Transparence fiscale selon l’OCDE: lesquels de ces 8 pays d’Afrique sont en conformité

L’Afrique affiche un bilan en demi-teinte de la mise en œuvre du standard BEPS Action 5.

Le 24/12/2025 à 15h26

Un récent rapport de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) sur l’échange de renseignements relatifs aux décisions fiscales dresse un bilan en demi-teinte pour l’Afrique. D’un côté, une Afrique proactive et intégrée qui démontre que la conformité aux standards internationaux est atteignable et de l’autre un continent piégé dans un cycle d’engagements non tenus.

L’examen par les pairs 2024 du Cadre inclusif OCDE/G20 sur l’érosion des bases d’imposition et le transfert de bénéfices (BEPS), concernant l’échange de renseignements sur les décisions fiscales (Action 5), offre une photographie révélatrice des efforts de conformité des juridictions africaines. Ce rapport, approuvé le 2 décembre 2025, évalue la mise en œuvre durant l’année 2024 du «cadre de transparence», pierre angulaire de la lutte contre les pratiques d’érosion de la base d’imposition et de transfert de bénéfices. L’analyse des profils de neuf juridictions– Bénin, Burkina Faso, Congo, France, Gabon, Maroc, Mauritanie, Sénégal et Togo– dessine un paysage où certaines administrations fiscales font figure de modèles, tandis que d’autres accumulent des retards persistants, illustrant les défis capacitaires et de priorisation politique.

Rappelons que le cadre de transparence établi par l’Action 5 du projet BEPS constitue un mécanisme défensif essentiel pour les administrations fiscales dans un monde économiquement intégré. Son principe cardinal est l’échange spontané et obligatoire de renseignements sur cinq catégories de décisions fiscales spécifiques à un contribuable: régimes préférentiels, accords préalables unilatéraux en matière de prix de transfert, décisions prévoyant un ajustement unilatéral à la baisse des bénéfices, celles relatives aux établissements stables et enfin celles concernant les intermédiaires entre parties apparentées.

Cet outil ne stigmatise pas les décisions fiscales en elles-mêmes, qui peuvent être légitimes et offrir de la sécurité juridique, mais répond à un impératif de rééquilibrage informationnel. Comme le souligne avec justesse le rapport: «la nécessité de transparence entourant les décisions est justifiée par le fait que le manque d’information d’une administration fiscale concernant le traitement fiscal d’un contribuable dans une autre juridiction peut soulever des préoccupations en matière de BEPS».

L’objectif est précis: doter les États de données ciblées et opportunes pour «cerner rapidement les domaines à risque» et ainsi empêcher que des profits ne soient artificiellement délocalisés hors de leur sphère d’imposition légitime.

L’examen de 2024 révèle toutefois une application inégale de ce standard. Sur les 46 recommandations d’amélioration formulées au niveau mondial, une part significative concerne des juridictions africaines, mettant en lumière des faiblesses structurelles récurrentes, principalement dans les phases fondamentales de collecte systématique de l’information et de mise en place des procédures opérationnelles d’échange. Une concentration de recommandations qui pointe un défi de capacitation administrative qui, s’il n’est pas relevé, risque de perpétuer une asymétrie d’information au détriment des finances publiques de ces États.

Les pays à la traîne

Le rapport dresse le constat sévère d’une inertie prolongée pour plusieurs juridictions, où les mêmes recommandations sont réitérées année après année, signalant une absence de progrès concret. Pour le Bénin et le Congo, l’incertitude elle-même est le problème majeur. Aucun des deux pays n’a transmis le questionnaire d’examen, laissant le Secrétariat de l’OCDE dans l’impossibilité de vérifier toute mise en œuvre. Les deux recommandations au Bénin, concernant l’instauration d’un processus de collecte et d’un cadre juridique pour l’échange, sont restées inchangées depuis 2018.

La situation du Congo Brazzaville est encore plus ancienne, ses recommandations étant répétées depuis 2017. Le rapport note ainsi crûment à son sujet: «on ignore si le Congo a mis en œuvre son processus de collecte de renseignements ni s’il a instauré un mécanisme d’examen». Une absence de données et d’action visible sur une période aussi longue qui traduit un blocage systémique.

Le Burkina Faso et le Gabon présentent un profil légèrement différent, mais tout aussi défaillant sur le plan opérationnel. Le Burkina Faso a au moins clarifié qu’il disposait du cadre juridique interne nécessaire, mais reconnaît ne pas avoir établi la procédure concrète pour renseigner les modèles d’échange et communiquer les informations, ce qui vaut à ses recommandations d’être réitérées depuis 2020. Le Gabon, dans une situation similaire, voit en outre son action entravée par le retard dans la ratification de la Convention multilatérale d’assistance fiscale, limitant son réseau d’échange effectif.

