L’épargne des ménages africains est là. Les outils sont prêts. Le temps pour les pays africains est cependant compté. C’est dans ce contexte que la 5ème édition de l’Africa Financial Summit (AFIS) 2025 réunit pendant deux jours à Casablanca (3-4 novembre) les experts et décideurs du secteur financier africain et internationaux, ainsi que des décideurs publics.
L’évènement s’est ouvert sous le signe d’une double dynamique: la célébration d’une victoire diplomatique marocaine historique consacrant sa souveraineté sur son Sahara et la mobilisation collective pour une autonomie financière africaine.
Les discours d’ouverture de Nadia Fettah, ministre marocaine de l’Economie, Makhtar Diop, directeur de la Société financière internationale (Banque mondiale) et Amir Ben Yahmed, du périodique Jeune Afrique organisateur de l’évènement, dessinent les contours d’un continent déterminé à convertir son épargne en leviers de développement, avec le Maroc comme catalyseur stratégique.
Aigboje Aig-Imoukhuede, président Access Holdings & Coronation Group
Maroc: la légitimité consacrée
L’ouverture de l’AFIS 2025 a été marquée par l’ancrage stratégique du discours de Nadia Fettah dans un contexte géopolitique transformateur. La ministre a immédiatement évoqué la résolution historique du Conseil de sécurité des Nations unies, consacrant l’autonomie du Sahara sous souveraineté marocaine comme «unique référence» pour clore ce différend «artificiel». La ministre marocaine a également qualifié cette décision de «tournant majeur dans l’histoire contemporaine du Royaume», soulignant qu’elle «confirme la légitimité de la position du Maroc», selon les termes du discours royal prononcé à la suite de la résolution du Conseil de sécurité onusien.
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Ce moment diplomatique, couplé au 50ᵉ anniversaire de la Marche verte, sert de socle symbolique à la crédibilité internationale du Maroc. La ministre de l’Économie et des Finances du Maroc y voit une preuve tangible de stabilité et d’unité: «La sortie spontanée de nos concitoyens illustre la forte union du peuple marocain derrière son Souverain, dans un attachement indéfectible à l’intégrité territoriale», fait-elle valoir.
Une légitimité renforcée qui consolide la position de Casablanca comme hub financier africain, offrant un environnement prévisible pour les investisseurs.
Trois impératifs pour l’Afrique
Les intervenants de l’AFIS 2025 ont dressé un diagnostic implacable des défis financiers continentaux. L’Afrique génère annuellement plus de 500 milliards de dollars d’épargne, mais moins de 10% est investi localement selon la BAD, créant un paradoxe entre abondance de capitaux et pénurie de financements structurants. Une réalité exacerbée par des freins structurels: 80% des transactions intra-africaines transitent par des devises étrangères, renchérissant les coûts, tandis que le coût du capital dépasse de 300 à 400 points de base la moyenne mondiale en raison d’une dépendance persistante aux grilles de risque externes.
Face à ce constat, Nadia Fettah a identifié trois verrous prioritaires: instaurer une confiance via des règles de gouvernance stables, garantir l’interopérabilité des systèmes financiers, et faire preuve d’audace pour concevoir «des outils africains pour l’Afrique».
Makhtar Diopa renchéri en soulignant l’urgence démographique: «Plus de 300 millions de jeunes Africains arriveront sur le marché du travail dans la prochaine décennie». Son plan d’action repose sur trois piliers opérationnels: investir massivement dans les infrastructures (via l’initiative «Mission 300» pour l’électricité et «AgriConnect» pour l’agriculture), réformer les cadres réglementaires (le programme J-CAP ayant déjà mobilisé 17 milliards de dollars d’investissements depuis 2018), et mobiliser le secteur privé grâce à des mécanismes innovants de garanties et de financements en monnaie locale. Cette feuille de route vise à convertir l’épargne dormante en leviers concrets de souveraineté économique.
Le Maroc laboratoire de la résilience financière africaine
Nadia Fettah a érigé le Maroc en modèle de stabilité économique pour le continent, mettant en avant des fondamentaux robustes: une croissance projetée à 4,8% en 2025, une inflation maîtrisée à 1%, et une consolidation continue du déficit budgétaire. Cette performance, saluée par le rétablissement du statut Investment Grade par Standard & Poor’s, illustre selon elle la capacité du royaume à «transformer les défis en opportunités».
