Cinq candidats sont en lice pour la présidence de la Banque africaine de développement (BAD): Amadou Hott (Sénégal), Swazi Bajabulile Tshabalala (Afrique du Sud), Sidi ould Tah (Mauritanie), Samuel Munzele Maimbo (Zambie) et Mahamat Abbas Tolli (Tchad).
Les délégations des 81 actionnaires de la BAD -54 pays africains et 27 non-africains- sont à Abidjan pour les Assemblées générales, du 26 au 30 mai, dominées par l’élection du nouveau président de la BAD qui se déroulera le jeudi 29 mai.
C’est l’occasion pour les chefs d’État et de gouvernement, des ministres de l’Économie et les membres de délégations d’essayer de convaincre les actionnaires qui ne se sont pas encore prononcés pour voter en faveur de leur candidat. Ainsi, le président ivoirien Alassane Ouattara soutient officiellement le candidat mauritanien Sidi ould Tah et fait même campagne en sa faveur.
L’élection du président de la BAD a ceci de particulier que tous les votes n’ont pas le même poids. Certains sont plus déterminants que d’autres et sont donc plus sollicités. Ce sont les votes des 10 premiers actionnaires, les «faiseurs de roi».
Cette élection ne se déroule pas selon la règle d’«un pays une voix». Le pouvoir de vote de chaque actionnaire est fonction de la hauteur de sa participation au capital de la BAD.
Les particularités d’une élection
Les 10 premiers actionnaires de la BAD sont: Nigeria (9,333% des droits de vote), Égypte (6,330%), États-Unis (6,092%) Japon (5,443%), Algérie (5,331%), Afrique du Sud (5,056%), Maroc (4,761%), Allemagne (4,139%), du Canada (3,853%) et de la France (3,713%). Ces 10 pays représentent à ceux seuls 54,051% des droits de vote.
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En votant tous pour un seul candidat, celui-ci remportera l’élection en obtenant les deux majorités requises: la majorité de 52,183% des votes des pays régionaux (membres africains) et 54,05% des votes des membres régionaux et non-régionaux.
Et même à l’intérieur de ce cercle fermé, tous les pays n’ont pas le même poids. Le Nigeria occupe une place fondamentale avec 9,333% des votes et représente 15,806% des votes des membres régionaux. C’est le pays qui peut faire pencher la balance en faveur de l’un ou de l’autre candidat. L’appui du Nigeria est donc très sollicité.
Idem pour l’Égypte, 2e actionnaire de la BAD avec 6,330% des droits de vote. Avec le Nigeria, ces deux pays pèsent 15,663% des votes de tous les membres et 26,527% de ceux des membres régionaux (Afrique), c’est-à-dire plus du quart des droits de vote des pays du continent. Jusqu’à présent, aucun de ces deux pays n’a dévoilé son intention de vote.
À ces deux pays s’ajoutent l’Algérie (5,331%), l’Afrique du Sud (5,056%) et le Maroc (4,761%) dont les votes sont déterminants pour qu’un candidat puisse être assuré de dépasser le premier tour.
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Ensemble, ces cinq premiers actionnaires africains de la BAD représentent 30,811% des droits des vote des actionnaires et représentent la majorité des votes des membres africains. Une majorité essentielle pour être élu président de l’institution panafricaine.
Pouvoirs de vote des pays membres non-régionaux de la BAD à la date du 30 avril 2025.. DR
Si l’Afrique du Sud vote naturellement pour son candidat, certains avancent que le vote du Maroc irait au candidat sénégalais Amadou Hott alors que l’Algérie opterait pour la Sud-africaine. Là aussi il n’y a rien de définitif.
Du côté des 27 actionnaires non-régionaux, (non-africains), ce sont les États-Unis qui sont premiers actionnaires (3e en tenant compte des pays africains) de la BAD avec un droit de vote de 6,092%, devant le Japon (5,443%), l’Allemagne (4,139%), le Canada (3,853%) et la France (3,713%). Aucune intention de vote n’a émané de ce groupe de pays.
Ces actionnaires non-régionaux vont se pencher sur le profil et le programme des candidats aux parcours différents et aux programmes globalement similaires.
Qui soutient qui?
Toutefois, certains observateurs semblent déceler des soutiens à tel ou tel candidat de la part des actionnaires non-régionaux. On parle ainsi d’un appui de la France au candidat mauritanien Sidi ould Tah et des États-Unis au Zambien.
Mais rien n’est officiel. C’est donc l’incertitude totale. Et pour cause, très peu de pays ont clairement affiché de manière officielle leur soutien à tel ou tel candidat.
Mais il semblerait que deux candidats aient obtenu l’appui de leurs régions. C’est le cas de Samuel Munzele Maimbo, candidat de la Zambie, qui revendique le soutien de deux blocs régionaux: la Communauté de développement de l’Afrique Australe (SADC) et le Marché Commune de l’Afrique Orientale et Australe (Comesa). Ces deux ensembles regroupent 21 pays. Cependant, ce soutien s’est un peu fissuré suite à la présentation de l’Afrique du Sud de sa propre candidate.
