Réformes de la gouvernance économique mondiale: ces 10 pays africains sont sur tous les fronts

La 114ème réunion ministérielle du Groupe des Vingt-Quatre (G24), à Washington, le 14 octobre 2025.

Le 23/10/2025 à 15h15

Au sein des instances décisionnelles clés de la gouvernance économique mondiale, plus d’un note la montée en puissance d’un bloc africain déterminé, militant sur les questions monétaires internationales et le développement aux côtés de pays asiatiques et d’Amérique latine.

Face à une économie mondiale fragilisée par des chocs successifs, des tensions commerciales et une dette insoutenable, dix nations africaines défendent, au sein du Groupe intergouvernemental des vingt-quatre (G24), une vision commune exigeant des réformes profondes des institutions financières internationales (IFI).

C’est dans ce contexte que s’est tenue la 114ème réunion ministérielle du Groupe des Vingt-Quatre (G24)*, à Washington, le 14 octobre 2025 sous la présidence de Pablo Quirno, secrétaire aux Finances de l’Argentine, assisté d’Olayemi Michael Cardoso, gouverneur de la Banque centrale du Nigéria, premier vice-président, et de Muhammad Aurangzeb, ministre des Finances du Pakistan, second vice‑président.

Représentés par des figures clés comme Mohammed Taamouti (Maroc), Rania Al-Mashat (Égypte), Doris Anite (Nigéria), Abdelhak Bedjaoui (Algérie), André Wameso Nkualolok (RDC), Chalouho Coulibaly (Côte d’Ivoire), Ahmed Shide (Éthiopie), Philip Abradu-Otoo (Ghana), Kamau Thugge (Kenya) et Ashor Sarupen (Afrique du Sud), les dix pays africains et quatorze autres portent une voix collective exigeant des réformes structurelles des institutions financières internationales (IFI). Un récent communiqué publié par le FMI révèle un instantané stratégique de leurs priorités.

Ce que nous notons à l’issue de cette réunion, c’est l’activisme d’une dizaine de pays africains sur les questions monétaires internationales et le développement, et la montée en puissance d’un bloc africain structuré et stratégique, déterminé et à l’influence grandissante. Leur message est sans équivoque: le multilatéralisme actuel est défaillant et doit être réformé pour soutenir efficacement le développement et la stabilité.

Leadership collectif sur les enjeux fondamentaux

Ces dix nations, militants au sein du «Groupe Africain» du G24, ne sont pas de simples figurants. Leur présence active, incarnée par leurs représentants ministériels ou de banques centrales assis à la table des décisions, démontre une maturité diplomatique et une volonté commune. Ces pays africains s’alignent sur les positions centrales défendues par le G24, reflétant ainsi leurs préoccupations communes. Disons que leur siège à la table du G24 n’est pas symbolique. C’est le lieu où se négocient concrètement les règles du jeu économique mondial qui impactent directement leurs populations.

La première priorité des ces pays est relative à la paix et au développement indissociables. Ces dix pays appuient l’appel du G24 à l’arrêt des hostilités et au respect du droit international, soulignant le lien vital entre stabilité politique et croissance économique. Leur soutien aux engagements existants envers les pays fragiles et d’accueil de réfugiés concerne directement plusieurs pays de la région (Sahel, Corne de l’Afrique).

La deuxième préoccupation commune concerne la défense des intérêts des économies émergentes et en développement (PEPD) face aux chocs. Ils partagent l’inquiétude du G24 quant aux «vents contraires» pesant sur les PEPD: tensions commerciales, incertitude politique, détérioration des termes de l’échange, baisse des exportations et des transferts de fonds. Le communiqué note que leurs politiques intérieures ont joué un rôle capital face à l’inflation et à l’incertitude, soulignant l’importance maintenue de l’indépendance des banques centrales (un point crucial pour leurs politiques monétaires nationales). Cependant, leurs marges de manœuvre restreintes et le surendettement les poussent à exiger des solutions collectives et coordonnées.

Le noyau des revendications de réforme

Ces dix pays africains sont aux avant-postes des demandes clés du G24 pour réformer la gouvernance économique mondiale, reflétant leurs propres besoins stratégiques. Premièrement, ils soutiennent sans équivoque l’insistance du G24 sur un réalignement des quotes-parts qui traduit mieux le poids économique relatif des pays tout en protégeant les quotes-parts relatives de tous les PEPD, y compris les plus pauvres. C’est une demande centrale pour augmenter leur voix et leur accès aux ressources. Ces pays appuient la déclaration de Diriyah et l’élaboration de principes pour les révisions futures, poussant à l’achèvement urgent de la 16ème révision.

