Présidence de la BAD: chances et handicaps des 5 candidats en course

Les cinq candidats à la présidence de la Banque africaine de développement (BAD).

Le 03/02/2025 à 13h52

Qui parmi les favorables à la continuité de la politique du président sortant Akinwumi Adesina ou ceux qui au contraire prônent la rupture d’avec une décennie de gestion, sera le 10e président de la Banque africaine de développement? Après des désistements de dernière minute, la Sud-africaine Swazi Tshabalala et le Mauritanien Sidi Ould Tah ont rabattu les cartes d’une course qui compte trois autres concurrents. L‘élection du président de la BAD est une bataille diplomatique faite de lobbying et de consensus. Verdict, mai prochain.

Cinq dossiers, dont celui d’une femme, ont été enregistrés à la clôture des dépôts des candidatures pour le poste du 10e président de l’institution financière panafricaine, le 31 janvier 2025 à 17 heures (heure d’Abidjan).

Il s’agit de la Sud-africaine Swazi Tshabalala, du Sénégalais Amadou Hott, du Mauritanien Sidi ould Tah, du Zambien Samuel Munzele Maimbo et du Tchadien Mahamat Abaas Tolli. Le Béninois, Romuald Wadagni, l’un des premiers à annoncer sa candidature et sérieux candidat à la succession au Nigérian Akinwumi Adesina, s’est désisté à la dernière minute.

Si le Zambien Samuel Munzele Maimbo et le Sénégalais Amadou Hott partaient jusqu’à présent favoris, la situation semble avoir un peu évolué. La présence de la Sud-africaine Swazi Tshabalal, vice-présidente principale de la BAD jusqu’à sa récente démission, va diviser les soutiens du Zambien. Certains pensent que l’un des deux candidats d’Afrique australe sera contraint de se désister. Quant à Hott, sa campagne peine à démarrer. De plus, il ne semble pas, pour le moment, bénéficier du soutien des pays qui pèseront le jour de l’élection.

Dans cette course, plusieurs éléments sont à prendre en considération. Il faut faire campagne pour avoir les voix des 54 pays africains et celles des 27 non africains actionnaires de la BAD. Il faudra surtout avoir dans son escarcelle les onze grands porteurs de voix: Nigeria, États-Unis, Égypte, Japon, Algérie, Afrique du Sud, Maroc, Allemagne, Canada, France et Côte d’Ivoire. Jusqu’à présent, aucun candidat n’a été élu sans le soutien de ces pays.

L’élection du président de la BAD est avant tout une bataille diplomatique où chaque voix compte. Le choix de certains pays membres de la BAD, notamment les non-africains, dépendra aussi de l’option de la continuité, ou non, de la stratégie du président sortant Adésina et du profil des candidats. Certains pays souhaitent une réforme de la gouvernance de la BAD en brisant l’omerta qui l’entoure. D’ailleurs, le second mandat d’Adesina a été marqué par quelques tensions avec certains actionnaires occidentaux.

Reste que d’ici mai 2025, plusieurs changements peuvent intervenir. Il n’est pas exclu que certains candidats se retirent de la course pour diverses raisons et que certains poids lourds décident d’afficher leur position et faire pencher la balance au profit de l’un ou de l’autre des candidats. Le rôle du Nigeria et des États-Unis sera déterminant.

L’élection à la présidence de la BAD est une question de lobbying, de diplomatie, de consensus et d’âpres négociations. Pour l’instant, le Nigeria très courtisé semble privilégier une diplomatie d’équilibriste.

En attendant l’élection prévue en mai prochain, voici le profil et le parcours des cinq candidats qui ont déposé leur dossier pour la présidence de la BAD.

La Sud-africaine Bajabulile Swazi Tshabalala: seule femme en course, bonne connaisseuse des arcanes de la BAD

Bajabulile Swazi Tshabalala, 58 ans, est la seule femme candidate. Elle concourt pour son pays, l’Afrique du Sud, quatrième actionnaire africain de la BAD. Reposant sur la puissance économique et diplomatique de son pays, elle compte fédérer les pays anglophones autour de sa candidature. L’Afrique du Sud va certainement user de sa diplomatie pour obtenir le soutien de certains pays du BRICS. Bajabulile Swazi Tshabalala peut mettre à son profit le fait que la BAD n’a jamais été présidée par une femme.

