Né le 18 octobre 1991 à Kampala, en Ouganda, Zohran Mamdani grandit au croisement de l’Afrique, de l’Asie et de l’Occident. Son père, Mahmood Mamdani, figure majeure de la pensée postcoloniale africaine, et sa mère, la cinéaste indienne Mira Nair, lui transmettent une vision du monde fondée sur la conscience critique et le cosmopolitisme engagé.
Le nouveau maire de New-York est le fils de Mahmood Mamdani, professeur à l’Université Makerere et à Columbia University, auteur d’ouvrages de référence tels que Citizen and Subject et When Victims Become Killers. Mahmood qui a inspiré son fils, a parcours intellectuel qui s’est forgé dans l’exil et la résistance. Réfugié à Dar es Salaam dans les années 1970 pour fuir la dictature d’Idi Amin Dada, il s’y lie d’amitié avec de jeunes intellectuels africains animés par le même idéal panafricain. Parmi eux, Abdoulaye Bathily, aujourd’hui envoyé spécial du président sénégalais Bassirou Diomaye Faye pour les affaires internationales, qui se souvient de cette époque comme d’un «moment incandescent où l’Afrique pensait sa libération dans les amphithéâtres».
Dans un témoignage, Bathily confie «J’ai rencontré Mahmood Mamdani à Dar es Salaam, à la fin des années 1970. Nous étions alors une communauté d’exilés, d’intellectuels et de militants venus du Ghana, du Kenya, d’Afrique du Sud ou du Zimbabwe. Nous débattions sans relâche de l’avenir du continent, de la lutte contre l’apartheid, du sort de l’Ouganda. Mahmood incarnait cette génération d’intellectuels africains engagés, lucides, indociles face aux pouvoirs autoritaires.»
C’est dans ce terreau militant que naîtra plus tard Zohran Kwame Mamdani– Kwame, en hommage à Nkrumah, symbole des indépendances africaines. Bathily évoque une famille profondément attachée à l’Afrique: «Mahmood Mamdani et Mira Nair n’ont jamais rompu avec le continent. Ils venaient souvent à Dakar pour les conférences du CODESRIA, dont Mahmood fut président du conseil d’administration. Ils sont venus ici en 2007 avec le jeune Zohran, encore adolescent, pour visiter l’île de Gorée.»
L’itinéraire du jeune Mamdani épouse les contours d’un monde en mutation. Diplômé en économie et en philosophie du Bowdoin College, dans le Maine, il s’engage très tôt aux côtés des communautés marginalisées de Queens – où il travaille comme conseiller en prévention des saisies immobilières. Ce premier contact avec la pauvreté urbaine le convainc de s’engager politiquement.
Élu en 2020 à l’Assemblée de l’État de New York, il s’impose comme l’un des représentants les plus prometteurs du courant socialiste démocrate américain, proche de Bernie Sanders et d’Alexandria Ocasio-Cortez. À travers ses combats pour le logement abordable, la gratuité des transports publics ou la défense des travailleurs précaires, il s’affirme comme la conscience progressiste d’une métropole minée par les inégalités.
Sa victoire à la mairie de New York, en 2025, marque un basculement politique. Dans une Amérique où la droite populiste gagne du terrain, l’élection d’un maire ougando-indien-américain, musulman, socialiste et antiraciste, résonne comme un séisme symbolique. Pour Zohran Mamdani, la mission est claire: « Rendre la ville à ceux qui la font vivre, travailleurs, migrants, locataires».
Mamdani ou la conscience d’un monde métissé
La trajectoire de Zohran Mamdani ne saurait être dissociée de celle de son père. L’un a conceptualisé la citoyenneté postcoloniale, l’autre tente de la mettre en pratique dans le laboratoire urbain le plus complexe du monde. «C’est le fils de son père», résume Bathily: "Il a fait sa thèse sur Frantz Fanon et Jean-Jacques Rousseau – comme pour unir la radicalité du tiers-mondisme à la réflexion universaliste des Lumières.»
Les références du jeune maire sont explicites, d’abord Fanon pour la libération des peuples et ensuite Rousseau pour le contrat social, Nkrumah pour l’indépendance africaine. Autant de filiations qui structurent sa pensée politique. Son engagement en faveur de la Palestine, souvent critiqué dans le paysage politique américain, s’inscrit dans cette tradition héritée de Dar es Salaam, celle d’un internationalisme moral, fidèle à la lutte contre toutes les formes d’oppression.
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De Kampala à New York, Zohran Mamdani a grandi au croisement des continents, des religions et des luttes. Sa mère, Mira Nair, la réalisatrice de Salaam Bombay ! et Monsoon Wedding, est elle-même militante des causes progressistes, défendant le cinéma du Sud comme un espace d’émancipation et de dialogue. «Ils formaient un couple de militants, profondément croyants et attachés à la justice», rappelle Bathily.
Ce mélange d’univers a façonné chez Zohran une vision transnationale de la citoyenneté, il se veut ni occidentale, ni orientale, mais résolument humaine. Loin des codes classiques du pouvoir américain, il revendique un style direct, inclusif, militant, héritier de l’Afrique des indépendances et des débats panafricains.
New York n’est pas seulement une ville, mais une idée. Celle d’une diversité possible, d’une cohabitation fragile entre communautés, d’un espace où se réinvente le monde. C’est à ce modèle que Mamdani veut redonner sens, un «contrat social urbain» fondé sur la participation citoyenne, la redistribution et la justice environnementale.
Son mandat s’annonce semé d’embûches notamment l’endettement municipal, la pression immobilière, la polarisation idéologique et la méfiance croissante envers la gauche radicale. Mais il s’appuie sur un socle d’idées puissantes– celle d’une Amérique repensée depuis ses marges, à la lumière de son héritage africain et diasporique.
L’écho d’un monde ancien dans la modernité
Dans l’histoire politique récente, rares sont les figures qui, comme Zohran Mamdani, incarnent une continuité aussi forte entre la pensée et l’action, entre l’Afrique intellectuelle des années 1970 et la gauche urbaine américaine du XXIe siècle.
Son ascension n’est pas seulement celle d’un homme mais symbolise la revanche des exilés, des cosmopolites, des héritiers des luttes anticoloniales. Dans le sillage de son père, il fait vivre cette idée que la migration n’est pas un exil, mais un prolongement du combat pour la dignité.
À travers Zohran Mamdani, l’Afrique parle à New York, et New York, à son tour, redonne à la politique américaine un souffle venu d’ailleurs: celui des humanistes, des résistants et des rêveurs d’un monde plus juste.