Ces pays africains appellent à améliorer la représentation régionale au CMFI en invitant le président du G24, à l’instar du Comité du Développement de la Banque mondiale, est un levier pour renforcer leur influence directe au sein de l’instance décisionnelle clé du FMI.

Deuxième point, les pays membres du G24 soutiennent les demandes de révision permanente des cadres de viabilité de la dette, de la conception des programmes, des pratiques de surveillance et du développement des capacités du FMI. L’accent mis sur «des méthodologies robustes» pour évaluer les déséquilibres extérieurs et la participation continue sur des thèmes d’importance critique comme la transition numérique et l’IA est crucial pour des pays cherchant à naviguer un environnement économique complexe et à bénéficier d’analyses pertinentes.

Troisièmement, les pays membres du G24 saluent la poursuite de la réforme de la Banque mondiale axée sur l’emploi et le secteur privé, domaines critiques pour leur transformation économique. Ils appuient fermement la «revue des actionnaires» en cours à la BIRD pour évaluer les « sous-représentations » et renforcer la participation des pays en développement, en appliquant strictement les principes de Lima protégeant les droits des pays «les plus petits et les plus pauvres». L’appel à une action rapide sur la tarification des prêts de la BIRD vise à améliorer l’accessibilité du financement pour leurs projets. Leur soutien à la feuille de route du G20 pour des banques multilatérales de développement (BMD) meilleures, renforcées et plus efficaces souligne leur besoin de canaux de financement du développement plus solides et coordonnés.

Dette, climat et financement sont des enjeux critiques

Dette souveraine et viabilité, finance climatique et transition énergétique, mobilisation des ressources et lutte contre les flux illicites, autant de défis majeurs pour ces économies au cœur de leurs positions collectives.

Le constat que les niveaux d’endettement élevés et l’augmentation des coûts du service de la dette continuent d’assombrir les perspectives les touche directement. Le G24 accueille favorablement les avancées sur le Cadre commun du G20 mais pousse à son amélioration pour des résultats plus prévisibles, rapides et coordonnés.

Leur plaidoyer pour des réformes de portée plus large inclut la transparence de la dette, le renforcement de la gestion de la dette et la révision des méthodologies des agences de notation, éléments essentiels pour leur stabilité macroéconomique. L’appel à renforcer les mécanismes pour les pays solvables mais confrontés à des chocs de liquidité, et l’attente de la revue de la facilité de décaissement à court terme du FMI, sont des demandes opérationnelles concrètes.

Les pays membres du G24 insistent sur des engagements équitables adaptés aux circonstances nationales et le principe de responsabilité commune mais différenciée. Leur demande de dotations, financements concessionnels, transferts de technologies et développement des capacités est vitale pour des transitions justes. Le soutien aux plateformes administrées par les pays alignant climat et développement national est une approche qu’ils défendent pour canaliser efficacement les fonds.

Ces pays mettent l’accent sur l’accès à «l’ensemble des sources d’énergie» avec «toutes les technologies appropriées». Ce qui reflète leur besoin de flexibilité dans leur mix énergétique tout en visant les objectifs climatiques. Les pays membres du G24 lancent également un appel pressant aux pays développés pour qu’ils « honorent leurs engagements existants » et que la COP30 marque un tournant est crucial pour leur adaptation et atténuation.

Les pays membres du G24 soulignent la nécessité d’une «plus forte mobilisation des ressources intérieures» et d’une «coopération multilatérale efficace» pour lutter contre les flux financiers illicites (FFI) et l’érosion de la base fiscale, fléaux majeurs pour leurs budgets. Ils appellent à inverser la baisse de l’APD et saluent les travaux vers une Convention-cadre de l’ONU sur la coopération fiscale internationale, aspirant à une architecture «plus inclusive, plus durable et plus équitable». Le rappel de l’Engagement de Séville 2025 sur le financement du développement montre leur volonté de tenir la communauté internationale responsable.

Une influence croissante et des défis persistants

Ainsi, comme l’on peut le constater, la participation active de ces dix nations au G24 change la donne pour plusieurs acteurs. Pour les pays africains, elle démontre une capacité accrue à peser collectivement sur l’agenda des IFI. Leur unité sur des dossiers clés (quotes-parts, représentation, dette, climat) renforce leur position de négociation. L’accent mis sur le renforcement des BMD et de la Banque mondiale ouvre potentiellement des canaux de financement plus adaptés et accessibles.

Pour ce qui est des institutions financières internationales (FMI, Banque Mondiale), elles font face à une pression croissante et légitime pour se réformer en profondeur: rééquilibrage des pouvoirs via les quotes-parts, meilleure représentation des PEPD, adaptation des instruments (dette, liquidité, climat), augmentation des ressources concessionnelles. Elles doivent répondre à ces demandes pour préserver leur légitimité et leur efficacité.

