Production de vaccins: au Maroc et au Sénégal, deux grands projets qui vont réduire la dépendance de l’Afrique

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Le 03/06/2022 à 16h06, mis à jour le 03/06/2022 à 16h09

L’Afrique importe 99% des vaccins qu’elle utilise. Le Covid-19 a révélé les effets néfastes de cette dépendance. Celle-ci devrait se réduire considérablement dans les années à venir grâce à des projets structurants, tels que MADIBA au Sénégal et Sensyo Pharmatech au Maroc.

A quelque chose malheur est bon. La pandémie du coronavirus a permis au continent de comprendre les effets néfastes de sa dépendance vis-à-vis des marchés extérieurs pour son approvisionnement en vaccins, les producteurs occidentaux et asiatiques ayant préféré approvisionner leurs propres marchés. Le peu de vaccins anti-Covid-19 acheminés vers l’Afrique ne sont que le fait du programme Covax. Cette insécurité vaccinale semble avoir servi de leçon au continent africain. Il n'y a qu'à voir les multiples initiatives des pays africains pour réduire leur dépendance à l'égard des vaccins provenant des autres continents.

De nombreux pays du continent ont ainsi décidé de s’engager dans la production de vaccins anti-Covid-19 pour faire face à la pandémie. Mais, au-delà, c’est la dépendance même du continent vis-à-vis de tous les types de vaccins qui pose problème, sachant que l’Afrique ne produit que 1% des vaccins qu'elle utilise. Une situation qui va certainement changer dans les toutes prochaines années, grâce particulièrement aux initiatives prises par des pays comme le Maroc et le Sénégal, qui figuraient avec l’Afrique du Sud, l’Egypte, l’Algérie et la Tunisie, parmi les rares pays producteurs de vaccins du continent.

Piqûre de rappel

Concernant le Sénégal, si le pays est producteur de vaccins depuis de nombreuses décennies, l’Institut Pasteur de Dakar (IPD), créé en 1896, et lieu de découverte du virus de la fièvre jaune en 1927, produit le vaccin antiamaril (contre la fièvre jaune) depuis les années 1930. Il est d’ailleurs l’un des quatre seuls producteurs dans le monde agréés par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et joue un rôle important dans la disponibilité mondiale de ce vaccin.

C’est dire que le Sénégal est un pionnier dans le domaine de la fabrication de vaccins au niveau du continent. Toutefois, l’IPD a depuis dormi sur ces lauriers, ne diversifiant pas son offre malgré son expérience, son expertise et son partenariat stratégique avec l’Institut Pasteur (de Paris). Mais voilà que la pandémie du Covid-19 a réveillé l’institut dakarois, qui s’est lancé dans un ambitieux programme de production de vaccins.

La nouvelle usine de fabrication de vaccins de l’IPD sera dotée d’une capacité de production importante. Au démarrage, elle pourra produire jusqu’à 300 millions de doses de vaccins anti-Coivid-19. Et en fonction de la demande, les partenaires prévoient de produire des vaccins contre d’autres agents pathogènes pertinents pour la région, mais potentiellement aussi de nouveaux vaccins financés par la Coalition pour les innovations en préparation aux épidémies (CEPI).

A ce titre, la Banque européenne d’investissement (BEI) a annoncé, le jeudi 2 juin 2022, l'octroi d'un financement à hauteur de 75 millions d’euros à l’IPD pour soutenir la construction du nouveau site de production de vaccins MADIBA (Manufacturing in Africa for Disease Immunisation and Building Autonomy). Implanté dans la nouvelle ville de Diamniadio, Ce projet régional est en voie d’achèvement. Fruit d’un partenariat entre le Sénégal, l’Union européenne, les Etats-Unis et d’autres partenaires, dont la Banque mondiale et la CEPI, la production de vaccins par l’IPD devrait commencer au troisième trimestre de 2022.

«Il est impératif que nous construisions un écosystème florissant pour la production de vaccins en Afrique afin d’atteindre le niveau de résilience dont nous avons tous besoins. Le développement des capacités dans tous les secteurs pertinents pour la vaccination crée des opportunités significatives d’emploi pour des milliers de jeunes Africains», a souligné Dr Amadou Sall, directeur de l’IPD, en marge de la signature du financement accordé par la BEI.

