Sauf énième report, les premiers mètres cubes de gaz devraient sortir des puits du champ gazier Grand Tortue Ahmeyim, au large des côtes sénégalo-mauritaniennes et à plus de 2.750 mètres en profondeur. Cet important gisement, dont les réserves sont estimées à 450 milliards de m3 de gaz, suscite autant d’espoirs en Mauritanie qu’au Sénégal qui ont décidé, d’un commun accord, de partager la ressource. Le projet est opéré par le Britannique BP qui détient 60%, l’Américain Kosmos Energy (30%), ainsi que les compagnies nationales sénégalaise Petrosen et mauritanienne SMH pour 5% chacune.
Seulement, ce n’est plus uniquement la date du démarrage du projet qui suscite des interrogations chez les autorités mauritaniennes et sénégalaises après moult reports. Ce sont aussi et surtout les coûts pétroliers de ce projet avancés par BP qui sont à l’origine de suspicions légitimes de la part des deux pays. Ces coûts se répartissent entre les dépenses de recherche, les investissements de développement, les dépenses d’exploitation, les provisions constituées du fait des travaux …
Les principaux coûts du projet sont: la construction d’un brise-lames en haute mer qui abrite l’usine de liquéfaction pour laquelle un contrat de type EPC de 350 millions de dollars a été confié au consortium franco-italien Eiffage-Saipan, l’ingénierie marine d’extraction de gaz pour 750 millions de dollars en contrat mode EPCI, le navire flottant de production, du stockage et de développement (FPSO) pour un montant d’environ un milliard de dollars remporté par TechnipFMP en contrat mode EPCIC qui va de la construction à l’opérationnalisation, et, enfin, l’usine flottante de liquéfaction du gaz (FLNG) d’une valeur de 1,3 milliard de dollars en mode contrat location et exploitation pour une durée de 20 ans.
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Au total, les coûts des quatre contrats avoisinaient les 3,5 milliards de dollars au moment de leur signature. Seulement, ces montants ont été fortement revus à la hausse entre la date de leur signature et celle de la livraison, à cause de nombreux facteurs dont les effets du Covid-19. Sont également avancés l’allongement de la durée de réalisation de ces infrastructures dû aux retards dans l’exécution du projet qui devait démarrer depuis 2022, la faillite de la multinationale américaine Mc Dermott spécialisée dans l’ingénierie technique et partenaire de BP et qui était en charge de la construction des infrastructures sous-marines du projet expliqueraient également cette hausse des coûts finaux.
De ce fait, l’investissement initial estimé en 2018 à 5 milliards de dollars, aurait doublé à plus de 10 milliards de dollars. Déjà en 2020, Hassana Mbeirick, spécialiste des négociations commerciales internationales et ancien directeur de SNC-Lavalin Mauritanie, avançait, dans les colonnes de Financial Afrik que «BP est aujourd’hui à presque déjà 10 milliards d’investissements». Depuis lors, les retards se sont accumulés et les dépenses ont continué à grimper.
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Malin qui, aujourd’hui, avancerait le coût pétrolier global que BP annoncera pour la première phase du projet qui devrait permettre à la plateforme de produire 2,5 millions de tonnes de gaz naturel liquéfié (GNL) par an qui seront exportés via des méthaniers et le terminal construit à 10 km des côtes.
Plus ces coûts sont élevés, plus le montant que BP récupèrera le sera également. Et pour la récupération des coûts pétroliers, BP, dans le cadre du contrat de partage de production, pourra retenir chaque année une portion de la production totale définie par les parties contractantes
Une situation qui explique qu’avant même le démarrage du projet, la Mauritanie et le Sénégal ont clairement signifié à BP qu’ils ne sont pas d’accord sur les coûts avancés, les jugeant surévalués par rapport à ceux annoncés au départ. Soupçonnant BP d’avoir surfacturé les coûts du projet GTA, les gouvernements mauritanien et sénégalais ont sollicité, en janvier 2024, des audits pour mieux appréhender la réalité des charges engagées par le pétrolier britannique.
C’est ainsi qu’en début d’année, après des rencontres entre chefs d’Etat et ministres concernés, les deux pays ont initié, chacun de son côté, un audit sur les coûts du projet. La Mauritanie a opté pour l’expertise d’un cabinet tunisien, Samir Labidi, l’ancien régime sénégalais a choisi le Français Mazars.
Premier à rendre sa copie le cabinet d’experts-comptables tunisiens Samir Labidi, est spécialiste des coûts pétroliers et compte de nombreux experts. Selon les résultats de cette expertise dévoilée par Africa Intelligent, le cabinet tunisien a émis, dans son rapport remis au ministre mauritanien du Pétrole des réserves sur plusieurs centaines de millions de dollars de dépenses revendiqués par BP sur le bloc 8, dans la partie mauritanienne du gisement GTA. Partant, «le cabinet propose ainsi à l’Etat mauritanien de refuser ces coûts tant que l’opérateur n’aura pas communiqué suffisamment d’éléments probants pour les justifier», selon les indiscrétion obtenues par Africa Intelligence.
