiodiffusion, mais aussi des programmes de développement des infrastructures, des ligues professionnelles et des initiatives jeunesse, consolidant ainsi l’écosystème footballistique du continent.
Une volonté de rupture
Conçue pour former des professionnels locaux capables de produire des retransmissions de qualité, la durabilité de l’Académie dépend donc étroitement de la capacité de la CAF à sécuriser des flux financiers stables. Or, une baisse des revenus issus des droits TV (liée à des diffuseurs défaillants) ou un retrait de partenaires comme TotalEnergies pourrait compromettre ces programmes.
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Par ailleurs, la CAF doit composer avec un contexte économique africain volatile, où les devises locales fluctuent et où les priorités d’investissement des États varient. L’Académie, bien que symbolisant une avancée majeure, incarne ainsi le paradoxe du football africain: ambitieux dans ses projets, mais encore tributaire d’équilibres financiers précaires, où chaque panne technique ou crise de confiance avec un diffuseur peut remettre en cause des années d’efforts.
Ainsi, l’Académie de radiodiffusion de la CAF incarne une volonté de rupture. En combinant formation, partenariats stratégiques et investissements infrastructurels, la CAF cherche à transformer le football africain en un produit médiatique global. Cependant, son succès dépendra de sa capacité à surmonter les fractures techniques, à fidéliser des diffuseurs fiables et à convertir l’engouement des supporters en revenus durables.
L’enjeu dépasse donc le sport: il s’agit de positionner l’Afrique comme un acteur médiatique incontournable, capable de rivaliser avec les géants mondiaux tout en préservant son identité.
Les principaux protagonistes
Protagoniste | Rôle/Fonction | Impact/Contribution |
---|---|---|
CAF | Confédération Africaine de Football | Porteuse de la stratégie globale (académie de radiodiffusion, standardisation des stades, sécurisation des revenus) |
Patrice Motsepe | Président de la CAF | A l’origine de la transformation du football africain en produit médiatique mondial |
Véron Mosengo-Omba | Secrétaire général de la CAF | Pilote la mise en œuvre des projets (qualité des retransmissions, infrastructures) |
Luxolo September | Responsable de la télévision/diffusion commerciale à la CAF | Coordonne les partenariats médiatiques et la valorisation des droits TV |
HBS (Host Broadcast Services) | Société spécialisée dans la production d’événements sportifs (détenue par Infront Sports & Media) | Référence technique pour la formation des professionnels africains (expertise FIFA) |
Jamie Oakford | Directeur de la Coupe du monde HBS/FIFA et formateur | Anime les ateliers de formation pour les directeurs de télévision africains; |
TotalEnergies | Partenaire sponsor majeur de la CAF | Financement clé (contrat de 375 millions de dollars sur 4 ans) pour les compétitions |
Les 54 associations membres | Fédérations nationales affiliées à la CAF | Participent aux décisions stratégiques et à la mise en œuvre des projets continentaux; |
SuperSport | Groupe médiatique sud-africain (MultiChoice) | Partenaire technique et diffuseur majeur en Afrique anglophone, apporte son expertise en production; |
beIN Sport | Groupe médiatique (basé au Qatar) | Acquiert les droits de diffusion des compétitions CAF, renforce la visibilité du football africain; |
Canal+ | Groupe médiatique français | Diffuseur historique des compétitions CAF, actif dans la sous-licence des droits en Afrique francophone; |
Source : CAF.