L’essor foudroyant des énergies renouvelables et des technologies numériques engendre une demande exponentielle en minéraux critiques comme le cobalt, le lithium ou les terres rares. Face à cette nouvelle donne, l’Afrique, fort bien pourvue en ces ressources stratégiques, se trouve à la croisée des chemins. C’est dans ce contexte que l’Institut international du développement durable (IIDD) vient de publier un rapport intitulé «Questions relatives au partage des avantages financiers pour les minerais critiques : Défis et opportunités pour les pays producteurs».
Potentiel économique substantiel, fenêtre d’opportunité restreinte
Le continent regorge de nombreux minéraux jugés critiques comme le cobalt, le lithium, les terres rares, le graphite ou le manganèse. La République démocratique du Congo détient 50% des réserves mondiales de cobalt et produit 70% de l’offre. Le Zimbabwe possède d’importants gisements de lithium. La Namibie, l’Afrique du Sud et le Mozambique sont riches en terres rares. Le Maroc détiendrait 75% des réserves mondiales de phosphates, utilisés dans les batteries au lithium-fer-phosphate.
L'Afrique du Sud abrite 70% des réserves mondiales de métaux du groupe platine, utilisés dans les piles à combustible.. DR
L’Afrique du Sud abrite 70% des réserves mondiales de métaux du groupe platine, utilisés dans les piles à combustible. Selon les estimations, les pays riches en minéraux critiques pourraient engranger des revenus annuels supplémentaires allant jusqu’à 259 milliards de dollars d’ici 2040, soit 0,75% du PIB en Afrique subsaharienne. Toutefois, cette opportunité financière pourrait se réduire à l’avenir si l’offre mondiale finit par dépasser la demande.
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L’urgence pour les économies africaines sera donc de saisir rapidement cette fenêtre d’opportunité en optimisant leurs cadres juridiques, fiscaux et réglementaires avant que les prix ne s’effritent. Des réformes ambitieuses mais équilibrées s’imposent pour attirer les investissements tout en maximisant la captation des richesses nationales.
Le Maroc montre la voie de la valorisation locale
Si l’essentiel des minéraux africains est exporté à l’état brut, certains pays tentent de développer leurs capacités de transformation locale pour capter davantage de valeur ajoutée.
Le Maroc fait figure de pionnier avec ses nouvelles usines de production de batteries lithium-ion à partir des gisements nationaux de phosphates, dit le rapport. La RDC, la Zambie et le Zimbabwe cherchent également à attirer des investissements pour le raffinage du cobalt, du cuivre et du lithium.
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Cependant, ces politiques de valorisation locale nécessitent des réglementations adéquates. Selon l’IISD, «des outils comme les restrictions à l’exportation, les crédits d’impôt ou les régimes fiscaux incitatifs devront être soigneusement calibrés pour favoriser l’émergence de filières industrielles compétitives sans décourager les investissements d’exploration et de production».
Consolider la gouvernance économique et juridique
Au-delà des enjeux techniques et financiers, une exploitation optimale des minéraux critiques requiert de solides réformes de gouvernance économique et juridique.
La RDC et le Zimbabwe peinent encore à stabiliser et clarifier leurs cadres fiscaux et réglementaires miniers, un frein majeur pour la venue d’investisseurs.
L’Afrique du Sud et Madagascar entreprennent en revanche d’amender leurs législations pour mieux redistribuer localement les retombées économiques.
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«Une approche juridique intégrée sera indispensable prenant en compte les besoins d’harmonie entre les différents codes miniers, pétroliers et environnementaux, la définition rigoureuse du traitement fiscal des coproduits et sous-produits miniers, l’alignement sur les principes éprouvés d’équité, d’efficacité économique et de prévisibilité réglementaire», explique l’IISD.
Nombre de gisements de minéraux critiques demeurent mal cartographiés en Afrique, entravant leur pleine valorisation industrielle et commerciale. Le Kenya, l’Ouganda et la Tanzanie doivent ainsi intensifier les efforts d’exploration et de caractérisation géologique de leurs ressources en terres rares.
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Plus largement, le continent accuse un important déficit en compétences techniques, scientifiques et de gouvernance dans le secteur minier: pénurie d’ingénieurs, de géologues, d’économistes ou de juristes spécialisés. Former massivement ces ressources humaines sera crucial pour assurer une gestion optimale et pérenne des richesses nationales.
Risques de pollution des eaux et des sols
Enfin, le développement des filières extractives de minéraux critiques soulève de lourds défis sociaux et environnementaux qu’il sera impératif de mieux circonscrire.
Les risques de pollution des eaux et des sols par les activités minières, d’atteintes aux écosystèmes naturels fragiles ou de dégradation massive des terres restent très préoccupants en l’absence de réglementations environnementales robustes et effectivement appliquées.
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La prolifération de l’exploitation minière artisanale et illégale, souvent dans des conditions de travail déplorables voire de travail des enfants, constitue un autre défi social et sécuritaire majeur auquel les États devront s’attaquer fermement.
Selon le rapport, «seule une approche globale, conjuguant impératifs économiques, encadrement strict des impacts néfastes et redistribution équitable des bénéfices au profit des populations locales, permettra une exploitation véritablement durable des minéraux critiques».
Pour les économies africaines riches en ces ressources convoitées, l’heure est venue d’opérer les réformes et les investissements indispensables afin de transformer cette nouvelle donne en un puissant levier de développement sur le long terme. Une formidable opportunité, mais aussi un défi de taille que le continent ne pourra relever qu’au prix d’une action résolue, coordonnée et responsable.