Où va la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest (CEDEAO)? la question taraude l’esprit des observateurs et des citoyens de la région au moment où il est de plus en plus question d’une intervention militaire pour déloger les putschistes de Niamey.
L’organisation, d’essence plutôt économique, est minée depuis quelques années par des divisions accentuées par la multiplication de coups d’Etat. Une dizaine de putschs, dont six réussis, ont été enregistrés au cours des trois dernières années au niveau des pays de la CEDEAO. Ainsi, le Mali, le Burkina Faso, la Guinée et le Niger sont désormais dirigés par des juntes militaires. Et les risques de contagion à d’autres pays de la région sont importants du fait de la fragilité des régimes en place.
Après la Guinée, le Burkina Faso et la Guinée, et bien évidemment le Niger, au cas où le putsch est définitivement acté, d’autres pays de la CEDEAO ne sont pas à l’abri de changement de régime par la force. D’où la volonté des dirigeants de la région de vouloir mettre fin à la prise de pouvoir par les hommes en treillis.
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Seulement, le retour à l’ordre constitutionnel après un putsch ne semble possible que par l’usage de la force et donc par l’intervention militaire. C’est ce qui a été décidé dans le cas du Niger. Toutefois, cette solution, bien que brandie par certains pays de la CEDEAO, les plus importants du regroupement régional -Nigeria, Ghana, Côte d’Ivoire et Sénégal-, est loin de faire l’unanimité au sein des 15 membres de l’organisation.
Outre le Niger qui argue que le coup d’Etat est un problème interne nigérien, les trois autres pays de la région dirigés par des juntes militaires -Mali, Burkina Faso et Guinée- sont opposés à cette intervention. Et ce ne sont d’ailleurs pas les seuls. Le Cap Vert, un des pays où l’alternance démocratique est un exemple, s’est exprimé catégoriquement contre toute intervention militaire.
Idem pour le Togo, pays dont les autorités ont clairement affiché leur opposition à une intervention militaire pour rétablir l’ordre constitutionnel au Niger.
En clair, ce sont, 6 des 15 pays de la CEDEAO qui sont opposés à l’intervention militaire. Quant aux populations de la région, elles sont presque totalement opposées à toute intervention des soldats, jugeant que le retour à l’ordre constitutionnel ne mérite pas autant de sacrifices qu’impliquerait l’opération visant à réinstaller le président Mohamed Bazoum sur son fauteuil.
Outre le nombre de soldats qui vont mourir lors de cette intervention dont les résultats restent hypothétiques, ce sont les retombées qui inquiètent les observateurs et les populations de la région, mais aussi les hommes politiques.
Aujourd’hui, la junte nigérienne étant totalement installée et a même formé un gouvernement, la perspective d’une solution diplomatique et politique s’éloigne et les positions entre les deux parties se creusent.
A ce titre, alors que la CEDEAO continue à militer pour un retour à l’ordre constitutionnel, le président de la junte nigérienne, le général Abdourahamane Tiani, ayant déjà dessiné les contours d’une transition politique de 3 ans, signifie à l’organisation régionale que le régime déchu est bel et bien derrière lui.
En clair, aucun compromis n’est désormais possible avec des positions aussi éloignées entre les deux parties. Concrètement, la CEDEAO joue sa crédibilité, sachant qu’elle n’a réussi à imposer les transitions ni au Burkina Faso, ni au Mali ni en Guinée. De plus, l’organisations sous-régionale n’est pas sans savoir qu’en cas d’échec au Niger, elle ouvrira la voie à une dévolution du pouvoir par les armes au niveau de la CEDEAO.
Résultat, et à moins que le président nigérien élu Mohamed Bazoum n’accepte de démissionner, l’intervention militaire reste d’actualité même avec de minces chances de succès. En effet, on voit mal les soldats de la CEDEAO parvenir à extraire le président Bazoum vivant de l’intérieur de sa résidence située au sein du camp de la Garde présidentielle. Et au cas où une telle intervention militaire tournerait mal, quelle serait alors la solution que l’organisation régionale mettra en place?
En outre, avec les interventions des armées du Burkina Faso et du Mali qui se sont renforcées au cours de ces derniers mois en s’équipant auprès de la Russie, de la Chine et de la Turquie en acquérant des avions et des drones, l’intervention des soldats de la CEDEAO risque d’être complexe et surtout le conflit pourrait s’étendre à d’autres pays et s’inscrire dans la durée. Qui prendra alors la responsabilité des conséquences d’une telle opération?
Dans une telle configuration, l’implosion de la CEDEAO n’est pas à écarter sachant que le Mali et le Burkina Faso ont déjà annoncé qu’ils quitteront l’organisation régionale en cas d’intervention militaire. D’ailleurs, cette situation taraude l’esprit même des dirigeants de la région. Le président bissau-guinéen Umaro Sissoko Embalo, a déclaré, mercredi 9 août à la veille d’un sommet de l’organisation régionale, que «la situation que traverse la CEDEAO est vraiment préoccupante. Cette organisation jusqu’ici est la plus sûre, la plus solide de tout le continent. Aujourd’hui, nous courons le risque de la faire disparaître».
Au-delà des impacts négatifs d’une confrontation entre les armées de la CEDEAO et celle de la coalition Niger-Burkina Faso-Mali, c’est l’avenir d’une région déjà minée par l’insécurité à cause des groupes djihadistes installés dans le Sahel qui inquiète. Un affrontement entre ces deux camps ne fera qu’affaiblir les armées de la région et renforcer en conséquence les groupes terroristes sahéliens avec des conséquences incalculables.
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D’ailleurs, si les chefs d’état-major des armées des pays de la CEDEAO ont annoncé avoir bouclé le schéma de l’intervention, les observateurs de la scène régionale sont unanimes: cette intervention militaire ne sera pas possible sans un soutien logistique et militaire de pays occidentaux.
Or, on voit mal les Etats-Unis, en retrait au niveau des condamnations, intervenir pour soutenir la CEDEAO. Idem pour les autres pays européens, hormis la France, qui soutient cette intervention et qui certainement y participera afin d’en assurer la réussite. Une situation qui ne fera que renforcer le ressentiment anti-français et fragiliser encore plus certains régimes de la région qui sont déjà considérés, à tort ou à raison, comme les valets de Paris.
En clair, les dirigeants de la CEDEAO doivent murement réfléchir avant de s’engager dans une intervention militaires aux conséquences incalculables pour la CEDEAO qui est, à date d’aujourd’hui, le regroupement régional le mieux avancé du continent africain. Une intervention militaire pour rétablir l’ordre constitutionnel, serait ainsi non seulement hasardeuse, mais aussi et surtout destructrice du projet de la CEDEAO.