Le Conseil d’administration du Fonds monétaire international (FMI) a déprogrammé le dossier de la Tunisie qui était inscrit à l’ordre du jour de sa réunion du 19 décembre qui était censée donner son quitus définitif quant à l’octroi d’un prêt de 1,9 milliard de dollars en 8 tranches sur 4 ans à la Tunisie. Il s’agit, selon les experts, d’une situation inhabituelle des pratiques de l’institution.
Ainsi, si l’accord préliminaire relatif à l’octroi du prêt reste en vigueur, il faudra attendre la prochaine réunion du Conseil d’administration pour espérer débloquer le dossier. Cela, sans compter qu’à l’heure actuelle, aucune explication n’a été fournie sur les raisons de la déprogrammation de l’examen définitif du dossier tunisien. C’est dire que dans tous les cas, la Tunisie, qui souhaite rapidement encaisser la première tranche, devra attendre, alors qu’elle est empêtrée dans une crise économique et financière aigüe. Certains craignent même le pire, c’est-à-dire que l’institution ne revienne pas sur l’accord préliminaire.
En l’absence d’explication de la part du FMI, les spéculations vont bon train sur les raisons et les conséquences de cette déprogrammation qui est un rejet du dossier par le Conseil d’administration.
D’abord, pour certains experts, le retrait du dossier tunisien s’explique par le fait que le président tunisien Kaïs Saïed n’a, jusqu’à présent, pas signé et fait publier la loi de finances 2023. Or, le document signé devrait être soumis à l’institution afin que le Conseil d’administration examine son contenu et s’assure qu’il répond effectivement à l’esprit de l’accord préliminaire signé.
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Le document est censé donner une idée sur la volonté du gouvernement tunisien à entamer l’application des réformes longuement et durement négociées entre les autorités tunisiennes et l’institution de Bretton Woods. Or, le document envoyé au Conseil d’administration n’a pas été signé par le président tunisien. En conséquence, il est considéré comme non valable par l’institution. En plus, son contenu est jugé en contradiction avec les engagements pris par la délégation tunisienne ayant négocié avec le FMI, notamment en ce qui concerne la masse salariale.
Ensuite, d’autres jugent que le report s’explique par l’incapacité des autorités tunisiennes à obtenir des promesses fermes de prêts de la part d’autres pays et institutions financières multilatérales (IMF), sachant que le FMI ne finance pas seul le programme de réformes. Or, à cause de la politique que mène le président Kaïs Saïed dans les domaines des libertés et de la démocratie, il est difficile pour la Tunisie d’obtenir des soutiens financiers de pays occidentaux, mais aussi des IMF. Du coup, les financements du FMI, même débloqués, seraient insuffisants pour aider le pays à enclencher des réformes nécessaires afin de sortir de la crise financière qu’elle traverse.
Par ailleurs, l’un des points clés de cet accord tient aux réformes que la Tunisie est censée appliquer en contrepartie du prêt accordé par le FMI. Et malheureusement, sur ce point, les équipes de l’institution sont loin de faire confiance aux autorités tunisiennes, sachant que les précédents gouvernements du pays les ont roulées dans la farine, encaissant les prêts sans jamais mettre en pratique les trains de réformes sur lesquels ils s’étaient engagés.
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D’ailleurs, les garanties quant à la concrétisation des réformes est l’une des raisons de la durée des discussions entre les deux parties. Sur ce point crucial, même si les autorités tunisiennes semblent donner certains signes d’assurance sur certains volets des réformes, notamment en ce qui concerne l’élimination progressive des subventions sur les carburants et certains produits de première nécessité, les déclarations contradictoires au sommet de l’Etat inquiètent le FMI. Le président Saïed n’a pas hésité à souligner qu’il n’est pas d’accord avec l’équipe ayant négocié l’accord avec le FMI. En plus, la position de la puissante centrale syndicale UGTT, opposée aux réformes, pose de sérieux problèmes. Partant, la crédibilité du gouvernement tunisien constitue un véritable problème.
Conséquence: l’accord définitif pour obtenir le prêt de 1,9 milliard de dollars ne sera pas signé en 2022 alors que le gouverneur de la Banque centrale de Tunisie, Marouane Abassi, annonçait que la première tranche du prêt serait débloquée avant la fin de l’année. Ce qui est presque certain, c’est que ce report sine die, sans date fixe, inquiète en Tunisie. Une quasi-certitude est qu‘il faudra attendre 2023 pour entamer de nouvelles négociations pour sauver l’accord préliminaire. Seulement, pour la Tunisie, le temps presse, et les autorités doivent rapidement corriger le tir si elles souhaitent bénéficier du prêt du FMI.
Une chose est sûre, avec des réserves en devises proches du seuil critique des 3 mois d’importations de biens et services, la Tunisie, qui doit faire face à des tombées de dettes, a grandement besoin de ce prêt du FMI qui ouvrirait grandement le robinet des financements des autres pays et IMF.
En outre, sans ces ressources, le pays, figurant parmi ceux proches de défaut de paiement, ne pourra pas sortir sur le marché de la dette pour trouver des financements nécessaires pour son budget 2023 et la relance de son économie.
En clair, cette déprogrammation risque d’envenimer la situation dans un pays en proie à une crise multidimensionnelle depuis une douzaine d’années et qui s’enfonce davantage à cause des décisions de ses dirigeants.