Comme elle peut faire valoir sa connaissance des arcanes du groupe de la BAD qu’elle a intégré en 2018 en tant que vice-présidente en charge des finances et responsable financière du groupe. En novembre 2021, elle a été nommée vice-présidente principale et directrice financière de l’institution financière panafricaine, devenant ainsi la première femme à occuper ce poste stratégique. Elle a joué un rôle essentiel dans les décisions financières, les investissements et les priorités économiques de la BAD. Elle a démissionné en octobre 2024 pour se consacrer à sa candidature.

Toutefois, elle part avec quelques handicaps de taille. Sa candidature ne fait pas l’unanimité au sein de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) qui avait désigné à l’unanimité le Zambien Munzele Maimbo comme candidat unique de la région. Conséquence, elle n’obtiendra pas le soutien total des pays de cette sous-région australe.

Ensuite, avec deux candidats d’une même région, cela réduit les chances de l’Afrique australe qui compte énormément sur la rotation au sommet de la BAD pour gagner les faveurs des autres blocs régionaux, notamment l’Afrique de l’Est qui n’a pas de candidats. Par ailleurs, en tant que vice-présidente principale de la BAD, elle est aussi comptable de la gestion et de la gouvernance, loin de faire l’unanimité parmi des actionnaires non africains dont certains souhaitent un candidat de rupture.

Titulaire d’une licence en économie de l’Université Lawrence (1989) et d’un MBA de l’Université Wake Forest (1992) aux Etats-Unis, Bajabulile Swazi Tshabalala jouit d’une longue expérience de près de 30 ans dans les domaines de la finance, de la gestion de la trésorerie, des opérations sur les marchés des capitaux et des investissements.

Le Mauritanien Sidi ould Tah: le concurrent aux multiples soutiens

Alors que l’ancien vice-président de la BAD, Ousmane Kane, était annoncé candidat, c’est finalement Sidi ould Tah qui entre en course pour la Mauritanie. C’est le mercredi 29 janvier 2025 que le ministre de l’Economie et des Finances mauritanien, Sid Ahmed ould Bouh, a déposé son dossier au Secrétariat général de le BAD. L’officialisation à la dernière minute la candidature de Sidi ould Tah, soutenue par le président Mohammed Cheikh el Ghazouani, vient rabattre les cartes. Il jouit d’un certain nombre d’avantages. D’abord, en l’absence d’un autre candidat d’Afrique du Nord, il peut en engranger les voix soit autour de 20% des suffrages.

Il bénéficie également d’un fort soutien de l’Arabie saoudite et des pays du Golfe, membres de la BAD (Émirats arabes unis et Koweït). S’il arrive à canaliser les votes de ces pays, ce qui n’est pas donné d’avance, cela lui procurerait un capital vote qui lui permettra au moins de passer les premiers tours de l’élection. Le candidat mauritanien jouit également de soutiens en Afrique de l’Ouest, notamment de la Côte d’Ivoire, du Bénin et certainement d’autres pays de la région. D’ailleurs, sa candidature est en quelque sorte parrainée par le président ivoirien Alassane Ouattara. Un appui de taille qui peut lui ouvrir d’autres portes au-delà du continent, notamment en Europe où il peut bénéficier des votes de la France et d’Espagne qui ont des relations privilégiées avec la Mauritanie.

Ensuite, en tant que directeur général de la Banque arabe pour le développement économique en Afrique (Badea) depuis une décennie, Sidi ould Tah est un habitué des palais présidentiels du continent. Il a su tisser des liens privilégiés avec de nombreux chefs d’État africains. Mais pour remporter le vote africain, le candidat mauritanien aura besoin du soutien du Nigéria, en tant que premier actionnaire de la BAD et dont le vote est crucial pour faire basculer la balance en sa faveur.

Afin d’augmenter les chances de son candidat, la Mauritanie mène une diplomatie active en s’appuyant sur ses relations avec les pays africains et les membres non africains de la BAD. Si l’Arabie saoudite ne pèse pas lourd lors des votes, elle a une influence diplomatique indéniable auprès de nombreux pays. D’ailleurs, l’une des volontés du candidat mauritanien est d’attirer les actionnaires du Golfe dans le capital de la BAD.

