Pour les pays de la Confédération des États du Sahel (Burkina Faso, Mali et Niger), le retrait de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) est désormais officiel après l’expiration du délai d’une année qu’imposait la règlementation de l’Organisation ouest-africaine. Le sursis de six mois accordé par la Cedeao aux trois pays et qui prendra fin le 29 juillet 2025, n’aura donc servi à rien. Un délai qui visait à «maintenir les portes de la Cedeao ouvertes aux trois pays».
Cependant, malgré l’officialisation de la séparation, rien ne semble près de changer. Les deux parties font de sorte que la séparation n’impacte pas le quotidien des populations dont l’une des principales préoccupations est la libre circulation des personnes et des biens et le libre établissement des ressortissants des deux ensembles au niveau des deux entités. Et ce sont les pays de l’AES qui ont annoncé la couleur. Enclavés, ces pays qui comptent des millions de leurs ressortissants vivant au sein des pays de la Cedeao, souhaitent que rien ne change sur ces deux points précis.
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Avant même d’acter officiellement leur retrait le 29 janvier, les pays de l’AES avaient pris soin, le 13 décembre 2024 lors d’une réunion des ministres de l’AES à Niamey, d’annoncer que les dirigeants des trois pays ont décidé d’accorder la libre circulation et le droit de résidence et d’établissement aux ressortissants de la Cedeao. «La Confédération des États du Sahel est un espace sans visa pour tout ressortissant des États membres de la Cédéao», selon le président de la Confédération des États du Sahel, Assimi Goïta, chef de l’État malien. Mieux encore, «les véhicules à usage commercial immatriculés sur le territoire d’un État membre de la Cédéao et transportant des passagers pourront entrer sur le territoire d’un État membre de la CES conformément aux textes en vigueur.»
La Cedeao à 15 Etats était l'ensemble régional le plus intégré en Afrique. Elle couvrait une superficie total de 5,11 millions de km2 pour plus de 511 millions d'habitants.
Cependant, cette position tranche avec les déclarations précédentes du président de la Commission de la Cedeao, Omar Alieu Touray, qui avait souligné, quelques mois auparavant, que «le retrait du Niger, du Mali et du Burkina Faso affectera les conditions de voyage et d’immigration des citoyens de ces trois pays», expliquant qu’«ils auront désormais à mener des démarches en vue de l’obtention d’un visa avant de voyager dans la sous-région. De plus, ils ne pourront plus résider ou créer des entreprises librement dans le cadre des facilités de la Cedeao et seront soumis à diverses lois nationales.»
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Cependant, la Commission de la Cedeao s’est rétractée et a souligné, dans un communiqué daté du 29 janvier que «toutefois, dans un esprit de solidarité régionale et dans l’intérêt supérieur des populations, et conformément à la décision de la conférence des chefs d’État et de gouvernement de maintenir les portes de la CEDEAO ouvertes au dialogue, les autorités compétentes, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des États membres de la CEDEAO, sont priées et tenues de veiller au respect de quelques mesures».
Parmi ces mesures, il faudra reconnaitre, jusqu’à nouvel ordre, le passeport et la cartes d’identité portant le logo de la Cedeao détenus par les citoyens des pays de l’AES. Ensuite, il faudra continuer à accorder aux biens et services provenant des trois pays le traitement prévu par le schéma de libération des échanges et la politique d’investissement de la Cedeao. En outre, il faudra également «permettre aux citoyens des pays concernés de continuer à jouir, jusqu’à nouvel ordre, du droit de circulation, de résidence et d’établissement sans visa, conformément aux protocoles de la Cedeao.»
Des portes ouvertes... à condition
En définitive, c’est le statu quo qui prévaut «jusqu’à l’adoption par la Conférence des chefs d’État et de gouvernement de la Cedeao, des modalités complètes régissant nos relations futures avec les trois pays.» Une décision qui interviendra en juillet de cette année. D’ici là, beaucoup de chose peuvent changer au sein de ces deux espaces de l’Afrique de l’Ouest, loin d’être stables.
