Rwanda. «Le nucléaire peut transformer les systèmes énergétiques de toute l’Afrique», assure le président de l’Office de l’énergie atomique

Lassina Zerbo, Président de la Commission de l'énergie atomique du Rwanda

Le 24/07/2025 à 14h50

VidéoLa transition énergétique nécessitant des solutions fiables, Kigali mise sur l’innovation et l’anticipation pour intégrer les petits réacteurs modulaires dans son mix énergétique. Dans cet entretien, Lassina Zerbo, président du Rwanda Atomic Energy Board, détaille la stratégie adoptée pour intégrer le nucléaire dans son mix énergétique.

Conscient que l’industrialisation ne peut être soutenue par des sources intermittentes comme le solaire ou l’éolien, Kigali a pris une longueur d’avance en misant sur l’intégration du nucléaire civil dans son mix énergétique. «Le président Kagame a vu très tôt la nécessité d’un mix énergétique crédible. Le nucléaire s’est imposé naturellement dans cette logique», explique le Dr. Lassina Zerbo, président de l’agence sur l’énergie atomique du Rwanda, RAEB.

Ce pari se justifie d’autant plus que le pays a déjà été confronté aux limites de sa capacité énergétique «par le passé, une industrie verrière qui projetait de s’installer à Kigali s’est vite rendu compte qu’elle consommerait presque toute l’électricité du pays. C’est à ce moment-là qu’il a fallu repenser notre modèle énergétique», poursuit le responsable du Rwanda Atomic Energy Board.

Actuellement, environ 75% de la population rwandaise a accès à l’électricité, un chiffre en forte progression comparé à moins de 10% du début des années 2000. Le pays s’est fixé un objectif ambitieux, celui d’atteindre l’électrification universelle d’ici 2030. Pour y parvenir, le nucléaire est appelé à jouer un rôle complémentaire crucial, en assurant une énergie continue, fiable et sans émissions carbone.

Contrairement à une vision purement politique, la stratégie rwandaise repose sur une préparation rigoureuse. Plus d’une centaine d’étudiants ont déjà été formés en sciences et technologies nucléaires, ce qui fait du pays l’un des plus avancés dans la sous-région en matière de ressources humaines qualifiées. «Nous avons créé une masse critique de scientifiques, indispensables pour absorber cette technologie. C’est une stratégie globale qui va de la formation au soutien de la société civile», souligne le Dr. Zerbo.

Loin d’opposer énergie nucléaire et renouvelables, le Rwanda milite pour leur complémentarité. «Le nucléaire ne vient pas en contradiction avec le solaire ou l’éolien. Il les complète. Il est propre, continu et s’adapte parfaitement aux besoins de l’industrialisation», insiste le Dr. Zerbo.

Le pays mise notamment sur les petits réacteurs modulaires et les microréacteurs, capables d’alimenter des zones isolées, des centres hospitaliers ou des infrastructures industrielles de manière autonome et sans interruption. Une solution particulièrement adaptée aux défis du continent africain, où l’accès stable à l’énergie reste l’un des freins majeurs au développement.

Mais si la technologie existe et que la volonté politique devient de plus en plus grandissante, le nerf de la guerre reste le financement. «La Banque mondiale vient tout juste de lever son interdiction de financer le nucléaire civil. C’est un changement de paradigme», souligne le Dr. Zerbo.

Pour l’Afrique, l’Agence Internationale pour l’Energie Atomique, AIEA, estime qu’au moins 100 milliards de dollars devront être mobilisés au cours des deux prochaines décennies pour soutenir le développement du nucléaire civil sur le continent, notamment à travers les SMR. Or, les financements restent fragmentés. «La Banque africaine de développement a longtemps été frileuse sur ce dossier. Mais des institutions comme la Banque ouest-africaine de développement montrent aujourd’hui plus d’ouverture», se réjouit-il.

Toutefois, il déplore que l’Afrique doive encore attendre des signaux extérieurs pour avancer: «Nous devrions être en avance, pas attendre le feu vert de l’international pour bouger. Il faut que nous nous fassions plus confiance.»

La crainte que suscite encore le mot «nucléaire» reste un obstacle à lever. Dr. Zerbo insiste: «Le nucléaire, ce n’est pas pour détruire, c’est pour construire. Nous sommes dans une logique d’utilisation pacifique, contrôlée, conforme aux traités internationaux.» Pour lui, l’Afrique a non seulement besoin du nucléaire, mais elle en a aussi les moyens.

De fait, le continent ne manque pas de matières premières: le Niger, la Namibie, la RDC, le Rwanda ou encore l’Afrique du Sud disposent d’importants gisements d’uranium et de minerais critiques nécessaires à la chaîne de valeur nucléaire. Il s’agit désormais de structurer les capacités industrielles locales.

«Ce que nous faisons ici peut inspirer l’Afrique entière. Nous avons les jeunes formés, l’accompagnement politique, et une ambition claire. Le nucléaire est une voie d’avenir», conclut le Dr. Zerbo.

Par Fraterne Ndacyayisenga
Le 24/07/2025 à 14h50