Trump, l’Afrique et les énergies fossiles: qui gagne, qui perd dans ce revirement géopolitique?

Des compagnies pétrolières, dont des majors du top 10 mondial, font part de leur volonté d’engager des investissements significatifs en Afrique.

Le 16/03/2025 à 12h57

Hors des frontières des États-Unis, l’administration Trump encourage l’exploitation des hydrocarbures africains, défiant les conditionnalités climatiques internationales. Une stratégie qui profite aux majors pétrolières, mais pas seulement.

L’élection de Donald Trump à la présidence américaine, marquée par un soutien renouvelé aux énergies fossiles, fait écho en Afrique. C’est dans ce contexte que les récentes déclarations d’appui à l’indépendance énergétique africaine par Chris Wright, secrétaire américain à l’Énergie, marque un alignement inédit entre Washington et les ambitions de la Chambre africaine de l’Énergie (AEC), structure chargée d’harmoniser les intérêts des acteurs du secteur énergétique africain.

En effet, le secrétaire américain à l’Énergie a délivré un message qui fait tache d’huile lors du 10ème sommet Powering Africa, tenu les 6 et 7 mars à Washington, en affirmant que l’Afrique doit être libre d’exploiter ses vastes ressources énergétiques sans ingérence étrangère, qu’il qualifie de «paternaliste». «Le gouvernement américain n’a aucune envie de vous dire ce que vous devez faire avec votre système énergétique», souligne-t-il.

Comme il fallait s’y attendre, l’AEC salue le discours du secrétaire américain à l’Énergie. Ainsi, le discours des autorités américaines marque un revirement qui bouscule les équilibres géopolitiques, économiques et environnementaux sur le continent.

Entre opportunités économiques, souveraineté énergétique et urgences climatiques, la position américaine redessine les alliances et les tensions sur le continent.

Un partenariat redéfini : de l’aide au commerce

Historiquement, les relations énergétiques entre l’Afrique et les États-Unis ont oscillé entre coopération et conditionnalités climatiques. De plus en plus, les politiques occidentales, sous couvert de préoccupations climatiques, ont limité l’accès africain aux financements pour les projets pétroliers ou gaziers, alors même que l’Occident maintenait sa dépendance aux hydrocarbures.

La nouvelle administration Trump rompt avec cette approche. Chris Wright dénonce une «attitude paternaliste et post-coloniale» et prône un partenariat basé sur le commerce et l’investissement plutôt que sur l’aide. Dans la même logique, Troy Fitrell, haut responsable Bureau des Affaires africaines, plaide pour une approche énergétique « all-of-the-above » (toutes options incluses), incluant explicitement des projets liés aux hydrocarbures comme le gaz naturel liquéfié (GNL), lors du 10ème sommet Powering Africa. Exemple concret : Il cite le projet de terminal GNL de West Africa LNG en Guinée (300 millions de dollars), soulignant que le gaz naturel est une solution pragmatique pour répondre aux besoins énergétiques immédiats de l’Afrique, y compris pour l’industrie minière (bauxite). Cela contraste avec les politiques occidentales.

Fitrell insiste sur le rôle central du secteur privé américain, qualifié de force motrice pour la croissance économique africaine. Il critique implicitement les modèles d’entreprises publiques (« We don’t have state-owned enterprises directed by the government ») et vante l’expertise technologique et l’innovation des entreprises américaines. Il soutient que les projets soutenus par la Development Finance Corporation (DFC) ou la Millennium Challenge Corporation (MCC) visent à attirer les investisseurs privés en réduisant les risques, sans imposer de conditionnalités autres que la rentabilité économique. Ce qui rejoint la critique de Chris Wright sur une coopération basée sur le commerce plutôt que sur l’aide.

Fitrell met également en avant une approche « people-first », mais la définit par l’écoute des gouvernements africains (« tell us what your countries need »). Il insiste sur la nécessité de s’adapter aux contextes locaux et de créer des emplois, en phase avec l’idée d’un partenariat non paternaliste.

Autant dire que cette posture s’aligne avec la «stratégie énergétique axée sur l’Afrique» défendue par l’AEC, qui réclame des capitaux, des technologies et des infrastructures pour exploiter les 125,3 milliards de barils de pétrole et les 620.000 milliards de pieds cubes de gaz naturel du continent. «L’Afrique n’a pas besoin d’aumônes, mais de capitaux et de technologies», rappelle NJ Ayuk, président de l’AEC. Au-delà des opérateurs privés, la vision des nouvelles autorités américaines séduit des gouvernements africains confrontés à une crise énergétique aiguë: plus de 600 millions d’habitants sans électricité et des économies en quête d’industrialisation.

Le soutien américain à l’exploitation du pétrole, du gaz et du charbon comble ainsi un vide laissé par des bailleurs traditionnels, plus réticents face aux risques climatiques. Des pays comme le Nigeria, l’Angola ou le Mozambique, riches en hydrocarbures, y voient une chance d’attirer des investisseurs étrangers – notamment via des projets de gaz naturel liquéfié (GNL) –, tout en consolidant leur souveraineté.

L’Effet Trump en Afrique

La politique énergétique de Trump, articulée autour du soutien aux énergies fossiles, de la dérégulation et de l’indépendance énergétique, pourrait catalyser des investissements majeurs en Afrique, mais au prix de défis structurels et éthiques. Les majors américaines comme ExxonMobil ou Chevron, encouragées par la doctrine trumpienne, pourraient accélérer l’exploration de bassins sous-évalués, à l’image du Rift Est-africain ou des zones offshores en Afrique de l’Ouest, renforçant ainsi la production continentale. Comme vient de l’annoncer le gouvernement ivoirien, à l’issue du roadshow mené par le ministre des Mines, du Pétrole et de l’Énergie, Mamadou Sangafowa Coulibaly, «cinq compagnies pétrolières, dont deux majors du top 10 mondial, ont fait part de leur volonté d’engager des investissements significatifs en Côte d’Ivoire à l’issue des séances de travail stratégiques avec la délégation ivoirienne».