Étant la première puissance économique et diplomatique de la région, la candidature sud-africaine risque de compromettre les chances du Zambien Maimba de remporter l’élection dès les premiers tours.
Le candidat zambien est aussi le favori des actionnaires non-africains. On lui prête le soutien américain, lui qui a été le chef de cabinet de l’ancien président de la Banque mondiale David Malpass, un proche de Donald Trump, avant d’occuper le poste de vice-président de l’institution sous l’actuel présidence de l’Américain Ajay Banga.
Toutefois, pour être élu président de la BAD, il devra obligatoirement disposer d’une majorité de 50,01% des votes des pays africains. Ce qui n’est pas acquis.
Le poids du Nigeria, de l’Afrique du Sud et des États-Unis
Le candidat qui compte «faire de la BAD une institution performante et axée sur les résultats, capable de produire un impact pour l’Afrique» demeure l’un des favoris de cette élection. Et certains pensent que si jamais le Nigeria lui apporte son soutien, il pourrait remporter facilement l’élection.
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Derrière lui, il y a le Mauritanien Sid ould Tah qui bénéficie du soutien de la Côte d’Ivoire, du Togo, du Bénin et du Mali, pays qui ont ont affiché leurs intentions de vote. D’après plusieurs sources, il bénéficie aussi du soutien de la France qui figure parmi les 10 premiers actionnaires de la BAD.
Les autorités mauritaniennes tablent aussi sur l’appui des pays d’Afrique du Nord, notamment du Maroc, de l’Algérie, de la Tunisie et de la Libye. Un vote en bloc des pays d’Afrique du Nord, avec l’Egypte, pourrait propulser le candidat mauritanien, au moins, au dernier tour. Mais ce vote en bloc (20,034% des droits de vote) est loin d’être acquis.
Les pays du Golfe, notamment l’Arabie saoudite et le Koweït, tous deux actionnaires de la BAD, soutiennent le candidat mauritanien. Pour gagner l’élection, celui-ci devra survivre aux trois premiers tours pour bénéficier des reports de voix des candidats du Maghreb et d’Afrique de l’Ouest. Mais pour remporter l’élection, il devra bénéficier de l’appui du Nigeria ou au moins du Japon et de l’Allemagne chez les non-régionaux.
Cinq candidats, une seule femme
Pour le Sénégalais Amadou Hott qui semble avoir les faveurs de l’actuel président de la BAD Akinwumi Adesina, ainsi que ceux des milliardaires nigérians Aliko Dangoge et Tony Elumelu, il bénéficie des soutiens affichés du Gabon, du Congo et de certains pays limitrophes du Sénégal. Ce qui ne risque pas de peser bien lourd.
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Reste à savoir si le forcing fait auprès des autorités nigérianes pour obtenir le soutien du premier actionnaire de la BAD va payer. Seul ce soutien semble à même de mener un peu loin la candidature de Hott. Cependant, les dirigeants nigérians, qui ne se sont pas prononcés jusqu’à présent, semblent privilégier une certaine rotation régionale à la tête de l’institution panafricaine. L’actuel président étant ouest-africain, ce choix risque de plomber la candidature du Sénégalais.
La Sud-africaine Swazi Bajabulile Tshabalala, dont la pays est le 6e actionnaire de la BAD, pourrait bénéficier du soutien de certains pays de la SADC et du Comesa. Le poids politique et diplomatique de l’Afrique du Sud pourrait également l’aider à engranger des voix.
Deux facteurs pourraient jouer en sa faveur: elle est la seule femme candidate et sa connaissance des arcanes de la BAD en tant que première vice-présidente. Cet avantage pourrait influencer certains votes, notamment anglo-saxons (Royaume-Uni, Irlande…). Toutefois, sans le soutien du Nigeria, la candidate sud-africaine risque d’avoir peu de chance de remporter l’élection.
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Enfin, le candidat qui semble obtenir le moins de soutiens est le Tchadien Mahamad Abbas Tolli. Logiquement épaulé par les pays de la Communauté des Etats d’Afrique centrale (Cemac), ses soutiens se sont fissurés avant et après le dépôt des candidatures. Le Gabon et le Congo ont clairement affiché leur soutien au candidat sénégalais. Le Tchadien n’a obtenu aucun soutien parmi les pays qui ont un poids de vote intéressant. Son élection serait une grosse surprise.
En conclusion, à la veille de l’élection du président de la BAD à Abidjan, les tractations au plus haut niveau vont se poursuivre pour influer sur les votes des pays indécis et négocier les reports de voix pour les candidats qui ont le moins de chance d’aller loin dans cette course. Une élection qui devrait se jouer sur plusieurs tours. Le suspense est total.