Alors que la transition énergétique s’accélère, la Chine étend sa stratégie sur le continent africain. Ainsi, derrière un nombre croissant de projets énergétiques africains se cache une discrète signature made-in-china.
Lire aussi : Géopolitique des minerais: comment la Chine, l’Australie et les États-Unis se livrent bataille au Ghana
Dotée de ressources énergétiques abondantes et d’un potentiel renouvelable inexploité, l’Afrique est devenue un terrain clé pour les ambitions géoéconomiques de la Chine. À travers dix pays- Nigeria, Niger, Soudan du Sud, Algérie, Égypte, République du Congo, Ouganda, Mozambique, Gabon et Angola-, Pékin déploie une stratégie intégrée combinant exploitation des hydrocarbures, développement d’infrastructures et transition énergétique. C’est ce que révèle une récent focus publié par l’African Energy Chamber (AEC). Une dynamique, qui révèle une mutation profonde des équilibres énergétiques africains.
Nigeria et Niger: l’expansion pétrolière
Au Nigeria, la China National Offshore Oil Corporation (CNOOC) consolide son emprise sur le secteur énergétique à travers les champs offshore d’Egina et d’Akpo West, dont la complexité technique (exploitation en eaux ultra-profondes) témoigne d’une expertise chinoise désormais compétitive face aux majors occidentales. Ces projets renforcent non seulement la production locale — Akpo West ajouterait 175 millions de barils de condensat — mais positionnent la Chine comme un acteur central dans l’accès aux réserves africaines, réduisant la dépendance historique du Nigeria à des partenaires comme Shell ou Total.
Lire aussi : Niger: accord avec une société chinoise pour sécuriser des installations pétrolières
Parallèlement, au Niger, la China National Petroleum Corporation (CNPC) matérialise son influence via un contrat d’approvisionnement en brut de 400 millions de dollars en 2024 et la construction d’un oléoduc de 1 980 km vers le Bénin. Cette infrastructure, vitale pour exporter le pétrole du bassin d’Agadem, contourne stratégiquement les zones instables du Sahel, sécurisant un corridor énergétique depuis l’Afrique de l’Ouest jusqu’à l’Atlantique.
Une double approche qui illustre la stratégie de la Chine, visant à contrôler les flux de ressources à chaque maillon de la chaîne. Le Nigeria, géant pétrolier, offre un accès direct aux marchés globaux via ses terminaux atlantiques, tandis que le Niger, enclavé mais riche en réserves, est transformé en hub logistique via son oléoduc. En investissant dans des pays aux profils complémentaires, la Chine diversifie ses risques géopolitiques et verrouille son approvisionnement, tout en marginalisant progressivement les acteurs traditionnels. Une dynamique qui s’inscrit dans le cadre élargi de l’initiative « Ceinture et Route », où les infrastructures énergétiques servent de leviers pour ancrer l’influence économique et politique de Pékin en Afrique de l’Ouest.
Soudan du Sud, en territoire à haut risque
Au Soudan du Sud, la reprise de la production par Dar Petroleum, coentreprise détenue par CNPC et Sinopec, marque un pari audacieux de la Chine dans un contexte sécuritaire délétère. Après un an d’interruption liée aux conflits internes, Pékin réactive son accès aux blocs 3 et 7, riches en réserves mais situés dans des zones à haut risque. Une stratégie qui repose sur la capacité des entreprises d’État chinoises à opérer dans des environnements instables, combinant flexibilité opérationnelle et soutien diplomatique discret, en échange de contrats avantageux à long terme.
Lire aussi : Le ministre chinois des Affaires étrangères achève sa tournée africaine au Nigeria
Parallèlement, en Algérie, l’accord signé entre Sinopec et Sonatrach en mars 2024 pour l’exploration de Hassi Berkane Nord traduit une volonté de diversification des partenariats énergétiques algériens, historiquement ancrés vers l’Europe. Ce mouvement permet à la Chine de renforcer son ancrage en Méditerranée, un bassin clé pour l’approvisionnement en gaz vers l’Europe, tout en exploitant les tensions entre Alger et ses partenaires traditionnels.
Des interventions qui illustrent une approche calculée où Pékin troque une exposition à court terme aux risques politiques (guerres civiles, instabilité régionale) contre un accès privilégié à des réserves sous-évaluées. Au Soudan du Sud, la Chine capitalise sur l’absence de concurrents sérieux pour négocier des conditions fiscales avantageuses. En Algérie, elle profite des repositionnements géopolitiques pour s’implanter dans un secteur gazier stratégique, malgré des tensions sociales et politiques latentes. Cette double dynamique, bien que risquée, renforce la position chinoise dans des marchés où les marges de manœuvre occidentales se réduisent, consolidant son statut de partenaire incontournable des États africains en quête d’investissements immédiats.
