Technologies. GITEX Africa Morocco : croissance quantitative, maturité stratégique et évolution géopolitique résument l’édition 2025

L’édition 2025 du GITEX Africa Morocco franchit le cap symbolique de 1.500 exposants et plus de 800 startups présentes.

Le 22/04/2025 à 17h08

Comment former 10 millions de professionnels de l’IA d’ici 2030 dans un continent où seulement 36% de la population a accès à Internet? L’édition 2025 du GITEX Africa n’apporte pas de réponses définitives, mais acte une prise de conscience: l’autonomie technologique de l’Afrique passera par un équilibre fragile entre coopération internationale, innovation et ancrage local, un défi aussi complexe que déterminant pour l’avenir économique du continent.

Depuis sa première édition en 2023, le GITEX Africa Morocco s’est imposé comme le carrefour incontournable de l’innovation technologique en Afrique. Alors que la troisième édition, tenue du 14 au 16 avril 2025 à Marrakech, confirme une dynamique ascendante, l’analyse de l’affluence des pays africains révèle une mutation profonde: d’un événement centré sur la découverte mutuelle en 2023, le salon est devenu une plateforme stratégique pour structurer une souveraineté numérique continentale. Entre croissance exponentielle des participants, diversification des partenariats et ancrage institutionnel, le GITEX Africa Morocco 2025 cristallise les ambitions d’une Afrique déterminée à peser dans la révolution technologique mondiale.


2023-2025: croissance quantitative, attractivité renforcée

La première édition du GITEX Africa Morocco en 2023 avait déjà marqué les esprits avec 900 exposants et délégations de 95 pays, dont une forte représentation africaine. Cependant, l’édition 2025 franchit un cap symbolique: 1.500 exposants (contre 1.400 en 2024) et plus de 800 startups (660 en 2024), venus de 130 pays, avec une «forte représentation africaine» soulignée par plusieurs observateurs. Sans oublier les plus de 45.000 visiteurs qui ont parcouru les halls du salon, témoignant de l’intérêt croissant pour les technologies émergentes sur le continent. Cette progression annuelle des exposants de près de 15 % qui illustre l’ancrage du salon comme vitrine continentale.

Les pays africains, initialement regroupés autour de poids lourds comme le Maroc, l’Égypte ou le Nigeria, voient leur participation se diversifier. En 2025, des délégations du Mali, Congo, Sénégal, Tunisie, Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Afrique du Sud et autres confirment leur présence, tandis que des nations comme le Gabon, Niger et Zambie font désormais partie des participants. «La programmation s’enrichit de la participation de nouveaux pays, issus d’Afrique, d’Europe et d’Asie, parmi lesquels la Belgique, le Gabon, le Niger, la Suisse, l’Ouzbékistan ou encore la Zambie», souligne le communiqué annonçant l’évènement. Cette expansion reflète une volonté panafricaine d’intégration numérique, soutenue par des initiatives comme le programme Morocco 200 (accompagnement de startups marocaines à l’international) ou le Diaspora Studio (mobilisation des talents diasporiques).

2025: maturité stratégique et sectorielle

Si les éditions 2023 et 2024 se concentraient sur la connectivité et les infrastructures, l’édition 2025 se distingue par une approche sectorielle ciblée et des partenariats institutionnels structurants. Plusieurs éléments clés témoignent de cette évolution:

Sur le volet du renforcement de la coopération institutionnelle, l’on peut noter que l’Agence Universitaire de la Francophonie (AUF) Afrique du Nord a mobilisé une délégation panafricaine d’étudiants-entrepreneurs, signe d’une intégration éducation-innovation. Le CAFRAD (Centre Africain de Formation et de Recherche Administratives pour le Développement) a quant à lui signé un protocole avec le ministère marocain de la Transition numérique pour digitaliser les administrations publiques africaines. Comme l’a souligné Dr. Coffi Dieudonné Assouvi, directeur général du CAFRAD «La transformation digitale de l’administration publique s’impose comme un enjeu central des politiques publiques, en réponse aux exigences de transparence et de proximité avec les citoyens.»

