Urgence climatique et défis logistiques: pourquoi l’Égypte, le Maroc et le Cameroun misent sur le rail

Le rail s’impose comme l’épine dorsale de plusieurs économies africaines.

Le 30/09/2025 à 11h21

Dans de nombreux pays à revenu faible ou intermédiaire, s’appuyer sur la seule logistique routière aggrave les conséquences environnementales et entrave la circulation des biens et des personnes. Trois pays d’Afrique, Égypte, Maroc et Cameroun ont par conséquent misé sur le rail. L’analyse de ces trois modèles révèle des stratégies distinctes mais convergentes vers une croissance inclusive.

Le rail africain peut-il vraiment désengorger les économies? Face aux défis jumeaux de la croissance économique et de l’urgence climatique, un certain nombre de pays africains investit stratégiquement dans ses réseaux ferrés. Le Cameroun, l’Égypte et le Maroc incarnent cette dynamique, démontrant comment le rail, au-delà de la simple mobilité, devient un pilier central de la compétitivité continentale, redéfinissant les échanges, l’intégration régionale et la durabilité.

Comme le souligne la Banque Mondiale, la croissance économique et l’urbanisation rapide en Afrique exacerbent la demande en logistique. La dépendance historique à la route engendre congestion, dégradation accélérée des infrastructures, coûts logistiques prohibitifs et externalités négatives majeures: pollution atmosphérique et émissions de gaz à effet de serre (GES) en hausse.

Dans de nombreux pays à revenu faible ou intermédiaire, s’appuyer principalement sur la logistique routière aggravera la congestion et les conséquences environnementales et sanitaires. Le rail apparaît alors comme la solution systémique pour concilier développement et décarbonation.

Trois modèles, trois impacts: connecter, fluidifier, décarboner

La première approche est celle du Cameroun, centrée sur l’optimisation des chaînes logistiques transnationales. Le Projet de transport multimodal sur le corridor vital Douala-N’Djamena illustre l’approche intégrée. En modernisant 17 aiguillages, installant des passages à niveau sécurisés et réhabilitant 55 ponts ferroviaires, complétés par des investissements routiers ciblés, le Cameroun a obtenu des gains tangibles: réduction de plus de 7% du coût de transport d’un conteneur de 20 pieds entre 2012 et 2022 (passant de 6.000 à 5.560 dollars), comme le rapporte la Banque mondiale.

Le temps de trajet a été réduit de deux heures pour 75% des usagers. Un gain d’efficacité logistique qui renforce directement la compétitivité des échanges avec le Tchad, réduisant le coût des importations/exportations et fluidifiant les flux économiques transnationaux.

La deuxième approche est celle de l’Égypte qui mise sur des projets massifs pour améliorer capacité, efficacité et sécurité sur ses axes majeurs. Le projet de développement logistique Le Caire-Alexandrie et le projet RISE (Railway Improvement and Safety for Egypt) sur le corridor Alexandrie-Nag Hammadi visent une transformation d’envergure.

L’impact est avant tout humain et sécuritaire: environ 30 millions de personnes bénéficient d’un meilleur accès aux infrastructures et aux services de transport durables, dont 16,5 millions de jeunes. Le projet RISE cible spécifiquement la sécurité, avec un objectif de réduction de plus de 20% des blessures graves et décès par voyageur entre 2019 et 2027.

En connectant des dizaines de millions d’Égyptiens de manière plus sûre et fiable, le rail devient un vecteur d’inclusion socio-économique et de productivité nationale. Le projet RISE vise à améliorer considérablement la sécurité et la qualité de service, soulignant l’impératif de fiabilité pour la compétitivité.

Troisième approche: celle du Maroc avec sa vision intégrée. Le Royaume déploie une stratégie ferroviaire ambitieuse, articulée autour de trois piliers complémentaires. Le premier est celui des infrastructures de la métropole de Casablanca et de la Ligne à Grande Vitesse (LGV), notamment avec le lancement de 260 km de nouvelles voies, dont la LGV Kenitra-Marrakech (430 km), et le développement de trois lignes de Trains Métropolitains de proximité (TMP - 92 km) à cadence élevée (jusqu’à un train toutes les 7,5 minutes).

Deuxième pilier: les Hubs intermodaux nouvelle génération avec la construction de trois méga-gares (Casablanca-Sud, Grand Stade Hassan II, Aéroport Mohammed V) conçues comme de véritables catalyseurs urbains et économiques. La gare Casablanca-Sud, par exemple, intégrera TGV, grandes lignes, TMP, régionaux et l’aéro-express, avec correspondances fluides vers tramway et bus à haut niveau de service (BHNS). Conçue pour absorber les flux croissants... et favoriser l’émergence d’un quartier d’affaires dynamique, l’approche incarne la transformation du rail en colonne vertébrale de la mobilité dans la métropole et de l’attractivité économique. «Ces futures gares constitueront de véritables catalyseurs de développement urbain et économique», affirment des architectes associés à la réalisation de ces projets.