Emprise sur la Méditerranée et le Moyen-Orient
En Égypte, l’acquisition des actifs d’Apex International Energy par United Energy Group (UEG) permet à Pékin de doubler sa production dans le désert occidental, tirant parti des réformes libéralisant le secteur énergétique égyptien. Cette expansion combine exploitation pétrolière conventionnelle et maîtrise de la logistique intégrée, renforçant l’emprise chinoise sur un marché clé pour l’approvisionnement méditerranéen et moyen-oriental.
Lire aussi : Fuite de gaz à GTA en Mauritanie: les craintes des pêcheurs, le silence de BP
En République du Congo, le projet Banga Kayo, piloté par Wing Wah, entreprise pétrolière fondée en 2015 en République du Congo, et filiale du groupe chinois Southernpec, incarne une innovation stratégique : la conversion du gaz torché en GNL, butane et propane. Cette «monétisation du gaz», au-delà de son aspect technique, répond aux pressions internationales contre le gaspillage énergétique et permet à la Chine de se positionner en partenaire «vertueux», valorisant des ressources longtemps négligées.
Si ces initiatives restent ancrées dans les hydrocarbures, elles intègrent une dimension écologique via la réduction du torchage, alignant partiellement les objectifs chinois sur les agendas climatiques africains. Une approche hybride qui permet à Pékin de concilier rentabilité énergétique et légitimité internationale, tout en répondant aux attentes croissantes des États africains en matière de durabilité.
Ouganda et Mozambique: des mégaprojets structurants
En Ouganda, le champ pétrolier de Kingfisher, développé par China National Offshore Oil Corporation (CNOOC), et le pipeline de 5 milliards de dollars vers la Tanzanie symbolisent l’ambition chinoise de désenclaver les ressources continentales. Financé par la Banque chinoise d’import-export, ce corridor doit permettre à l’Ouganda d’exporter son pétrole dès 2025, rompant avec des décennies d’isolement économique.
Au Mozambique, le projet Rovuma LNG (30 milliards de dollars), co-piloté par CNPC et Total, illustre la capacité de Pékin à s’associer à des majors occidentales pour exploiter le GNL, malgré l’insécurité persistante à Cabo Delgado. La Chine y voit un pari sur le long terme, anticipant une demande asiatique en gaz naturel qui devrait croître de 60 % d’ici 2040.
Lire aussi : Le Sénégal commence le raffinage de son pétrole
Si ces mégaprojets créent des dépendances structurelles- l’Ouganda et le Mozambique devront rembourser les prêts liés aux infrastructures via des livraisons de ressources- ils constituent aussi des leviers de croissance régionale. Leur succès dépendra de la stabilisation géopolitique, notamment au Mozambique, et de la volatilité des prix mondiaux, dans un contexte où la transition énergétique remet en cause les investissements fossiles.
En eaux profondes
Au Gabon, CNOOC relance l’exploration en eaux profondes avec le forage Tigre-1, ciblant des réserves sous-exploitées du bassin atlantique. Malgré des coûts élevés et des défis technologiques, ce projet souligne l’intérêt persistant de la Chine pour les frontières offshores africaines, délaissées par les majors occidentales en raison des risques financiers. En Angola, la raffinerie de Lobito, construite par China National Chemical Engineering Co. A hauteur de 6 milliards de dollars, marque un tournant: en transformant localement le pétrole brut, Pékin répond aux critiques sur l’«extractivisme» et aide l’Angola à réduire sa dépendance aux importations de carburants, tout en captant une plus-value industrielle.
Lire aussi : Gabon: grève illimitée des employés du pétrole
Dans ces deux pays, les investissements chinois reflètent une évolution stratégique : la Chine ne se contente plus d’extraire des matières premières, mais exporte son savoir-faire en raffinage et pétrochimie, s’assurant un contrôle accru sur la chaîne de valeur. Une montée en gamme technologique qui renforce son influence dans des économies africaines en quête de diversification, tout en sécurisant des débouchés durables pour ses entreprises d’État.
Les énergies renouvelables
Au-delà des hydrocarbures, la Chine étend son emprise sur le secteur énergétique africain, via des entreprises comme JinkoSolar (solaire) et China Energy Engineering Group (hydroélectrique), qui déploient des parcs photovoltaïques, des barrages et des centrales éoliennes à travers le continent. Ces initiatives, moins visibles que les projets pétroliers, répondent à une logique double : aligner les investissements sur les engagements climatiques de Pékin (neutralité carbone d’ici 2060) et conquérir un marché africain en pleine expansion, où 600 millions de personnes manquent encore d’accès à l’électricité. En investissant dans les énergies renouvelables, la Chine se positionne comme un acteur vert tout en verrouillant les futurs marchés énergétiques, anticipant une demande africaine qui devrait tripler d’ici 2050.