Enfin, la Mauritanie incarne le cas le plus critique et se caractérise par un silence complet. N’ayant pas renvoyé de questionnaire, elle fait l’objet de deux recommandations urgentes l’appelant à mettre en place les fondations mêmes du système, à commencer par un «cadre juridique interne».

Une inertie collective, qui perdure malgré les relances annuelles du processus d’examen par les pairs, et qui révèle un fossé profond entre l’engagement politique au sein du Cadre inclusif et l’allocation des ressources et de la priorité administrative nécessaire à sa concrétisation effective au niveau national.

Les pays en non-conformité

PaysStatut (Rapport 2024)Recommandations clésÉchéance des recommandations récurrentesActions concrètes / Déficits principauxÉchanges effectués en 2024
BéninNon conforme1. Mise en œuvre processus de collecte.
2. Cadre juridique interne pour l’échange.
Inchangées depuis 2018Aucun questionnaire envoyé. Aucun processus ou mécanisme de supervision confirmé.Aucun échange confirmé.
Burkina FasoNon conforme1. Mise en œuvre processus de collecte.
2. Établir une procédure pour renseigner/échanger les modèles.
Inchangées depuis 2020Cadre juridique interne existant. Aucune procédure opérationnelle établie.Pas de décisions rendues
Congo BrazzavilleNon conforme1. Mise en œuvre processus de collecte.
2. Cadre juridique interne et procédure d’échange.
Inchangées depuis 2017Aucun questionnaire envoyé. N’a pas adhéré à la Convention multilatérale.Aucun échange confirmé.
GabonNon conforme1. Mise en œuvre processus de collecte.
2. Établir une procédure d’échange dans les délais/format requis.
Inchangées depuis 2018Cadre juridique interne existant. Convention multilatérale signée mais non ratifiée.Aucun échange confirmé.
MauritanieNon conforme1. Mettre en œuvre un processus de collecte.
2. Établir un cadre juridique interne et une procédure d’échange.
Inchangées depuis le rapport 2023Aucun questionnaire envoyé. Situation globale inconnue.Aucun échange confirmé.

Source: OCDE/G20.

Face aux retards chroniques, plusieurs juridictions africaines démontrent qu’une mise en œuvre rigoureuse du standard est à portée de main, servant de modèles de bonne gouvernance administrative. Le Sénégal et le Togo illustrent la voie de la conformité structurelle. Le Sénégal maintient une position irréprochable, avec l’avis: «aucune recommandation n’est formulée», et ce malgré le fait qu’aucune décision relevant du cadre n’ait été émise. Ce qui prouve que le pays a su instaurer en amont l’ensemble des processus requis— collecte, cadres juridique et procédural — démontrant une approche préventive et disciplinée.

Le Togo, quant à lui, a opéré un rattrapage remarquable. Ayant reçu deux recommandations en 2023, il les a résorbées en 2024 par des actions concrètes: la mise en place opérationnelle d’un «registre central des bénéficiaires effectifs» et la création d’un «groupe de travail inter-administration». Des outils qui renforcent substantiellement sa capacité à identifier tant les décisions que les juridictions concernées, transformant un engagement formel en dispositif fonctionnel.

Le Maroc, cependant, se distingue par son exemplarité dynamique. Le royaume ne se contente pas d’avoir un cadre en place mais l’utilise activement et avec efficacité. En 2024, il a procédé à 13 échanges spontanés concernant des décisions sur les prix de transfert, tous exécutés dans les délais stricts de trois mois, et s’est appuyé sur un réseau étendu de 64 conventions bilatérales.

Cette performance opérationnelle, couronnée par la mention que le royaume «s’est conformé à tous les aspects des termes de référence, aucune recommandation n’est formulée», en fait un partenaire fiable dans le réseau mondial de transparence fiscale. Ces succès soulignent que la conformité n’est pas qu’une question de ressources, mais aussi de priorité politique, de coordination inter-institutionnelle et de volonté de construire une administration fiscale moderne et intégrée aux standards internationaux.

Les pays en conformité

PaysStatut (Rapport 2024)Recommandations clésActions concrètes / Déficits principauxÉchanges effectués en 2024
SénégalConformeAucune recommandation.Tous mécanismes requis en place.Aucun échange nécessaire.
TogoConformeAucune recommandation (résorption des recommandations 2023).Actions 2024 : Registre central des bénéficiaires effectifs opérationnel ; groupe de travail inter-administrationPas de décisions rendues
MarocConforme et ActifAucune recommandation.Performance 2024 : 13 échanges spontanés (Prix de transfert), tous dans les délais. Réseau de 64 conventions bilatérales.13 échanges (Allemagne, France, Italie, Japon, Luxembourg, Royaume-Uni, Suisse).