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Après les résultats de l’audit commandité par la Mauritanie, celui du Sénégal vient confirmer la surfacturation des coûts pétroliers par BP, à la tête du consortium qui exploite le gisement offshore du Grand Tortue Ahmeyim, à cheval entre les eaux des deux pays.
Toujours selon Africa Intelligence, BP a évalué ses «coûts récupérables» à 4,1 milliards de dollars. Cependant, d’après le rapport de Mazars qu’Africa Intelligence assure avoir consulté, les dépenses mentionnées par BP soit 2,8 milliards de dollars correspondent à des «coûts documentés non récupérables au regard des règles contractuelles», et à des «coûts insuffisamment justifiés ou documentés» pour environ 1,8 milliard de dollars. Parmi les dépenses qui suscitent des suspicions, 1,5 milliard de dollars sont occasionnés par une «modification des termes contractuels» que BP impute à l’impact du Covid-19, aux «taxes additionnelles» et à l’«effet du change.»
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Selon Mazars, cité par Africa Intelligence, seul un quart de cette somme s’inscrit en réalité dans la catégorie des coûts pétroliers à récupérer. D’où un gap énorme entre le montant des coûts récupérables annoncé par BP. Ce dernier doit prouver ces coûts, son respect des procédures et apporter la preuve qu’ils sont dûment justifiés. Les griefs sont relatifs au processus de sélection des sous-traitants, à l’attribution de certains appels d’offres, à des missions accordées à des entités liées à BP sans appel d’offres, à l’évaluation du temps de travail des équipes de BP,… Autant de facteurs qui contribuent à alimenter les suspicions quant à la véracité des coûts avancés par le pétrolier britannique.
En clair, selon les deux cabinets, les coûts avancés par BP sont fortement surévalués. Et ces coûts récupérables seront ponctionnés sur le dos de la Mauritanie et du Sénégal. Face à cette situation, les deux pays contestent les coûts pétroliers avancés par BP et se sentent floués par cette inflation des coûts qui va minorer les revenus futurs qu’ils vont engranger durant les premières années d’exploitation, comptent agir ensemble pour obtenir gain de cause et donc une nette révision à la baisse des coûts pétroliers avancés par BP.
En conséquence de quoi, la hausse des coûts ayant une incidence sur les bénéfices, cela signifie que cette surfacturation aura des impacts sur les recettes fiscales générées par le projet. C’est dire que le gonflement des coûts pétroliers par BP représente une menace pour les recettes gazières publiques des deux pays.
Au-delà des coûts, les deux pays souhaitent une «renégociation globale». Il faut souligner que les nouvelles autorités sénégalaises avaient fait de la révision des contrats pétroliers, gaziers, miniers…, signés avec les multinationales étrangères, une priorité.
Et pour cause, BP est aussi pointé du doigt pour non-respect du contenu local dans le cadre de la réalisation du projet.
Autant de griefs qui font que les relations entre les parties prenantes risquent de se tendre d’ici le démarrage de l’exploitation et au cours des premières années d’exploitation.
Une chose est sure, les deux pays ne pourront pas passer ces faramineux montants à perte et profit. S’il est difficile de réviser le contrat avec BP en raison des clauses de stabilisation qui permettent aux multinationales de se prémunir des risques politiques et ainsi se mettre à l’abri des changements économiques et législatifs, il n’en est pas de même de la surfacturation. BP doit prouver le contraire, sinon elle sera obligée de revoir ces comptes.
Les audits des cabinets indépendants entre les mains, la Mauritanie et le Sénégal peuvent au moins obliger le pétrolier britannique à revoir ses calculs et ce d’autant plus que les griefs portés par les cabinets d’audit sont nombreux et documentés.
Face à cette situation, le nouveau régime sénégalais a déjà mis en place une commission de hauts fonctionnaires pour plancher sur la question. Le gisement étant exploité par les deux pays, la Mauritanie et le Sénégal comptent unir leurs forces face à BP.
À ce titre, il faut noter que le ministre de l’Économie et des Finances mauritanien, Sid’Ahmed ould Bouh, a tenu, jeudi 5 décembre 2024 à Londres, des discussions avec David Campbell, vice-président de la société BP et responsable régional pour la Mauritanie et le Sénégal. Sans donner de précision, le ministère mauritanien avance que les échanges ont porté sur les préparatifs finaux en vue de l’exploitation imminente du gaz naturel provenant de GTA prévue début 2025… Si les yeux des différentes parties sont rivés sur le démarrage de l’exploitation, ce problème de surfacturation risque de tendre davantage les relations entre les différents partenaires du projet.