La forte hausse du coût du dédouanement des légumes en provenance du Maroc transitant par le poste frontalier d’El Guerguerat continue de susciter moults commentaires et spéculations, aussi bien en Mauritanie qu’au Maroc.
Il faut dire que cette hausse brusque et très forte a de quoi interroger. En effet, selon les dires des camionneurs marocains, le coût du passage au poste frontalier d’El Guerguerat pour les camions gros porteurs de transport de légumes est passé, entre le 31 décembre 2023 et le 1 er janvier 2024, de 70.000 ouguiyas (1.600 euros environ) à 190.000 ouguiyas (4.600 euros environ), soit une hausse de 171%.
Stupéfaction et incompréhension chez les camionneurs marocains dont bon nombre ont été pris au dépourvu et n’avaient pas les moyens nécessaires pour s’acquitter des nouveaux coûts douaniers. En conséquence, une file de camions bloqués s’est formée, la nouvelle n’ayant pas tardé à se propager, mêlant le vrai et le faux.
Des camions marocains de transport de légumes.. le360 Afrique/seck
La réalité est pourtant simple. Les autorités mauritaniennes avaient décidé, dès août 2023, dans le cadre de la Loi de finances rectificative (LFR 2023), dans l’optique de stimuler la production agricole notamment maraîchère, d’exonérer certains matériels, produits et intrants agricoles.
Cette mesure a été accompagnée par l’imposition d’un droit de douane plus élevé pour protéger la production intérieure de légumes.
Ainsi, si selon la LFR 2023 les importations de matériels, produits et intrants agricoles ne sont désormais soumis qu’à un taux global de 3,53% de la valeur en douane, «l’importation des produits agricoles cités dans le tableau suivant sont soumis à un taux global de 39,23% de la valeur en douane et ce pour la période du 1er janvier au 30 avril de chaque année», précise la LFR 2023. Ces produits (Cf. Tableau) sont: l’oignon et l’échalote, la pomme de terre, les choux-fleurs et les choux-fleurs brocolis, le choux de Bruxelles, la carotte et le navet.
Produits soumis à un taux global de 39,23% de la valeur en douane, du 1er janvier au 30 avril de chaque année
Code SH | Libellé | Droit de douane |
---|---|---|
0706.10.00.00 | Carottes et navets | 39,23% |
0703.10.00.00 | Oignons et échalotes | 39,23% |
0701.90.00.00 | Autres (pommes de terre) | 39,23% |
0704.10.00.00 | Choux-fleurs et houx-fleurs brocolis | 39,23% |
0704.20.00.00 | Choux de Bruxelles | 39,23% |
Source: Loi de finance rectificative/Ministère des Finances-Mauritanie
Toujours selon la LFR 2023, pour le reste de l’année –du 1 er mai au 31 décembre–, ces légumes ainsi que la tomate (qui n’est pas concernée par cette hausse) seront soumis à un taux global de 13,73% de la valeur en douane.
Produits soumis à un taux global de 13,73% de la valeur en douane, du 1er mai au 31 décembre de chaque année
Code SH | Libellé | Droit de douane |
---|---|---|
0706.10.00.00 | Carottes et navets | 13,73% |
0703.10.00.00 | Oignons et échalotes | 13,73% |
0701.90.00.00 | Autres (pommes de terre) | 13,73% |
0704.10.00.00 | Choux-fleurs et houx-fleurs brocolis | 13,73% |
0704.20.00.00 | Choux de Bruxelles | 13,73% |
0702.00.00.00 | Tomates, à l’état frais ou réfrigéré. | 13,73% |
Source: Loi de finance rectificative/Ministère des Finances-Mauritanie
Ces deux taux seront ainsi appliqués chaque année. Il faut donc retenir que cette hausse du coût du dédouanement ne concerne que certains produits agricoles, notamment les légumes, et ce quel que soit leur provenance (Maroc, Europe, Egypte…), sachant qu’actuellement, plus de la moitié des légumes consommés en Mauritanie viennent du marché européen, notamment des Pays-Bas.
Reste que l’augmentation est jugée trop forte. Selon les camionneurs, la hausse entre fin 2023 et début 2024 est de 171%. Un montant beaucoup plus élevé que le montant du relèvement du droit de douane annoncé. Ce qui pourrait s’expliquer par une augmentation d’autres taxes afférentes.
Au-delà des recettes générées par cette hausse, qui sont les bienvenues dans un contexte difficile pour l’économie mauritanienne, il y a une volonté politique d’accroître la production locale.
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Certains interlocuteurs expliquent qu’échaudées par des pénuries récurrentes durant le début Covid-19 et plus récemment à cause des suspensions des exportations de certains légumes en provenance du Maroc, la Mauritanie souhaite désormais stimuler sa production locale et faire face à des importations coûteuses venant d’Europe et d’Egypte.
Reste que la production locale de légumes est insuffisante. En 2021, pour des besoins estimés, selon le ministère de l’Agriculture, à 300.000 tonnes/an, seulement 45.000 tonnes, soit 15%, ont été couverts par la production locale.
C’est dire que cette décision de protection du marché intérieur durant quatre mois ne se justifie pas, si l’on tient compte de la faiblesse de la production nationale.
