L’argent n’aime pas le bruit, a-t-on coutume de dire. Pour les raffineries internationales aussi, l’or ne rime pas avec ondes sonores. Elles cadenassent les données des différents maillons de la chaîne de valeur aurifère et adoptent l’omerta sur leurs colossaux revenus issus de ces activités.
Swissaid, une fondation suisse spécialisée dans la coopération au développement, a essayé de percer ce mystère dans son rapport intitulé: «De l’ombre à la lumière : les relations d’affaires entre les mines d’or industrielles en Afrique et les raffineries», publié ce jeudi 30 mars 2023.
Pour découvrir ces trésors cachés, l’organisation s’est basée sur les rapports de 32 compagnies minières, de gouvernements, des statistiques douanières et des bases de données payantes. Ce document de 70 pages, fruit d’une enquête menée entre janvier 2021 et février 2023, révèle l’existence de 142 relations d’affaires entre 116 mines d’or industrielles africaines et seize raffineries à travers le monde, entre janvier 2015 et mars 2023.
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Ces 16 raffineries certifiées selon le standard de la London Bullion Market Association (LBMA), l’organisation qui supervise les marchés de gros de l’or et de l’argent à Londres. Un business qui a notamment porté sur l’extraction et le raffinage de plus de 450 tonnes d’or d’une valeur supérieure à 25 milliards de dollars en 2020. Il est important de préciser que l’étude s’est uniquement focalisée sur l’or industriel et non celui issu de l’exploitation artisanale ou recyclé en provenance d’Afrique.
Or raffiné dans trois pays
L’on y apprend que quatre raffineries d’or concentrent 66% des relations d’affaires avec les sociétés minières actives dans l’extraction du métal jaune en Afrique. Il s’agit de Rand Refinery basée en Afrique du Sud (49 relations), Metalor (26) et les deux raffineries du groupe MKS PAMP (21). La première appartient à AngloGold Ashanti, Sibanye Gold et DRDGold, principales compagnies minières du pays. Entre 96 à 99,6% de l’or qu’elle traite provient de mines industrielles situées dans quatorze pays, notamment l’Afrique du Sud, le Ghana, la Tanzanie, la Namibie, et la RDC.
La deuxième, basée en Suisse, assure le traitement des ressources aurifères issues de onze pays, dont le Maroc, le Nigéria, le Mali et le Burkina Faso. Enfin, le troisième groupe, implanté à Genève, traite l’or de la Tanzanie, de la Mauritanie, du Liberia et du Burkina Faso via ses deux raffineries ouvertes en Suisse et en Inde. D’ailleurs, à en croire Swissaid, 79% des relations d’affaires identifiées impliquent des raffineries basées en Suisse, en Afrique du Sud et, dans une moindre mesure en Inde.
Les principales raffineries qui traitent l’or africain
Source : Graphe confectionné à partir des données du rapport de Swissaid.
Ce qui a frappé les enquêteurs, c’est surtout le manque de transparence érigé en mode de gestion par ces raffineries. Pour preuve, seules six ont confirmé les noms des mines industrielles auprès desquelles elles s’approvisionnent, notamment Metalor qui collabore avec 26 mines. «La transparence des relations d’affaires entre compagnies minières et raffineries est essentielle. Elle renforce la responsabilité des acteurs du secteur de l’or et les incite à prendre les mesures nécessaires pour lutter contre ces problèmes», indiquent-ils.
Violation des droits humains dans les mines
Pour bon nombre de compagnies minières aussi, le silence est d’or…«Il existe trois types de compagnies minières: celles qui publient systématiquement les noms des raffineries qui traitent leur or, celles qui publient cette information ponctuellement ou la fournissent uniquement sur demande et celles qui refusent de la divulguer», souligne l’étude.
La confidentialité des contrats et des accords de raffinage sont invoqués par ces différents acteurs miniers pour expliquer leur omerta. Mais en réalité, les raisons sont ailleurs. Elles sont plutôt liées aux traitements dégradants et autres problèmes notés dans les mines. La fondation suisse a pu découvrir «de graves problèmes, en particulier des violations des droits humains (atteintes à la santé des populations locales, décès des employés de la mine, expropriations des terres, déplacements forcés des populations locales, etc.), des dégradations environnementales (rejet de particules fines, pollution des nappes phréatiques, pollution des terres causée par l’usage de cyanide, d’arsenic et de plomb, etc.) et des accusations de fraude fiscale».
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Autant de problèmes qui ont déjà été soulevés par des enquêtes journalistiques, des études scientifiques, des rapports d’organisations de la société civile et des rapports d’organisations internationales. Pour y remédier, le rapport réclame que «les législations nationales et les standards de l’industrie contraignent les raffineries à divulguer les noms de toutes les mines auprès desquelles elles s’approvisionnent».
Au-delà de ces abus et effets néfastes de l’activité de ces entreprises, cette étude démontre, une fois de plus, l’impérieuse nécessité pour les pays africains, grands producteurs d’or, d’investir dans la transformation de ce minerai. D’après Swissaid, seuls deux pays africains disposent de raffineries opérationnelles, en l’occurrence l’Afrique du Sud avec Rand Refinery, et le Zimbabwe (Fidelity Fold Refinery). Il est heureux de constater que certains pays, comme le Mali et le Burkina Faso, travaillent dans ce sens. D’autres comme la RDC, le Ghana ou encore la Tanzanie, gagneraient à suivre la même voie, pour mieux tirer profit de l’exploitation de leurs ressources.