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Le Fonds Mohammed VI pour l’Investissement, couplé aux réformes fiscales et sociales, incarne un «modèle africain fondé sur la stabilité et l’investissement». Le Maroc dépasse ainsi son rôle national pour devenir un architecte clé de l’intégration financière panafricaine, comme en témoignent son implication active dans le système de paiement PAPSS (opérationnel dans 16 pays, permettant des transactions en monnaies locales) et l’interconnexion boursière AELP reliant sept places financières africaines. Des initiatives qui font de Casablanca un hub stratégique où «l’Afrique se pense, se rêve et se construit», selon les mots de la ministre Nadia Fettah.
Du slogan à l’action
Les recommandations de l’AFIS 2024 et les débats 2025 cristallisent un agenda opérationnel exigeant des actions ciblées. Pour les régulateurs, l’harmonisation des cadres juridiques au sein des blocs régionaux et le développement d’instruments hybrides (dette mezzanine, titrisation) deviennent prioritaires afin de réduire la fragmentation des marchés. Les banques commerciales doivent reprendre la main sur le financement du commerce intra-africain, où seulement 20% des transactions utilisent des devises locales, tout en optimisant la gestion des réserves de change face au désengagement partiel des correspondants internationaux.
Les investisseurs institutionnels, notamment les fonds de pension, sont appelés à réorienter massivement leurs actifs vers les infrastructures – moins de 3% y étant actuellement dédiés – afin de combler le déficit financier chronique. Enfin, les fintechs, dont les revenus devraient atteindre 40 milliards de dollars en 2025, doivent piloter l’innovation via un «passeport réglementaire» pour fluidifier la conformité transfrontalière et élargir l’inclusion financière.
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Amir Ben Yahmed, directeur général du groupe Jeune Afrique, résume cet impératif d’action «Faire de l’AFIS une plateforme où l’action prend le pas sur la parole», soulignant l’incroyable ambition et la formidable vitalité du secteur privé africain. Cette dynamique place la mobilisation du capital domestique et la libération des capitaux institutionnels au cœur des priorités 2025.
Ce qui change concrètement
Ainsi, l’AFIS 2025 cristallise trois évolutions structurelles majeures pour la finance africaine. La souveraineté opérationnelle s’incarne désormais dans des mécanismes tangibles: les pools d’assurance régionaux mutualisent les risques climatiques et cybernétiques, tandis que les obligations vertes africaines– 0,5 % du marché mondial en 2024– deviennent des instruments stratégiques pour financer la transition écologique.
L’intégration financière franchit un cap décisif avec la scalabilité du système PAPSS (paiements en monnaies locales dans 16 pays) et de l’AELP (interconnexion de sept bourses), réduisant de 5 milliards de dollars annuels les coûts de conversion et fluidifiant les échanges intra-africains. Enfin, le rôle pivot du Maroc s’affirme comme catalyseur: son modèle éprouvé de partenariats public-privé, sa stabilité macroéconomique (croissance à 4,8%, inflation à 1%), et son leadership dans les initiatives panafricaines en font l’architecte incontournable pour concrétiser la vision royale selon laquelle «L’Afrique doit faire confiance à l’Afrique». Cette triple dynamique transforme les déclarations d’intention en leviers d’action.
Vers un nouveau contrat financier continental
L’AFIS 2025 marque un tournant historique où la souveraineté financière cesse d’être un slogan pour devenir un impératif opérationnel, comme l’a souligné Nadia Fettah: «Il est temps pour l’Afrique de se doter d’un agenda collectif». Ce contrat repose sur trois piliers indissociables: mobiliser l’épargne dormante vers les infrastructures vitales, intégrer les marchés par l’interopérabilité des systèmes financiers, et ancrer la croissance dans la durabilité climatique et sociale.
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Le Maroc, fort de sa légitimité géopolitique renouvelée et de ses fondamentaux économiques solides, incarne cette transition vers un «continent d’investissements» selon la formule de Makhtar Diop. Les 17 recommandations de l’AFIS 2024 et les travaux des panels 2025 offrent une feuille de route claire, mais la réussite finale dépendra de la coordination inédite entre trois acteurs: les régulateurs, pour l’harmonisation normative ; les institutions financières, pour le déploiement de produits adaptés et les États, pour la stabilité politique. Ce défi, à la mesure des 300 millions de jeunes Africains entrants sur le marché du travail, scelle l’AFIS comme laboratoire d’une finance enfin maîtresse de son destin.