Pour le secteur privé (local et international), les appels du G24 à un environnement commercial stable, au soutien aux PME, au développement du secteur privé comme moteur de croissance et de création d’emplois, et à la mobilisation des capitaux privés (via des instruments innovants comme la titrisation, les obligations vertes, les financements mixtes) sont des signaux positifs. Cependant, la persistance des incertitudes mondiales et des vulnérabilités nationales reste un défi pour l’investissement.

Et enfin, pour les créanciers (publics et privés), la pression pour améliorer le Cadre commun de traitement de la dette et assurer une participation plus rapide et prévisible est renforcée. La demande de transparence accrue sur la dette et de révision des méthodologies des agences de notation concerne directement les pays listés plus haut.

Ainsi, le communiqué du FMI sur la réunion du G24 révèle moins des actions individuelles spectaculaires de la part de cette dizaine de pays, que la puissance d’une position africaine collective et structurée. Leur force réside dans leur unité au sein du Groupe Africain du G24 pour défendre des réformes systémiques des IFI. Ils agissent comme un groupe de pression influent pour une gouvernance économique mondiale plus juste, équitable et adaptée aux défis spécifiques des pays émergents et en développement, particulièrement africains.

Les changements concrets– révision des quotes-parts, réforme des BMD, amélioration des instruments de gestion de crise et de financement climatique– sont encore en négociation, mais leur poids dans ces négociations est désormais incontestable. L’enjeu est désormais la traduction effective de ces revendications collectives en décisions opérationnelles des IFI et en engagements tenus par les pays développés. Leur capacité à maintenir cette unité et à suivre la mise en œuvre sera déterminante pour l’avenir économique du continent.

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(*) Le Groupe intergouvernemental des Vingt-Quatre pour les questions monétaires internationales et le développement (G24) est composé de trois groupes.

Groupe africain : Algérie ; République démocratique du Congo ; Côte d’Ivoire ; Égypte ; Éthiopie ; Ghana ; Kenya ; Maroc ; Nigéria ; Afrique du Sud.

Groupe asiatique : Inde ; République islamique d’Iran ; Liban ; Pakistan ; Philippines ; Sri Lanka ; République arabe syrienne.

Groupe latino-américain : Argentine ; Brésil ; Colombie ; Équateur ; Guatemala ; Haïti ; Mexique ; Pérou ; Trinité-et-Tobago.

Observateurs : Angola ; Fonds monétaire arabe ; Conseil monétaire centraméricain ; Chine ; Banque islamique de développement ; OPEP ; Arabie saoudite ; South Centre ; Émirats arabes unis ; CNUCED ; CEPALC.

Positions clés des 10 États africains à l’œuvre au sein du G24

PaysReprésentant à la 114ème réunion ministérielleFonctionPosition clé au G24
MarocMohammed TaamoutiReprésentantau sein du Groupe intergouvernemental des Vingt-Quatre (G24)Réalignement des quotes-parts, amélioration de la représentation au FMI
Côte d’IvoireChalouho CoulibalyReprésentant au sein du Groupe intergouvernemental des vingt-quatre (G24)Viabilité de la dette, finance climatique et renforcement des banques multilatérales de développement (BMD)
ÉgypteRania Al-MashatReprésente au sein du Groupe intergouvernemental des vingt-quatre (G24)Paix et développement, stabilité macroéconomique, représentation équitable au CMFI
ÉthiopieAhmed ShideMinistre des FinancesSoutien aux pays fragiles/hôtes de réfugiés, révision des cadres de dette
GhanaPhilip Abradu-OtooReprésentant au sein du Groupe intergouvernemental des vingt-quatre (G24)Indépendance des banques centrales, lutte contre les flux financiers illicites (FFI)
KenyaKamau ThuggeGouverneur de la Banque centraleAccès aux énergies diversifiées, mobilisation des capitaux privés pour le développement
NigériaDoris AniteMinistre d’État des FinancesRéforme structurelle des IFI, soutien aux PME et création d’emplois
RDCAndré Wameso NkualolokGouverneur de la Banque centraleTransparence de la dette, renforcement des banques multilatérales de développement (BMD)
Afrique du SudAshor SarupenMinistre délégué des FinancesTransition juste (climat/développement), réforme des agences de notation
AlgérieAbdelhak BedjaouiAdministrateur auprès du Groupe de la Banque mondiale (World Bank Group)Réforme des quotes-parts du FMI, défense des économies émergentes

Source: FMI.

Par Modeste Kouamé
Le 23/10/2025 à 15h15