Un géant mondial en gestation

Outre le projet MADIBA, le mégaprojet baptisé Sensyo Pharmatech, que développe le Maroc, constitue une réponse devant contribuer à réduire la dépendance du continent à l'égard des vaccins étrangers. Cette unité en cours de construction devrait produire ses premiers lots de vaccins durant le second semestre de 2022. Il s’agit d’une usine de fabrication et de mise en seringue de vaccins anti-Covid-19 et d'autres vaccins. Au départ, l’unité va disposer de 3 lignes industrielles. Elle produira, en 2024, 116 millions de seringues pré-remplies, de flacons de liquides et de flacons lyophilisés.

A l’horizon 2025, cette unité assurera le transfert du remplissage aseptique et de la fabrication de substances actives de plus de 20 vaccins et produits bio-thérapeutiques dont 3 vaccins anti-Covid-19, couvrant une bonne partie des besoins du continent.

Ce méga-projet qui intègre le transfert vers le Maroc de plateformes biotechnologiques avancées incluant la recherche pharmaceutique, le développement clinique, le développement et la production de thérapies cellulaires et géniques, va nécessiter un investissement global compris entre 400 et 500 millions d’euros.

Fruit d’un partenariat public-privé et bénéficiant de l’accompagnement de la société suédoise Recipharm, un des leaders mondiaux de la biotechnologie et de l’industrie du «fill & finish», Sensyo Pharmatech sera la plus grande plateforme par capacité de «fill & finish» de vaccins en Afrique avec l’ambition affichée de devenir un hub pharmaceutique mondial et figurer parmi les 5 plus grands fabricants de vaccins au monde.

A travers la réalisation de ces deux infrastructures, la dépendance du continent vis-à-vis des importations de vaccins sera fortement réduite. En plus, ces vaccins produits localement vont contribuer à soutenir l’égalité d’accès aux vaccins qui a été mis à mal avec la pandémie du Covid-19.

A noter aussi que le laboratoire allemand BioNTech a entamé l’installation de sites de production de vaccins ARN messager (ARNm) au Sénégal et au Rwanda. Les équipements ont été envoyés dans ces deux pays et le laboratoire allemand, basé à Mayence (ouest de l'Allemagne) comptait adapter la technologie prometteuse de l’ARNm au paludisme, avec des essais cliniques dès cette année.

La souveraineté vaccinale, un pari réaliste

La décision des pays africains de prendre en charge leur santé pousse des acteurs mondiaux du secteur à s’intéresser au continent. Ainsi, en marge du Forum économique mondial de Davos, le PDG de Serum Institute of India, Adar Poonawalla, a annoncé, le 23 mai dernier, son intention d’implanter une unité de production de vaccins au niveau du continent. «Il n’y a jamais eu de meilleur moment pour être un fabricant de vaccins. Je prévois d’étendre nos unités industrielles à travers le monde. Il y a de grands pays là-bas: l’Afrique du Sud, le Rwanda, pour n’en citer que quelques-uns que nous envisageons», avait déclaré le patron du géant indien qui fabrique, notamment via des licences, plus de 1,5 milliard de doses de vaccins par an, dont une bonne partie est utilisée en Afrique (diphtérie, tétanos, coqueluche, tuberculose, rougeole, oreillons, rubéole, AstraZeneca, etc.).

Parallèlement, 6 pays africains ont été choisis par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour fabriquer des vaccins ARNm. Il s’agit de l’Afrique du Sud, de l’Egypte, du Kenya, du Nigeria, du Sénégal et de la Tanzanie.

Bref, la souveraineté vaccinale de l’Afrique est sur la bonne voie. Avec ces projets, l’objectif de l’Union africaine de porter la proportion des vaccins produits et utilisés en Afrique de 1% à 60% à l’horizon 2040 s’avère réaliste. Toutefois, pour que celle-ci devienne une réalité, il faut que les pays africains se lancent également dans la recherche et le développement de vaccins, et qu'ils ne se contentent pas de faire du remplissage de flacons de vaccins produits ailleurs.

Par Moussa Diop
Le 03/06/2022 à 16h06, mis à jour le 03/06/2022 à 16h09