Sidi ould Tah, polyglotte (arabe, français et anglais) de 61 ans, est titulaire d’un doctorat en économie de l’université de Nice Sophia Antipolis (France), ancien ministre de l’Économie et des Finances de la Mauritanie et actuel directeur général de la Banque arabe pour le développement économique en Afrique depuis juin 2015. Il a été occupé les postes de chargé du marketing des investissements puis d’assistant technique du président du groupe de la banque islamique pour le développement (BID).

Amadou Hott du Sénégal: l’appui des milliardaires et du président sortant

Le candidat du Sénégal Almadou Hott est l’un des meilleurs profils parmi les candidats en lice. Outre son expérience riche dans de nombreux pays (France, Royaume-Uni, États-Unis, Émirats arabes unis), il a l’avantage de bien connaître le groupe BAD pour y avoir exercé les fonctions de vice-président, de chargé de l’électricité, de l’énergie, de la croissance verte et du changement climatique et plus récemment en tant qu’envoyé spécial du président de la BAD, chargé de l’Alliance pour l’infrastructure verte en Afrique. Certains le considèrent même comme le protégé de l’actuel président Adesina. Il bénéficie du soutien de personnalités africaines dont les milliardaires Aliko Dangote et Tony Elumelu, patron d’UBA Group.

Mais sa candidature semble faire du surplace. Il souffre d’un certain nombre de handicaps. D’abord, la rotation tacite du poste de président de la BAD prônée par les candidats d’Afrique australe et centrale ne l’avantage pas sachant que le président sortant est de la même région que lui, l’Afrique de l’Ouest. Or, jamais dans l’histoire de la BAD, deux présidents issus d’une même zone géographique se sont succédés, à l’exception de la courte période 1979-1980 durant laquelle un président intérimaire malawite avait passé le témoin à un Zambien élu.

Ensuite, au sein même de cette région, il n’arrive pas à séduire Nigeria, Côte d’Ivoire et Bénin. À l’instar de la candidate sud-africaine, il est considéré comme un candidat de la continuité. Cependant, si les performances peuvent être mises à son crédit, en revanche sa proximité avec le président sortant peut lui être défavorable. Des pays actionnaires non africains avaient des relations tendues avec le président sortant de la BAD et vont plutôt se pencher pour un candidat de rupture. Enfin, Hott est aussi handicapé par la nouvelle diplomatie sénégalaise qui commence à peine à prendre ses marques et dont l’apport risque de ne pas être d’un très grand renfort.

Amadou Hott, cumule plus d’une vingtaine d’années d’expérience dans des domaines variés tels que le financement structuré, banque d’investissement, la gestion de fonds souverains, les infrastructures et développement de solutions énergétiques intégrées à New York, Londres, Dubaï et Lagos. Il fut aussi ministre de l’Économie, du Plan et de la Coopération du Sénégal (avril 2019), conseiller spécial de l’ex-président du Sénégal, Macky Sall (avril 2022-avril 2024), et directeur général du Fonds de garantie des investissements prioritaires (Fongip).

Amadou Hott est diplômé de l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne où il obtenu la Licence et la Maitrise en Science économique, option Monnaie et finance et un DEA en Finance de marché et gestion bancaire. Il est aussi titulaire d’un master en mathématiques financières de l’Université de New York.

Mahamat Abaas Tolli du Tchad: une chance pour l’Afrique centrale

Le Tchadien Mahamat Abaas Tolli est le premier candidat à avoir annoncé sa candidature, en mars 2024. Il a entamé sa campagne depuis de nombreux mois et bénéficie de la candidature unique et du soutien des pays d’Afrique centrale, la seule région du continent à n’avoir jamais dirigé l’institution panafricaine. Ces pays souhaitent donc que la rotation bénéficie cette fois-ci au candidat de la région. Il bénéficie du soutien d’au moins onze pays de la Communauté économique des Etats de l’Afrique centrale (Ceeac) qui ont annoncé dès mars 2024 leur soutien à cette candidature. Il jouit aussi du soutien du président tchadien Mahamat Idriss Déby Itno qui a lancé une campagne tous azimuts auprès de ses pair.

