Ntsiki Madela, qui vit non loin de la maison-musée au numéro 8115 et vend des bijoux et des chapeaux, fait partie de ces nombreux Sud-Africains désabusés.
Si elle est reconnaissante pour les touristes que Mandela continue d’attirer dans le grand township des environs de Johannesburg, où le prix Nobel de la Paix a vécu 16 ans, la vendeuse de 47 ans dresse un constat amer: «Je n’ai vu aucun changement par rapport à la démocratie de Mandela et je ne vois même pas la nécessité de voter».
Alors que le pays se prépare à des élections générales au printemps 2024, qui marqueront le 30e anniversaire des premières élections démocratiques, les autorités peinent à convaincre la population à s’enregistrer sur les listes électorales.
La participation aux élections n’a cessé de diminuer depuis les élections de 1994. Quant aux électeurs inscrits, ils se détournent de plus en plus du parti de Mandela, le Congrès national africain (ANC) au pouvoir depuis la fin de l’apartheid.
L’ANC a vu son image ternie par des accusations de corruption et selon des enquêtes d’opinion, il pourrait en 2024 voir son nombre de voix passer sous la barre des 50% et perdre sa majorité absolue au parlement pour la première fois.
Le pays traîne toujours la triste réputation d’être l’un des plus dangereux au monde, avec trois meurtres commis toutes les heures au cours du premier trimestre.
Lire aussi : Afrique du Sud: l’opposition forme une coalition pour évincer l’ANC
La première économie du continent affiche un taux de chômage de plus de 32%, l’un des plus élevés de la planète et les salaires de nombreux actifs demeurent très bas dans ce pays classé comme le plus inégalitaire au monde par la Banque mondiale en 2022.
Et certains jours, Madela et d’autres Sud-Africains subissent des coupure de courant de près de 12 heures.
«Nous n’avons pas assez de revenus pour nourrir nos enfants, il y a les coupures de courant et le coût de la vie est insoutenable», résume Madela.
Dans le monde entier, Nelson Mandela est perçu comme une conscience morale pour son long combat contre le régime ségrégationniste de l’apartheid et sa vision de la Nation Arc-en-Ciel sud-africaine.
Mais l’héritage de Mandela a été «entamé» par son propre parti dont les dirigeants «corrompus» ont «dévié» de sa «conscience morale», assure l’analyste politique Prince Mashele à l’AFP.
«Toujours pauvres»
Nic Borain, un analyste politique travaillant dans le secteur financier, se montre moins critique à l’égard des successeurs de l’ancien président: les années Mandela, explique-t-il, étaient auréolées d’une «sorte de mythologie» et ses successeurs devaient naturellement pâtir de la comparaison.
Reste que l’ancien président Jacob Zuma (2009-2018) a été destitué de la présidence en 2018 pour corruption.
Et en juin, l’organisme de surveillance de la corruption a blanchi son successeur Cyril Ramaphosa des allégations selon lesquelles il aurait manqué au code de l’éthique en ne signalant pas le vol de plus de 500.000 dollars en espèces cachés dans un canapé de sa ferme.
Lire aussi : Le taux de meurtres en Afrique du Sud sept fois supérieur à la moyenne mondiale
En contrebas de la maison de Mandela, Sive Jizana, une enseignante de 27 ans, est assise avec des amis dans un pub.
L’héritage de Mandela est «en train de mourir», dit-elle. Elle déplore l’absence d’eau courante et de routes en dehors des grandes villes. «Et maintenant, nous n’avons plus d’électricité».
Zandile Cubeni, 24 ans, diplômée en sociologie et au chômage, assure qu’elle ne s’inscrira pas sur les listes électorales.
«Beaucoup de personnes comme moi sont sans emploi et nous n’avons aucun avantage tangible», a-t-elle expliqué. «L’héritage de Mandela a été présenté comme quelque chose d’irréprochable mais ce n’est pas vrai».
«Nous ne voyons vraiment pas ce que Mandela et tous les autres ont fait pour nous... Nous sommes toujours pauvres», surenchérit Thobile Cele, une caissière de 43 ans.
«Nous n’avons tout simplement plus de démocratie... tant que l’ANC est au pouvoir», assure Leigh-Ann Mathys, députée pour le parti de gauche des Combattant pour la liberté économique (Economic Freedom Fighters).
Selon elle, le pouvoir judiciaire est sous influence de l’ANC et il y a des doutes sur des institutions comme la commission électorale.
Si certains fidèles de Mandela tentent d’inciter à passer outre le nom de Mandela pour construire l’avenir, la famille du symbole de la lutte contre l’apartheid tente de maintenir la flamme.
Pour son petit-fils Mandla Mandela, député de l’ANC, le parti au pouvoir a enregistré de grands succès et «quelques échecs spectaculaires» mais la démocratie sud-africaine est globalement «en bonne santé».