Source: OCDE/G20.

La persistance des mêmes recommandations sur des périodes excédant souvent cinq ans pour plusieurs pays appelle une analyse des racines de ces blocages, qui semblent moins techniques que structurels et politiques. Disons que les défis sont avant tout institutionnels. L’absence d’infrastructures administratives de base est un frein majeur: pour le Bénin, le Congo ou le Gabon, le rapport relève l’inexistence d’un «mécanisme d’examen et de supervision», pourtant élément fondamental pour auditer et piloter la mise en œuvre. Sans cette fonction de contrôle interne, aucun processus de collecte ne peut être viable.

En parallèle, des retards législatifs et diplomatiques entravent l’action: la Mauritanie doit encore établir son cadre juridique interne, tandis que le Gabon n’a toujours pas ratifié la Convention multilatérale, limitant ainsi son réseau d’échange effectif et sa capacité à honorer ses engagements. L’enjeu régional, via l’Union Économique et Monétaire Ouest-Africaine et la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), présente un paradoxe.

Si le rapport note que des pays comme le Burkina Faso ou le Togo s’appuient sur des conventions fiscales multilatérales au sein de ces espaces, cette coopération reste largement sous-exploitée pour harmoniser les procédures opérationnelles de collecte et d’échange. L’intégration régionale fournit le cadre juridique, mais ne pallie pas les défaillances administratives nationales.

L’avertissement récurrent du rapport, «les juridictions sont instamment priées de donner suite aux recommandations qui restent inchangées pendant plus d’un examen», révèle les limites d’un mécanisme de soft law face à l’absence de volonté politique ou de capacités dédiées. En définitive, ces blocages perpétuent une asymétrie d’information préjudiciable aux finances publiques de ces États, les maintenant en situation de vulnérabilité dans l’architecture fiscale internationale qu’ils ont pourtant accepté de réformer.

Ainsi, les lacunes persistantes dans la mise en œuvre du cadre de transparence ne sont pas de simples manquements procéduraux ; elles entraînent des conséquences économiques directes et potentiellement sévères. Premièrement, les risques de sanctions internationales se précisent.

Bien que le rapport 2024 n’en fasse pas explicitement mention, le mécanisme global du BEPS prévoit, à terme, la possibilité de contre-mesures coordonnées à l’encontre des juridictions qui ne respecteraient pas les standards minimums. Une inertie prolongée expose donc ces pays à des mesures défavorables pouvant affecter leurs relations économiques et financières internationales.

Deuxièmement, le manque à gagner fiscal est substantiel et immédiat. L’opacité maintenue par l’absence d’échange d’informations crée un environnement propice à l’érosion de la base d’imposition et au transfert de bénéfices. Les administrations fiscales de ces pays, déjà en situation de désavantage informationnel, ne peuvent pas correctement évaluer les risques posés par des décisions fiscales accordées à des multinationales dans d’autres juridictions. Ce qui se traduit par une perte de recettes fiscales sur des revenus qui, selon l’esprit du projet BEPS, devraient être imposés là où une activité économique substantielle a lieu.

Enfin, l’attractivité économique et financière s’en trouve compromise. Dans un environnement international où la transparence et la bonne gouvernance fiscale sont devenues des critères majeurs pour les investisseurs et les bailleurs de fonds, une réputation de non-conformité aux standards mondiaux agit comme un repoussoir. Elle signale des faiblesses institutionnelles et un risque régulatoire accru, dissuadant les investissements étrangers directs de qualité et pouvant affecter l’accès à des financements concessionnels.

Ainsi, comme l’on peut le constater, le coût de l’inaction dépasse largement l’effort d’implémentation requis, affectant directement la souveraineté budgétaire et le développement économique. Le diagnostic est posé, année après année, avec une précision clinique.

Le temps des constats est révolu. L’Afrique, en tant que partie prenante essentielle du Cadre inclusif sur le BEPS, a accepté les règles du jeu. Elle dispose désormais de la cartographie précise de ses faiblesses et de modèles de réussite à suivre. La balle est dans son camp: elle a les outils et doit désormais démontrer la volonté politique et administrative de les utiliser pour protéger son assiette fiscale et affirmer sa pleine souveraineté dans la gouvernance économique mondiale.

Par Modeste Kouamé
Le 24/12/2025 à 15h26