Le bilan du financement des startups africaines en 2024 est désormais connu et révèle un rebond réel mais inégalement réparti. En 2024, les startups africaines ont levé un total de 2,2 milliards de dollars auprès d’investisseurs, selon les données de la plateforme «Africa: The Big Deal». Bien que substantiel en valeur absolue, ce montant représente une baisse de 25% par rapport aux 2,9 milliards levés en 2023, reflétant les effets persistants du ralentissement entamé mi-2022.
Comme l’explique Max Cuvellier Giacomelli, co-fondateur de Africa: The Big Deal, «démarrant lentement avec seulement 800 millions de dollars levés au premier semestre, l’année 2024 a connu un sérieux rebond au second semestre avec 1,4 milliard de dollars, soit +25% sur un an et +80% par rapport au premier semestre, faisant du S2 2024 le deuxième meilleur semestre depuis le début du ralentissement.»
Les 10 plus grosses levées de fonds représentent 51% du total des fonds collectés en 2024.. DR.
Le «Big Four» renforce sa domination
Le paysage du financement des startups en Afrique reste extrêmement concentré autour d’un petit groupe de pays leaders en 2024. Le Kenya, le Nigéria, l’Égypte et l’Afrique du Sud, surnommés le «Big Four», ont drainé à eux seuls 84% des fonds levés par les startups africaines l’an dernier, selon les données de «Africa: The Big Deal». Avec respectivement 638 millions de dollars, 410 millions, 400 millions et 394 millions attirés, ils consolident leur position de locomotives incontestées du financement entrepreneurial sur le continent.
Cette prédominance du «Big Four» s’explique par la taille de leurs marchés intérieurs, des environnements entrepreneuriaux généralement plus matures et propices, ainsi qu’un accès privilégié aux investisseurs locaux et internationaux. Leur poids combiné est nettement supérieur à leur importance économique et démographique relative en Afrique, signe de l’attractivité disproportionnée qu’exercent ces écosystèmes.
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Le Maroc, pourtant 5ème pays le plus financé avec 70 millions levés, accuse encore un très net retard par rapport au peloton de tête. Les startups marocaines n’ont pu lever que des montants nettement inférieurs à ceux du « Big Four » en 2024. Avec 70 millions de dollars attirés, elles ont levé 5,6 fois moins que leurs homologues sud-africaines, 5,7 fois moins que les égyptiennes, 5,8 fois moins que les nigérianes et 9,1 fois moins que les kenyanes. Malgré des avancées notables ces dernières années, l’écosystème entrepreneurial marocain peine encore à s’imposer au niveau continental.
Cet écart pourrait s’expliquer par un marché domestique plus restreint, un cadre réglementaire moins favorable à l’entrepreneuriat et un accès plus limité aux capitaux pour les jeunes pousses marocaines. Cette concentration des financements autour d’un petit nombre de pays phares témoigne des défis persistants auxquels font face de nombreux écosystèmes émergents. L’accès limité aux capitaux, les faiblesses infrastructurelles et réglementaires, ainsi que le manque de main-d’œuvre qualifiée entravent le développement de certains écosystèmes prometteurs.
Dans l’ensemble, la concentration géographique du financement reste donc très marquée. Une telle polarisation, si elle permet d’ancrer des pôles entrepreneuriaux forts, soulève aussi des interrogations sur l’équité de la répartition de cette manne à l’échelle continentale et la capacité des autres écosystèmes à émerger.
Des écosystèmes se renforcent
Bien que le paysage du financement des startups africaines reste très polarisé autour du « Big Four », quelques pays moins en vue ont réussi à tirer leur épingle du jeu en 2024.
Le Ghana arrive en 6ème position avec 68 millions de dollars levés par ses startups. Un résultat encourageant pour cet écosystème entrepreneurial en plein essor, porté par une économie dynamique et une diaspora ghanéenne influente à l’international.
La Tanzanie (53 millions levés) et le Bénin (50 millions) complètent un groupe de pays sub-sahariens aux environnements jugés prometteurs par les investisseurs, malgré des marchés intérieurs de taille modeste.