A titre d’exemple, au Sénégal voisin, également dépendant des importations venant d’Europe et du Maroc, et dont la production est beaucoup plus importante que celle de la Mauritanie, les autorités procèdent à la fermeture de la frontière à certains légumes (oignon et pomme de terre) et/ou augmentent les tarifs lors des récoltes en soutien aux producteurs locaux.
Seulement, les autorités de Nouakchott semblent considérer que le protectionnisme est la seule mesure qui peut soutenir la production locale. Et pour accompagner celle-ci, elles ont lancé un plan stratégique visant à accroître sensiblement la production locale en agissant sur toute la filière: zones de culture, vulgarisation des modes de production innovants, création d’infrastructures de conservation et de commercialisation, accès au financement….
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A ce titre, pour la campagne 2021-2022, 12 pépinières collectives ont été créées dans les principales zones de production avec la fourniture d’équipements et la création de périmètres pilotes dédiés au maraîchage dans les régions du Trarza, du Brakna, du Gorgol et de l’Adrar.
Selon d’autres observateurs, la protection du marché locale n’est la seule raison qui justifie cette hausse vertigineuse de certains produits agricoles.
Et du coup, les spéculations vont bon train. Certains avancent que les autorités mauritaniennes n’ont pas digéré les mesures prises par le Royaume en ce qui concerne la pastèque produite en Mauritanie par des Marocains et à laquelle le Maroc a «fermé» ses frontières.
En effet, poussés par la sécheresse et la rareté de l’eau, des producteurs marocains de pastèque avaient fini par s’installer en Mauritanie où ils ont loué des terres pour pratiquer cette culture sur les bords du fleuve Sénégal.
Ayant obtenu de très bonnes récoltes, ils n’ont pu accéder au marché marocain pour y écouler leur production du fait des barrières tarifaires et non tarifaires. Il a été question d’une taxe de 4 dirhams par kilogramme de pastèque en plus des formalités sanitaires qui ont été dénoncées par les producteurs dont les produits transitent par le Maroc pour être écoulés sur le marché européen. Certains avancent que les autorités de Nouakchott n’avaient pas trop apprécié ce protectionnisme marocain.
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D’autres sont allés jusqu’à faire un lien entre l’augmentation du coût du dédouanement et l’hypothétique accord de libre-échange que l’Algérie voudrait imposer à la Mauritanie. Une hypothèse erronée en ce sens que l’augmentation en question concerne certains légumes et ce, quelle qu’en soit la provenance.
D’ailleurs, l’Algérie, qui fait face à des pénuries récurrentes de nombreux légumes (oignon, pomme de terre, tomate…), n’a pas une offre qui pourrait concurrencer celle du Maroc. Et même si elle disposait d’une offre de légumes suffisante, elle serait soumise aux mêmes règles de dédouanement et serait moins compétitive, comparativement à l’offre marocaine qui bénéficie de la proximité du marché mauritanien, d’une chaîne logistique bien huilée depuis des décennies et des produits réputés pour leur goût et leur durée de conservation à l’air libre.
Bref, quelques soient les raisons de cette augmentation brusque, cette décision a des conséquences immédiates sur le panier de la ménagère mauritanienne. En effet, les camionneurs marocains qui ont été affectés par cette hausse subite n’avaient d’autres choix que de la répercuter sur toute la chaîne de valeur, du grossiste au consommateur final, en passant par les semi-grossistes et les détaillants.
D’ailleurs, les grossistes ont été impactés à hauteur de 50 ouguiyas (soit environ 1,25 dirham par kilogramme), selon un grossiste marocain du Marché dit «marocain» des légumes de Nouakchott. La cascade d’augmentations finit par rendre les légumes trop chers pour le consommateur final.
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Partant, les consommateurs mauritaniens n’ont pas tardé à réagir. Ainsi, le Forum mauritanien de protection du consommateur a publié, samedi 6 janvier, un communiqué dans lequel il a dénoncé avec fermeté cette augmentation des droits de douane sur les légumes importés, expliquant que celle-ci a entraîné à son tour une flambée des prix et accentué la pression sur le pouvoir d’achat des consommateurs.
Le Forum a appelé les autorités à «prendre des mesures urgentes pour remédier à cette situation, de manière à préserver les droits des consommateurs et à réduire la hausse continue des prix».
A ce sujet, selon le média Al-Akhbar, «une réunion s’est tenue hier (4 janvier, ndlr) à laquelle ont participé des représentants du ministère du Commerce, des hommes d’affaires, des importateurs de légumes et des agriculteurs pour discuter de la décision et de ses répercussions. Il a été convenu au terme de cette réunion de maintenir la mise en œuvre de cette nouvelle augmentation des droits de douane».
Les autorités sont restées fermes sur la décision d’augmenter le coût du dédouanement avec l’objectif fondamental d’encourager la production nationale. Et l’exemple réussi des opérateurs marocains dans l’implantation de champs de pastèque compétitifs semble donner des idées aux autorités mauritaniennes qui veulent dupliquer cette expérience à d’autres produits.
Ainsi, au lieu d’importer des légumes, elles souhaitent attirer les investisseurs locaux et étrangers vers les cultures maraîchères. D’où les nombreuses incitations fiscales et douanières accordées aux producteurs pour l’importations de matériels agricoles, d’intrants et de semences.