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Reste maintenant à savoir si les 12 pays formant désormais la Cedeao accorderont, ou non, la réciprocité aux ressortissants des pays de l’AES. Faisant également partie de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa) les ressortissants des pays de l’AES bénéficient de la libre circulation des biens et des personnes au sein de cet espace régional qui compte huit pays: Sénégal, Côte d’Ivoire, Burkina Faso, Mali, Niger, Guinée Bissau, Togo et Bénin. Ces derniers font partie de la Cedeao mais ont la particularité d’avoir le franc CFA comme monnaie commune.
Conséquence, tant que ces trois pays de l’AES ne quittent pas la zone CFA, ils continueront de bénéficier de la libre circulation des biens et des personnes au sein de l’Uemoa dont les membres sont également membre de la Cedeao. On comprend alors le peu d’empressement des trois pays à quitter cette monnaie commune qu’est le franc CFA. De plus, Burkina Faso, Mali et Niger prévoient la création d’une monnaie commune en 2027, année durant laquelle la Cedeao devrait faire de même.
Enfin, certains pays de la Cedeao n’imposent pas de visa aux ressortissants des autres pays d’Afrique: Gambie, Bénin et Ghana. En clair, la libre circulation au sein des deux espaces ne posera pas de problèmes. Toutefois, le libre établissement des ressortissants de l’AES au sein des 12 pays de la Cedeao sera à négocier.
Résultat: malgré la séparation rien ne change vraiment pour le moment. Les premières conséquences devront intervenir après juillet 2025. À cette date, les deux blocs régionaux devront négocier des accords économiques et commerciaux. La libre circulation des biens et des personnes, le libre établissement dans les deux espaces et les accords douaniers figureront en bonne place dans les futures négociations. De même, les programmes de développement financés par la Cedeao dans ces pays devront être réévalués. Il s’agit de projets vitaux relatifs aux infrastructures (adduction d’eau, énergie…), à la dette des pays de la région vis-à-vis des institutions de la Cedeao,…
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En tout cas, les pays de l’AES multiplient les annonces et les actes marquant leur volonté d’émancipation de la Cedeao. Ainsi, les trois pays ont lancé leur passeport commun en lieu et place de celui de la Cedeao. Les citoyens des trois pays ont la possibilité de continuer à utiliser leur passeport Cedeao même s’ils voyagent à l’intérieur de l’espace AES. Toutefois, au sein des 12 pays de la Cedeao, tout dépendra des mesures qui seront prises à partir de juillet 2025, une fois le délai de rétraction accordé par la Cedeao aux trois pays aura expiré.
AES: banque, investissements et combat communs contre le terrorisme
Les trois pays de l’AES ont officialisé la création d’une force conjointe de 5.000 hommes qui seront chargés de lutter contre les groupes djihadistes qui sévissent dans la région. Par ailleurs, comptant sur leurs importantes ressources minières (or, uranium, pétrole, lithium…), les trois pays comptent lancer leur propre monnaie commune, une banque d’investissement commune pour financer des projets régionaux sans dépendre des institutions financières internationales. Cette banque sera dotée d’un capital de 1.196 milliards de francs CFA répartis entre les trois pays.
Parmi les projets phares annoncés, figure un chemin de fer régional qui va relier les trois capitales des pays de l’AES. Ces derniers ont également décidé d’investir et de développer leurs capacités énergétiques pour faciliter leur industrialisation. De même, des projets communs seront lancés dans les secteurs vitaux (agriculture, élevage, pêche fluviale…). L’objectif étant de réduire leur dépendance vis-à-vis de l’extérieur, Cedeao comprise.
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Au terme de ce tour d’horizon, il apparait clairement que cette séparation ne se fera pas sans impacter la Cedeao qui célèbre son 50e anniversaire cette année et se serait bien passée du départ des pays sahéliens qui lui fait perdre plus de la moitié de son espace géographique. Une bien triste manière de célébrer un demi-siècle d’existence.
En outre, il n’est pas à écarter que le Togo, pour des raisons opportunistes, rejoigne l’AES à laquelle il servira d’ouverture sur l’océan atlantique et faire ainsi bénéficier le port de Lomé du marché d’hinterland que constituent le Burkina Faso, le Mali et le Niger. Un tel scénario portera un coup dur, encore un, à la Cedeao qui verra son espace scindé en deux compartiments séparés par le Togo.