Deux pays francophones d’Afrique de l’Ouest, la Côte d’Ivoire (33 millions) et le Sénégal (22 millions), ferment ce top 10 des pays les mieux financés en 2024. S’ils restent très loin des volumes drainés par le «Big Four», ils confirment l’émergence d’une nouvelle génération d’écosystèmes entrepreneuriaux sur le continent.
Au-delà des capitales traditionnelles du financement, ces pays illustrent la pluralité des opportunités offertes aux startups africaines, dans des environnements économiques, politiques et culturels variés. Leur présence témoigne aussi de la capacité de petits marchés à produire des innovations pertinentes et à potentiel de déploiement régional.
Si les écarts de financement restent massifs avec le peloton de tête, ces pays jouissent d’atouts comme une main-d’œuvre qualifiée à moindre coût, une démographie porteuse et des diasporas connectées aux grands centres financiers mondiaux. Des atouts à même de les installer durablement dans le paysage très convoité du financement des startups africaines.
Répartition des sources de financement
En 2024, 30% du financement provenait de la dette, 68% des capitaux propres (equity) et 2% de subventions. Ce qui marque une inversion par rapport à 2023, «l’année de la dette» avec 38% du financement en dette. L’equity, après un fort repli en 2023 (-57%), a mieux résisté en 2024 avec 1,5 milliard de dollars levés, en baisse de seulement 11%.
Comme le souligne Maxime Bayen, co-fondateur de «Africa: The Big Deal, «les valorisations ayant baissé avec la correction du financement en 2023-2024, cela pourrait représenter une fenêtre d’opportunité d’investissement intéressante.»
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Au niveau sous-régional, l’Afrique de l’Est, portée par le Kenya, a drainé 725 millions (33%), devant l’Afrique de l’Ouest avec 587 millions (27%), l’Afrique du Nord avec 478 millions (22%) et l’Afrique Australe avec 397 millions (18%). Seulement 188 startups africaines ont réussi à lever 1 million de dollars ou plus en 2024 (hors sorties), un chiffre en baisse de 10% sur un an.
Le financement s’est également concentré sur quelques acteurs : les 10 plus grosses levées de fonds, menées par Tyme, MNT-Halan, Moniepoint, BasiGo, Spiro, D.light, Moove, Sun King, M-KOPA et Nuitée, ont représenté à elles seules 51% des fonds levés sur le continent. Une concentration légèrement accrue puisque ce Top 10 ne pesait que 49% en 2023, 35% en 2022 et 43% en 2021.
Nouvelles licornes et sorties de startups
Malgré le ralentissement, 2024 a vu l’émergence de 2 nouvelles licornes africaines (valorisées à 1 milliard de dollars ou plus) avec Tyme et Moniepoint, les premières depuis début 2023.
22 sorties (cessions, introductions en bourse) de startups africaines ont également été rendues publiques en 2024, un nombre légèrement supérieur aux 20 enregistrées en 2023.
En somme, si 2024 a confirmé la tendance de ralentissement amorcée en 2023, quelques signaux encourageants se sont manifestés en fin d’année avec un regain d’activité, l’apparition de 2 licornes et des niveaux de financement en equity qui se sont stabilisés.
Pour autant, les disparités entre pays, une concentration marquée des fonds sur quelques poids lourds sectoriels et le repli du capital-risque posent question sur la solidité de la reprise pour 2025.
Top 10 des pays africains par montants levés en 2024
Pays | Montants levés (en millions de dollars) | Rang |
---|---|---|
Kenya | 638 | 1er |
Nigeria | 410 | 2ème |
Egypte | 400 | 3ème |
Afrique du Sud | 394 | 4ème |
Maroc | 70 | 5ème |
Ghana | 68 | 6ème |
Tanzanie | 53 | 7ème |
Benin | 50 | 8ème |
Côte d’Ivoire | 33 | 9ème |
Sénégal | 22 | 10ème |
Source : Africa: The Big Deal.