Le troisième pilier de l’approche marocaine est relatif à l’écosystème industriel national. Il porte sur le partenariat stratégique avec Hyundai Rotem pour l’acquisition de 48 trains pour les TMP et régionaux (sur 110 au total), dont 40 seront assemblés et fabriqués localement.

Rappelons que le contrat signé avec le constructeur sud-coréen Hyundai Rotem prévoit l’implantation d’une usine locale, qui contribuera au développement de l’écosystème industriel marocain, tout en favorisant le transfert de technologies et la création d’emplois.

Cette usine est présentée comme une des composantes de l’écosystème ferroviaire et un site de référence devant couvrir les besoins nationaux futurs et participer ainsi à la concrétisation d’une ambition de l’export à moyen terme.

Ce transfert de technologie et de compétences est un levier majeur pour la compétitivité à long terme, créant de la valeur ajoutée locale et des emplois qualifiés (21 000 prévus sur la LGV à mi-2026). «Ces projets constituent une véritable locomotive pour le développement de l’écosystème industriel national», souligne Luciano Fernandes Borges, directeur du Pôle Matériel à l’Office National des Chemins de Fer (ONCF).

Levier climatique et nouvelle compétitivité

Au-delà de la fluidité et de la connectivité, ces investissements sont des outils puissants de décarbonation. Le report modal de la route vers le rail, comme illustré en Inde où un train de fret de 1 km remplace 72 camions, réduit drastiquement les émissions. La Banque Mondiale estime que les projets de corridors dédiés en Inde permettront une réduction de 57% des émissions de GES d’ici 2042 par rapport à 2010.

Bien que les projections spécifiques pour l’Afrique ne soient pas détaillées ici, la logique est identique. Les projets marocains, égyptiens et camerounais, en promouvant des solutions de mobilité collectives à faible empreinte carbone et en s’inscrivant dans les orientations stratégiques en matière de développement durable, participent à construire une compétitivité résiliente, moins dépendante des énergies fossiles et des coûts externes de la pollution.

Financements et partenariats: la clé du passage à l’échelle

La réalisation de ces ambitions nécessite des financements massifs et des partenariats stratégiques. Le programme marocain (96 milliards de dirhams, dont 20 pour Casablanca) est financé majoritairement par l’ONCF (70%) et la Région (30%).

L’Égypte et le Cameroun bénéficient du soutien de la Banque Mondiale, dont le portefeuille ferroviaire (4,5 milliards de dollars en 2025) devrait croître à plus de 6 milliards de dollars dans les 5 ans.

La Banque Mondiale prône une approche intégrée combinant financement d’infrastructures, réformes politiques/réglementaires et renforcement des capacités. Les cofinancements, avec l’Agence Française de Développement, la Japan International Cooperation Agency (JICA) et les autres agences publiques de coopération internationale en développement, sont également cruciaux pour mutualiser les risques et partager l’expertise.

Ainsi, les investissements ferroviaires au Cameroun, en Égypte et au Maroc ne se limitent pas à construire des voies ou acheter des trains. Ils redéfinissent fondamentalement la compétitivité sur au moins trois dimensions clés. A commencer par l’efficacité logistique et la réduction des coûts.

En fluidifiant les corridors, en connectant les marchés, et en offrant des alternatives fiables et massives à la route, le rail abaisse le coût des échanges et de la mobilité, renforçant l’attractivité économique. Ensuite, en étant intrinsèquement moins émetteur, le rail permet de concilier croissance et engagements climatiques, construisant une compétitivité moins vulnérable aux fluctuations des énergies fossiles et aux futurs coûts du carbone.

Enfin, en reliant des régions isolées, en créant des hubs intermodaux et en développant des écosystèmes industriels locaux, le rail favorise l’intégration des marchés et monte en gamme la valeur ajoutée continentale. En définitive, le rail n’est plus une option; il est la colonne vertébrale de la compétitivité durable de l’Afrique de demain.

Le défi désormais consiste à accélérer les partenariats public-privé pour concrétiser à grande échelle cette mutation géoéconomique, où efficacité logistique et impératif climatique deviennent les deux faces d’une même modernité.

Cameroun, Égypte et Maroc: convergence entre efficacité économique et urgence climatique

PaysObjectif principalProjet phareImpact cléFinancement/Partenaire
CamerounOptimisation des chaînes logistiques transnationalesProjet multimodal Douala-N’Djamena (réhabilitation d’infrastructures)↘ Coût logistique (-7% pour un conteneur), ↘ temps de trajet (-2h pour 75% des usagers)Soutien de la Banque Mondiale
ÉgypteAmélioration capacité/sécurité/accèsProjet RISE (Alexandrie-Nag Hammadi)30M bénéficiaires (dont 16,5M jeunes), ↘ blessures/décès (-20% d’ici 2027)Portefeuille Banque Mondiale (projet RISE)
MarocMobilité intégrée & industrie localeLGV Kenitra-Marrakech + TMP Casablanca + Hubs260 km nouvelles voies, 3 mégagares, 48 trains (40 assemblés localement), 21 000 emploisONCF (70%) + Région (30%) + Partenariat Hyundai Rotem

Source: ONCF & Banque Mondiale.

Par Modeste Kouamé
Le 30/09/2025 à 11h21