Parallèlement, les projets d’exportation de gaz naturel liquéfié (GNL), tels que le méga-projet mozambicain de TotalEnergies ou celui de BP-Kosmos en Mauritanie-Sénégal, bénéficieraient du soutien américain à l’expansion du marché global du gaz, alignée sur les intérêts géopolitiques des États-Unis. Le transfert technologique, notamment la fracturation hydraulique – déjà controversée en Afrique du Sud pour son impact sur les nappes phréatiques –, pourrait se normaliser, malgré les risques écologiques.

Ceux que le discours de Trump conforte

Il faut dire que cette politique du président américain profite d’abord aux États africains aux ressources sous-exploitées, souvent paralysés par un manque d’infrastructures et de financements. Les majors américaines (ExxonMobil, Chevron) et les fonds d’investissement trouvent ici un cadre dérégulé, favorable à l’extraction rapide et à moindre coût.

Les élites politiques et économiques locales y gagnent également. La promesse de création d’emplois et de croissance – même si souvent surestimée – sert de levier. Au Niger ou au Tchad, l’exploitation énergétique est présentée comme un remède à la pauvreté, malgré des retombées inéquitables.

Acteurs renforcés et leurs avantages/bénéfices

ActeursAvantages/bénéfices
États africains riches en hydrocarbures (Nigeria, Angola, Mozambique, Niger, Côte d’Ivoire, etc.)Accès à des investissements étrangers massifs ; développement d’infrastructures énergétiques ; croissance économique et création d’emplois (même limitée) ; renforcement de la souveraineté énergétique;
Majors pétrolières/gazières américaines (ExxonMobil, Chevron, etc.)Expansion des activités d’exploration et d’extraction (bassins sous-évalués) ; soutien politique;
Élites politiques et économiques africainesConsolidation du pouvoir via des projets énergétiques ; opportunités de contrats et de rentes ; légitimation par la promesse de développement;
Chambre Africaine de l’ÉnergieRenforcement de son influence comme porte-parole des hydrocarbures ; alignement avec les intérêts américains ; facilitation de partenariats public-privé;


Ceux que cela expose à des risques

À l’inverse, cette orientation exacerbe les tensions avec les ONG environnementales, les environnementalistes, les partisans de la transition et les communautés locales. Pour sa part, l’AEC minimise les «préoccupations climatiques», jugées contre-productives, mais le développement accéléré des énergies fossiles menace directement les écosystèmes. Au Mozambique, les projets de GNL dans la province de Cabo Delgado ont déjà provoqué des déplacements de population et des conflits sociaux.

Dans un tel contexte, les États européens et les institutions internationales (UE, Banque mondiale) se retrouvent isolés. Leurs conditionnalités vertes – souvent perçues comme hypocrites face à leur propre dépendance aux hydrocarbures – risquent de perdre du terrain face aux capitaux américains sans restrictions. La COP28 et l’Agenda 2030 apparaissent ainsi fragilisés, alors que l’Afrique abrite 65% des terres arables mondiales et des réserves critiques de biodiversité.

Acteurs fragilisés et les risques/conséquences

ActeursRisques/conséquences
ONG environnementales et climatiquesMarginalisation de leurs alertes sur les risques écologiques ; difficulté à mobiliser des financements ; opposition accrue des gouvernements africains.
États et institutions européennes (UE, Banque mondiale, etc.)Perte d’influence face aux capitaux américains sans conditionnalités vertes ; critique de leur « hypocrisie climatique ».
Pays africains engagés dans les énergies renouvelables (Kenya, Maroc)Risque de détournement des financements vers les fossiles ; affaiblissement des projets verts ;
Agendas climatiques internationaux (COP28, Agenda 2030)Fragilisation des objectifs de réduction des émissions ; tensions Nord-Sud sur la justice climatique ; inertie dans la transition énergétique;


Le dilemme souveraineté vs dépendance

Si Trump promeut une «indépendance énergétique», le risque d’une nouvelle dépendance persiste. Les investissements américains ciblent avant tout l’exportation (GNL vers l’Europe ou l’Asie), plutôt qu’une industrialisation locale. A cela s’ajoute le fait que sans diversification vers les renouvelables – délaissés par Trump –, le continent pourrait reproduire les modèles d’extraction néocoloniaux.

Par ailleurs, cette politique contredit les engagements climatiques africains. L’Afrique, responsable de moins de 4% des émissions globales, subit pourtant violemment le réchauffement. Des pays comme le Kenya ou le Maroc, leaders en énergies vertes, ont de quoi appréhender un effritement des financements climatiques internationaux si le continent opte massivement pour les fossiles.

Ainsi, la politique énergétique de Trump brouille les cartes en Afrique en créant une fracture entre réalisme économique et impératifs climatiques. Elle arrange des gouvernements en quête de légitimité rapide et des investisseurs en quête de rendements, mais déstabilise les équilibres environnementaux et géopolitiques. Alors que l’African Energy Week (AEW) 2025, événement majeur qui se tiendra du 29 septembre au 3 octobre 2025 au Cap, s’annonce comme un laboratoire de cette nouvelle ère, l’Afrique devra négocier un chemin étroit: exploiter ses ressources sans aliéner son avenir climatique – ou sombrer dans un cycle de dépendance aux fossiles, sous couvert de souveraineté.

Par Modeste Kouamé
Le 16/03/2025 à 12h57