Dans un contexte mondial marqué par des crises imbriquées les unes dans les autres et des défis structurels, le Département des affaires économiques et sociales des Nations unies (ONU DESA) met en lumière, dans son dernier rapport stratégique intitulé «Preparedness and Foresight Review 2025», le rôle pionnier de 13 pays africains dans la conception de politiques innovantes.
Le rapport souligne comment la Namibie, Sierra Leone, Seychelles, Maurice, Kenya, Éthiopie, Rwanda, Sénégal, Tanzanie, Zambie, Nigeria, Malawi et Soudan du Sud incarnent des laboratoires d’expérimentation où la prospective stratégique, la transition verte et la gouvernance inclusive redéfinissent les paradigmes du développement.
Rappelons que la fonction centrale de ce rapport est d’offrir aux États membres des analyses prospectives, des outils opérationnels et des recommandations politiques pour anticiper les défis émergents et exploiter les opportunités liées au développement durable. Ce document s’inscrit dans la mission de l’ONU DESA de renforcer les capacités des gouvernements à opérer des transitions justes (climatique, numérique, sociale) tout en intégrant les Objectifs de développement durable (ODD) dans leurs agendas nationaux. Ainsi, selon l’ONU DESA, les pays cités illustrent des approches diversifiées mais complémentaires pour anticiper les risques futurs.
Dakar, la capitale du Sénégal. Le Sénégal a déployé une architecture informatique modulaire capable d’agréger des données non structurées– des réseaux sociaux aux registres communautaires– pour affiner le suivi des ODD.
Transition verte et gestion intégrée des ressources
La Namibie se distingue par sa feuille de route CLEWS (Climate, Land Use, Energy, and Water Systems), élaborée avec l’appui de l’ONU DESA. Ce cadre intégré permet de modéliser les synergies et arbitrages entre climat, énergie et eau, une approche essentielle pour des pays confrontés à la rareté hydrique. «Les outils de modélisation aident les États à anticiper les chocs climatiques et à prioriser les investissements résilients», souligne Li Junhua, Secrétaire général adjoint aux affaires économiques et sociales de l’ONU DESA.
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Les Seychelles et Maurice illustrent une transition énergétique articulée autour de l’innovation institutionnelle. Aux Seychelles, des ateliers de prospective ont renforcé la coordination interministérielle pour aligner les stratégies énergétiques sur les ODD. Maurice, quant à elle, utilise la prospective climatique pour élaborer des scénarios de décarbonation, intégrant les enjeux de montée des eaux et de diversification économique.
S’adapter aux incertitudes futures
En Sierra Leone, les réformes post-formation de la fonction publique ont marqué un tournant dans la modernisation de l’appareil étatique. À la suite d’ateliers organisés par l’ONU DESA, le pays a adopté des recommandations structurantes : un recrutement fondé sur le mérite pour lutter contre le clientélisme, une décentralisation des compétences afin de rapprocher les services publics des citoyens, et un renforcement ciblé des capacités en gestion de crise, crucial dans un contexte de vulnérabilités socio-économiques récurrentes. Des mesures qui répondent directement aux Principes de gouvernance efficace des Nations unies, qui prônent des «institutions agiles, capables de s’adapter aux incertitudes futures.»
Le Kenya a transformé les défis liés à la jeunesse– souvent perçue comme une bombe démographique– en opportunité stratégique. En intégrant des jeunes leaders à des retraites gouvernementales sur la paix et la sécurité (ODD 16), le pays a instauré des dialogues intergénérationnels inédits. Ces espaces de co-création ont permis de désamorcer des tensions historiques tout en élaborant des politiques de prévention des conflits plus inclusives.
Au Soudan du Sud, l’impact des formations de l’ONU DESA se matérialise localement: un éducateur de la région de Boma témoigne que les outils acquis lors des ateliers– cartographie des risques climatiques et techniques de médiation communautaire– ont renforcé la résilience face au double choc des conflits et des sécheresses.
Financement durable et investissements stratégiques
Le Nigeria et le Malawi ont capitalisé sur les SDG Investment Fairs (Investissements dans les Objectifs de Développement Durable) pour positionner leurs économies sur la carte des investissements durables. Le premier a séduit les bailleurs internationaux avec des projets d’infrastructures résilientes – hôpitaux solaires et corridors de transport décarbonés – et des partenariats public-privé innovants dans la santé numérique, un secteur clé pour réduire les inégalités d’accès aux soins.
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Le Malawi, de son côté, a misé sur une agro-industrie circulaire, combinant production de biocarburants à partir de déchets agricoles et cultures résistantes à la sécheresse, attirant ainsi des fonds d’impact soucieux d’empreinte carbone.
La Zambie, en s’appuyant sur des ateliers régionaux organisés par l’ONU DESA, a optimisé ses mécanismes de mobilisation de financements verts, notamment via des obligations climatiques adossées à des projets de reforestation.
Data et technologies
Sur le front technologique, l’Éthiopie a révolutionné sa gestion des catastrophes grâce à un réseau d’alerte précoce alimenté par des capteurs IoT et des données satellitaires, réduisant les temps de réponse aux inondations récurrentes. Au Rwanda et au Sénégal, l’initiative Data for Now a permis de pallier les lacunes statistiques chroniques. Le Rwanda a ainsi intégré des données mobiles pour cartographier l’accès aux services essentiels, tandis que le Sénégal a déployé une architecture informatique modulaire capable d’agréger des données non structurées– des réseaux sociaux aux registres communautaires– pour affiner le suivi des ODD.
Cette dynamique de résilience s’étend aux échelles régionales: la Tanzanie et la Zambie ont harmonisé leurs stratégies d’accès aux fonds verts lors de dialogues transfrontaliers, créant des bassins de coopération autour de l’adaptation climatique dans le corridor du Zambèze.
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Ainsi, ces 13 pays incarnent une Afrique proactive, où la prospective devient un levier de transformation. Au cœur de cet écosystème d’innovation, trois principes fondateurs émergent: l’intégration systémique des enjeux climatiques, énergétiques et data; l’institutionnalisation de dialogues incluant jeunes, secteur privé et Organisations de la Société Civile et la mutualisation des savoirs via des plateformes africaines. Comme le souligne Li Junhua, cette approche prospective «transforme l’incertitude en opportunité», dessinant un contrat social où résilience technique et équité sociale deviennent les piliers d’un développement à la fois audacieux et inclusif.
Adoptés par l’ONU en 2015, les ODD s’articulent autour de 169 cibles à atteindre à l’horizon 2030 dont les principales sont: éradication de la pauvreté, lutte contre la faim, accès à la santé; à une éducation de qualité à l’eau et à l’assainissement, égalité entre les sexes, édifier villes et communautés durables.