Sur le volet de la montée en puissance des écosystèmes nationaux, des pays comme le Congo (avec la startup Quick Move), la Côte d’Ivoire (Digin Factory) ou le Mali (JALIOS) ne se contentent plus d’exposer, ils témoignent de solutions opérationnelles. Boubacar Coulibaly (Mali) résume cette évolution «Être au GITEX Africa est une obligation stratégique pour rencontrer nos clients et futurs partenaires.» Le Sénégal, via African Digital Alternative, illustre cette logique d’exportation technologique intra-africaine.

IA et souveraineté numérique: l’Afrique à l’heure des choix technologiques

Le discours de Amal El Fallah Seghrouchni, ministre déléguée auprès du Chef du Gouvernement marocain, chargée de la Transition numérique et de la réforme de l’administration, lors de la cérémonie d’ouverture, le 15 Avril 2025, a placé 2025 sous le signe de l’«ère de l’intelligence agentique», insistant sur la nécessité pour l’Afrique de passer de consommatrice à créatrice de technologies, voire architecte de ses propres solutions. Une ambition qui se heurte pourtant à des réalités structurelles: le continent abrite moins de 1% des data centers mondiaux, produit seulement 0,5% des publications scientifiques en IA et dépend à 95 % de modèles d’IA entraînés sur des données étrangères, souvent inadaptées aux contextes locaux. Des déséquilibres, couplés à une dépendance critique envers les infrastructures cloud étrangères, qui révèlent les limites d’un modèle encore ancré dans l’importation technologique.

Face à ce constat, des initiatives émergent pour bâtir une alternative africaine. Le Maroc, avec ses Instituts JAZARI – des pôles régionaux intégrant recherche en IA, écosystèmes industriels et besoins territoriaux – incarne cette volonté de décloisonnement. La stratégie Digital Morocco 2030, articulée autour de la modernisation administrative et de la création de 100.000 talents numériques, s’inscrit dans une dynamique plus large portée par le D4SD Hub, plateforme panafricaine de coordination des politiques numériques. Parallèlement, le fonds d’investissement de 1 milliard de dollars lancé par le Maroc, l’Égypte et le Kenya vise à combler le déficit en infrastructures souveraines et à stimuler l’innovation locale. «L’ère de l’IA ne doit pas être une course pour quelques-uns, mais une mission collective», a insisté Amel Seghrouchni, soulignant la nécessité de modèles ouverts, éthiques et ancrés dans les réalités linguistiques et culturelles africaines.

Soulignons, par ailleurs, que l’exemple des Instituts JAZARI illustre cette volonté d’ancrage local : conçus comme des ponts entre recherche et industrie, ils ciblent des secteurs clés (eau, énergie, agriculture) tout en formant aux métiers de l’IA. « Chaque institut est co-construit avec les acteurs locaux pour transformer les minerais critiques africains en intelligence, pas seulement en matières premières », explique la ministre. Une vision qui pourrait inspirer plusieurs pays africains.

Au-delà des efforts des uns et des autres, il faut noter aussi les tensions inhérentes à la construction d’une souveraineté numérique: comment concilier ouverture aux partenariats globaux et protection des données sensibles? Comment former 10 millions de professionnels de l’IA d’ici 2030 dans un continent où seulement 36% de la population a accès à Internet? L’édition 2025 du GITEX Africa n’apporte pas de réponses définitives, mais acte une prise de conscience: l’autonomie technologique de l’Afrique passera par un équilibre fragile entre coopération internationale, innovation frugale et ancrage local – un défi aussi complexe que déterminant pour l’avenir économique du continent.

Partenariats internationaux et diversification sectorielle

L’édition 2025 du GITEX Africa Morocco marque un tournant géopolitique avec la participation massive de 60 entreprises russes sous la bannière «Made in Russia», actives dans les villes intelligentes, la cybersécurité et la santé numérique. Le Centre d’exportation russe a organisé 150 rencontres B2B, signe d’une stratégie d’influence technologique en Afrique. Cette présence, couplée à celle d’acteurs historiques comme l’Europe (via le Conseil Européen de l’Innovation) ou les Émirats arabes unis, révèle un continent africain courtisé, perçu comme un laboratoire d’expérimentation et un futur marché critique.