Lire aussi : La Zambie compte produire 1.000 MW d’électricité solaire d’ici la fin de l’année
Une dualité stratégique- dominance simultanée dans les énergies fossiles et renouvelables- qui permet à Pékin de s’adapter aux priorités locales. Dans des pays comme le Kenya ou l’Éthiopie, où l’hydroélectricité et le solaire sont prioritaires, la Chine offre des solutions clés en main. Dans d’autres, comme le Niger ou l’Angola, elle maintient son focus sur le pétrole. Une flexibilité qui lui assure une influence systémique, lui permettant de capter des contrats quel que soit le mix énergétique local, tout en préparant son propre virage vers une économie bas carbone.
Les forums Shanghai 2025 et Cap 2025 pour consolider les partenariats
Les forums « Investir dans les énergies africaines » à Shanghai (mars 2025) et la Semaine africaine de l’énergie (AEW) au Cap incarnent l’institutionnalisation des relations sino-africaines dans le secteur énergétique. Comme le souligne Leoncio Amada Nze Nlang, président exécutif de la CEMAC à l’AEC, «ces partenariats stimulent une croissance durable, des énergies traditionnelles aux renouvelables». Ces événements servent de plateformes pour négocier des co-investissements, faciliter les transferts technologiques et promouvoir les équipements chinois, des turbines hydroélectriques aux panneaux solaires.
Eléments clés de la stratégie d’influence chinoise, ses banques (Exim Bank, ICBC) jouent un rôle central : elles proposent des prêts conditionnés à l’achat de technologies et services chinois, créant un cercle vertueux pour les entreprises nationales. Par exemple, le financement du parc solaire de Benban en Égypte par la Banque chinoise de développement a permis à JinkoSolar et Sinohydro de remporter des contrats d’approvisionnement.
Lire aussi : CNUCED: voici les 5 pays africains les plus résilients aux chocs exogènes
Ce modèle, bien qu’efficace pour débloquer des infrastructures, renforce la dépendance africaine aux crédits liés, limitant la marge de manœuvre des États dans le choix de leurs partenaires technologiques. Néanmoins, il consolide la Chine comme architecte financière et technique de la transition énergétique africaine, alignant ses intérêts économiques sur les besoins criants du continent en matière d’électrification.
Ainsi, l’on constate que l’influence chinoise en Afrique, matérialisée à travers ces dix pays, repose sur une combinaison de pragmatisme économique, de patience stratégique et d’adaptabilité aux contextes locaux. À l’heure où la transition énergétique mondiale s’accélère, la capacité de l’Afrique à négocier des partenariats équilibrés sera déterminante pour transformer cette influence en développement inclusif.
Projets énergétiques chinois structurants en Afrique
Pays | Secteur(s) | Projets/Entreprises impliquées | Points clés |
---|---|---|---|
Nigeria | Pétrole | CNOOC (champs offshore Egina et Akpo West) | Exploitation en eaux ultra-profondes, +175 millions de barils de condensat. |
Niger | Pétrole | CNPC (oléoduc de 1 980 km vers le Bénin) | Sécurisation du corridor énergétique, contrat de 400 M$ en 2024. |
Soudan du Sud | Pétrole | Dar Petroleum (CNPC/Sinopec, blocs 3 et 7) | Reprise de la production malgré l’instabilité, accès privilégié aux réserves. |
Algérie | Gaz | Sinopec et Sonatrach (Hassi Berkane Nord) | Diversification des partenariats algériens, ancrage en Méditerranée. |
Égypte | Pétrole, Solaire | UEG (acquisition Apex), JinkoSolar (centrales solaires) | Doublement de la production pétrolière ; développement de parcs solaires. |
Rép. du Congo | Gaz | Wing Wah/Southernpec (Banga Kayo) | Conversion du gaz torché en GNL, valorisation des ressources. |
Ouganda | Pétrole | CNOOC (champ Kingfiller et oléoduc vers la Tanzanie) | Désenclavement des réserves, projet financé à 5 Mds$ par la Chine. |
Mozambique | GNL | CNPC et Total (projet Rovuma LNG) | Investissement de 30 Mds$, réponse à la demande asiatique en GNL. |
Gabon | Pétrole | CNOOC (forage Tigre-1 en eaux profondes) | Relance de l’exploration offshore, défis technologiques. |
Angola | Pétrole | China National Chemical (raffinerie de Lobito) | 6 Mds$ pour réduire les importations de carburants et créer une valeur ajoutée. |
Source : African Energy Chamber (AEC).