Pour autant, le tchadien ne figure pas parmi les favoris. En effet, aucun pays de la Ceeac ne figure parmi les grands actionnaires de la BAD. Ensuite, il aura du mal à drainer des voix auprès des actionnaires non africains, notamment des occidentaux, auprès desquels la diplomatie tchadienne aura du mal à convaincre.

À 52 ans, le Tchadien, diplômé de l’École nationale d’administration (ENA) de Paris et de l’Université de Québec, a occupé plusieurs fonctions dans son pays: directeur de cabinet civil de la présidence, directeur des douanes et des droits indirects, ministre des Finances et du budget à 33 ans, puis ministre des Infrastructures et équipements. Il a été aussi gouverneur de la Banque des Etats de l’Afrique centrale (Beac), président de la Banque de développement des États de l’Afrique centrale (BDEAC) et secrétaire général de la Cobac, le gendarme bancaire de la Cemac.

Le Zambien Samuel Munzele Maimbo: de la Banque mondiale à la BAD, il n’y a qu’un vote

Le Zambien Samuel Munzele Maimbo était logiquement le grand favori. Il jouit du soutien d’un grand nombre de pays d’Afrique australe et de l’Est. Il a été choisi par l’influente Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) le 17 août 2024 lors du 44e sommet ordinaire des chefs d’Etat et de gouvernement de ce regroupement régional.

En octobre de la même année, il a bénéficié du soutien des chefs d’État et de gouvernement du marché commun de l’Afrique orientale et australe (Comesa). Outre le choix de la région, il devrait bénéficier du soutien des pays anglo-saxons, notamment des Etats-Unis, second actionnaire de la BAD, du Royaume-Uni et de l’Irlande, mais aussi de nombreux autres pays occidentaux.

Par ailleurs, il dispose l’un des meilleurs profils pour occuper le poste. Il est depuis le 1er juillet 2023, vice-président du budget, de l’examen des performances et de la planification stratégique au sein de la Banque mondiale. Avant ce poste, il a été chef de cabinet de deux présidents de la Banque mondiale, David Malpass et Ajay Banga. De plus, il pourrait bénéficier du soutien de la nouvelle administration américaine du fait de la proximité de Malpass avec les nouvelles autorités américaines. Ce qui n’est pas négligeable, les États-Unis étant le second actionnaire de la BAD. Enfin, la règle tacite d’alternance pour occuper le poste de président de la BAD lui est également favorable. Cependant, même parti grand favori, il peut voir ses chances compromises par la Sud-africaine Bajabulile Swazi Tshabalala.

Samuel Munzele Maimbo, 52 ans, possède près de 30 ans d’expérience dans le développement, les marchés financiers, la mobilisation des ressources et la planification stratégique dont 23 ans au sein de la Banque mondiale. Avant cela, il a été inspecteur bancaire à la Banque de Zambie et auditeur chez PricewaterhouseCoopers (PwC).

Le candidat zambien est titulaire d’un doctorat en administration publique (secteur bancaire) de l’université de Manchester, d’un MBA en finances de l’université de Nottingham, d’un Fello Chartered Certified Accountant (FCCA) obtenu au Royaume-Uni.

Les modalités de l’élection

L’élection à la présidence de la BAD se déroulera lors des Assemblées annuelles et du Conseil des gouverneurs du Groupe de la BAD, prévus du 27 au 29 mai 2025 à Abidjan, en Côte d’Ivoire. En attendant, les cinq candidatures doivent passer, entre le 11 et le 13 février, la phase de vérification de leur conformité individuelle par le Comité directeur du Conseil des gouverneurs qui arrêtera et publiera, le 21 février, la liste des candidats dûment enregistrés.

Ensuite, il faudra attendre l’élection qui aura lieu en mai 2025. Et pour être élu, il faudra obtenir les voix des autres pays et/ou d’organisations régionales. Le candidat doit recueillir deux majorités des suffrages exprimés: 50,01% des votes des 81 membre de l’institution et 50,01% des membres régionaux (pays africains). Chaque membre dispose d’un droit de vote en fonction de sa participation au capital de la BAD. Le Nigeria est le premier actionnaire et pèse 9,25% du capital et des droits de vote de la solide institution financière africaine dotée d’un capital de 318 milliards de dollars.

Par Moussa Diop
Le 03/02/2025 à 13h52