Parallèlement, le salon s’est sectorisé, anticipant les besoins spécifiques du continent. Le lancement de GITEX Future Health Africa (prévu du 21 au 23 avril 2026 à Casablanca) et l’accent mis sur l’agritech et les smart cities répondent à des urgences locales. Comme l’a souligné Trixie LohMirmand, CEO de KAOUN International «l’Afrique est à un moment charnière où l’IA et le numérique doivent répondre aux défis de l’accès aux soins, de la sécurité alimentaire et de l’urbanisation.»

Quid de l’afflux des startups ?

L’évolution du nombre de startups africaines participant au GITEX Africa, passées de 400 en 2023 à 800 en 2025, reflète une dynamique entrepreneuriale en plein essor. Des programmes ciblés, à l’image de SheWins Africa de la Société Financière Internationale (IFC), dédié aux entrepreneuses, ou de la Supernova Challenge, plus grande compétition panafricaine dédiée aux jeunes startups, permettent à des pépites telles qu’Adot (suivi médical prénatal par IA) ou RateEat (agrégateur de restaurants) de se hisser sur le devant de la scène.

Si le GITEX Africa 2025 a consacré l’Afrique comme terre de startups, il a aussi mis en lumière l’urgence de structurer des chaînes de valeur régionales et de renforcer les fonds souverains d’investissement. Sans cela, le risque persiste de voir les futures licornes africaines s’exiler pour grandir, reproduisant une dépendance technologique que l’événement prétend justement combattre.

Ainsi, le GITEX Africa Morocco 2025 révèle une Afrique ambitieuse, où le Maroc s’érige en hub incontesté, tirant profit de sa stabilité politique et de ses infrastructures. La croissance quantitative (pays, exposants, startups) s’accompagne d’une maturation qualitative (partenariats institutionnels, focus sectoriel).

Pourtant, des paradoxes persistent: si des pays comme le Rwanda ou le Kenya brillent par leur agilité, d’autres peinent à intégrer la dynamique. À cela, il faut ajouter que seule une Afrique formant ses propres talents et investissant dans ses infrastructures, écrira sa propre histoire technologique.

En définitive, le GITEX Africa n’est plus simplement un salon – il est le miroir des espoirs et des fractures d’un continent en quête de souveraineté numérique. Son évolution, de 2023 à 2025, prouve que l’Afrique a cessé d’être un spectateur pour devenir acteur, mais que sa route vers l’autonomie technologique reste semée d’embûches.

Le GITEX Morocco 2025 dessine les contours d’une révolution fragile

Points clésPrincipaux éléments
Croissance quantitative- 1.500 exposants (+15% par rapport à 2024), 800 startups (+140 par rapport à 2024), 45.000 visiteurs.
- Participation diversifiée (Mali, Congo, Gabon, Tunisie, Zambie, Afrique du Sud, Sénégal, Niger, Nigeria, etc.) et internationale (Russie, UE).
Maturité stratégique- Approche sectorielle (santé, agritech, smart cities).
- Partenariats institutionnels (CAFRAD, AUF, D4SD Hub).
Souveraineté Numérique- Initiatives : Instituts JAZARI, Digital Morocco 2030, fonds d’investissement d’1 Md$.
- Défi des infrastructures (1% des data centers mondiaux) et dépendance technologique.
Enjeux Géopolitiques- Influence russe (« Made in Russia »), compétition UE/Émirats/Asie.
- Laboratoire d’expérimentation pour marchés émergents.
Défis Structurels- Accès Internet (36%), formation (10M pros IA d’ici 2030), fuite des talents.
- Équilibre coopération internationale vs ancrage local.

Source : GITEX.

Par Modeste Kouamé
Le 22/04/2025 à 17h08