Kenya: un mois après des manifestations sanglantes, le président se mue en super supporteur de foot

Le président kényan William Ruto joue la carte du supporteur modèle de l'équipe nationale.. Football Kenya Federation

Le 17/08/2025 à 09h07

En maillot de foot, au stade, affable, généreux... le président kényan William Ruto joue la carte du supporteur modèle de l’équipe nationale lors d’un tournoi co-organisé par le Kenya, quelques semaines après des manifestations contre son régime réprimées dans le sang.

Le chef de l’Etat kényan semble ne jamais se lasser du ballon rond depuis l’entame du Championnat d’Afrique des nations (CHAN), qui se tient en août dans son pays, mais également en Ouganda et en Tanzanie.

Qu’importe que le CHAN, auquel ne peuvent participer que des footballeurs jouant dans leur propre championnat - ce qui exclut tous les meilleurs éléments évoluant en Europe -, ne garantisse pas un spectacle inoubliable. Qu’importe aussi que les «Harambee stars» («étoiles unies», NDLR) kényans n’aient jusqu’ici jamais rien gagné ou presque.

William Ruto, vêtu d’un maillot de la sélection kényane, a d’abord appelé le public à ne pas bouder la compétition. Il était en tribune pour soutenir les Harambee stars. Il a aussi demandé à ses concitoyens de respecter les normes de sécurité, après que les matches du Kenya ont donné lieu à des envahissements de stade, causant l’ire de la Confédération africaine de football.

Il a surtout garanti des primes de matches astronomiques par rapport au niveau de vie kényan: 1 million de shillings (6.600 euros) pour chaque joueur ou membre de l’encadrement par victoire, la moitié en cas de match nul.

Un bonus qu’il a fait grimper à 2,5 millions de shillings (16.500 euros), assortis d’une maison de deux chambres en cas de succès en quart de finale dimanche contre la Zambie.

«Ce sont les Harambee stars qui ont réuni la nation», a-t-il lancé lundi lors d’une visite aux joueurs. «Je suis fier que grâce à vos talents, la nation soit debout, ensemble, et inspirée.»

La stratégie paraît sportivement porter ses fruits, le Kenya étant auteur d’un bon début de tournoi.

William Ruto, affaibli politiquement, semble aussi regagner du crédit politique, alors que le pays sort à peine d’un mouvement de contestation de son exécutif, violemment réprimé. Au moins 65 personnes ont été tuées dans les manifestations de juin et juillet, selon la police des polices kényane.

«Répit»

Mi-juillet, le président Ruto avait même choqué ses adversaires en appelant les forces de l’ordre à tirer «une balle dans la jambe» de pillards.

Mais dans les tribunes, les supporteurs kényans préfèrent scander à chaque match «un million !», en référence aux primes présidentielles, pour motiver leurs héros, plutôt que «Wantam» (un mandat, NDLR), le cri de ralliement de la jeunesse opposée à sa réélection en 2027.

«La plupart des gens sont contents que l’équipe nationale ait été récompensée pour ses performances», observe Bernard Ndong, journaliste sportif et présentateur dans une radio privée, interrogé par l’AFP.

«Certains sceptiques» se demandent toutefois, selon lui, «d’où vient cet argent et si ce n’est pas aussi une manière subtile pour (William Ruto) de se faire apprécier des gens à travers le football».

Le CHAN «offre du répit à Ruto», également accusé d’être impliqué dans des «méga-scandales» de corruption, observe une tribune publiée dans The Standard, quotidien largement hostile au chef de l’Etat.

Le CHAN «est un calcul dans lequel les techniques de soft power, la fierté nationale et des engagements publics ciblés se croisent pour atténuer les critiques (envers William Ruto, NDLR) et rouvrir les canaux de soutien» à sa personne, estime l’analyste Chris Sambu sur X.

«En impliquant les citoyens durant une distraction nationale unificatrice, le président (...) relie son image à des moments de fierté et d’espoir économique, plutôt qu’à des controverses politiques récentes», poursuit-il.

Supportrice du chef de l’Etat, Amina Muchiri, 44 ans, dit comprendre sa stratégie tout en regardant un match du CHAN. «Le sport et la politique sont des outils puissants» et le tournoi de foot représente «la meilleure chance d’atteindre» la jeune génération le détestant, observe-t-elle.

Elias Makori, ex-journaliste sportif et actuel membre du comité d’organisation du CHAN, juge «astucieuse» la démarche présidentielle.

«C’est un bon retour en scène après le mécontentement de la Gen-Z», explique-t-il à l’AFP, avant d’ajouter : «mais combien de temps cela peut durer est une autre question.»

Par Le360 Afrique (avec AFP)
Le 17/08/2025 à 09h07