Les enjeux du 38e sommet de l’Union africaine: élections et rivalités au menu

Les candidats à la Présidence et à la vice-présidence de la Commission de l'Union africaine.

Le 11/02/2025 à 16h38

Addis-Abeba accueillera, les 15 et 16 février, la 38ème session ordinaire de l’Assemblée de l’Union africaine lors de laquelle les élections à la présidence et à la vice-présidence de la Commission de l’UA focaliseront l’attention. Trois candidats des pays d’Afrique de l’Est s’affrontent pour le poste de la présidence alors que quatre autres issues des pays d’Afrique du Nord concourent pour celui de vice-présidente. Pour ce dernier poste, un duel Maroc-Algérie avec l’Égypte à l’affût.

La 38ème session ordinaire de l’Assemblée de l’Union africaine réunira les 15 et 16 février 2025 à Addis-Abeba les chefs d’État et de gouvernement. Il s’agit d’une réunion aux nombreux enjeux qui sera marquée par les élections aux postes clés de l’instance africaine dont les postes de président de la Commission africaine, de la vice-présidence et des chefs des six commissions qui seront élus par le Conseil exécutif de l’UA, composé des ministres des Affaires étrangères (ou tout autre ministre ou responsable désigné par un État membre pour le représenter), qui se réunissent les 12 et 13 février.

Ces commissions sont: Affaires politiques, paix et sécurité, Développement économique, commerce, industrie et mines, Agriculture, développement rural, économie bleue et développement durable, Éducation, sciences, technologie et innovation, et, enfin, Santé, affaires humanitaires et développement social.

Des élections qui seront précédées par la passation de témoin entre le président sortant, le Mauritanien Mohamed Cheikh el Ghazouani et son successeur désigné, l’Angolais João Lourenço.

L’élection à la présidence de la Commission de l’UA

L’enjeu fondamental de ce 38ème sommet de l’UA est l’élection du successeur du président de la Commission de l’Union africaine, le Tchadien Moussa Faki Mahamat. Une seule certitude, ce poste est dévolu à un candidat de l’Afrique de l’Est, du fait des rotations régionales, et qu’il reviendra à l’un des trois candidats en lice: le Djiboutien Mahamoud Ali Youssouf, le Kenyan Raila Odinga et le Malgache Richard Randriamandrato. Toutefois, la bataille va se jouer surtout entre le Kenyan et le Djiboutien, les deux favoris.

Ancien Premier ministre et plusieurs fois candidats à la présidence du Kenya, Raila Odinga compte de nombreux soutiens. Il dispose d’un carnet de contacts qu’il a fortement étoffé lors de son passage à la Primature kenyane. Ayant d’importants soutiens en Afrique de l’Est, il table aussi sur l’Afrique de l’Ouest, notamment le Nigeria, le Togo, le Ghana et les pays d’Afrique centrale.

Il a aussi fait campagne en Afrique du Nord où il mise sur sa position de neutralité sur la question du Sahara occidental. Une neutralité qui pourrait rabattre les cartes entre les candidats. Sa neutralité et l’offensive de charme de Rabat envers l’équipe du président William Ruto, plus ouvert à une coopération avec le Royaume et qui y a ouvert une ambassade, pourrait chambouler les cartes, et ce d’autant qu’Alger ne bénéficie plus du fort soutien de Nairobi comme ce fut le cas du temps de l’ex-président Uhuru Kenyata et des pro-algériens qui l’entouraient.

En outre, le Kenya, l’une des puissances économiques du continent, cherche depuis l’arrivée du nouveau régime à renforcer sa coopération avec le Maroc. Autant de facteurs perçus positivement au Maroc et qui expliquent qu’à l’instar d’autres pays, le Royaume reste muet sur son choix. Ce d’autant plus que Djibouti est un allié historique du Maroc. Djibouti a été l’un des premiers pays à ouvrir un consulat à Dakhla, dans les provinces sahariennes du Royaume.

C’est dire que le Maroc fait face à un choix difficile. Ce choix l’est aussi pour l’Algérie qui a perdu de son influence sur le Kenya depuis le départ d’Uhuru Kenyata. Alger se méfie aussi du candidat djiboutien en charge de la diplomatie de ce pays qui non seulement reconnait la marocanité du Sahara mais a contribué personnellement à l’ouverture d’un consulat dans le Sahara marocain. On comprend alors qu’Alger reste aussi muet sur son choix.

Nonobstant, le Kenya a fait campagne lors du sommet du Commonwealth à Samoa, afin de récolter les voix des pays anglophones d’Afrique, et Odinga a sillonné de nombreux pays africains, participé à un grand nombre de forums internationaux pour y rencontrer les dirigeants des grands pays notamment ceux des Brics, pour se donner la stature de diplomate à même de défendre les intérêts du continent.

Quant au Djiboutien, polyglotte (français, arabe et anglais), il jouit du soutien de l’Organisation de la coopération islamique et de la Ligue arabe. Il compte aussi beaucoup sur les voix des pays francophones d’Afrique. Cela ne veut nullement dire que tous les pays africains membres de ces communautés voteront pour le diplomate djiboutien. La France, qui pesait de tout son poids lors de telles élections, a perdu une grande partie de son influence sur les pays francophones. Et il semble que le Djiboutien soit en léger retrait vis-à-vis du candidat kenyan en termes de soutiens, même si rien n’est joué d’avance dans cette course.

Une chose est sure, dans cette élection, les enjeux diplomatiques et politiques vont énormément peser sur les alliances que les différents pays vont mettre en place afin que le candidat qu’ils soutiennent remporte le poste. En effet, les pays influents sur la scène africaine comptent sur des retours sur investissement en cas de soutien de l’un ou l’autre candidat de cette élection.

Ainsi, en plus des raisons purement politiques, certains pays négocient aussi des postes dans le futur cabinet du candidat qu’ils soutiennent. En effet, le président de la Commission de l’UA doit nommer un directeur de cabinet et cinq conseillers thématiques issus des différentes régions du continent. Il peut aussi créer six postes de conseillers supplémentaires qui seront financés par son pays, le Kenya, et les attribuer à des membres des pays de son choix.

Du coup, rares sont les pays africains qui ont annoncé officiellement leur choix à l’un des trois candidats à la présidence de la Commission de l’Union africaine. Partant, le duel entre le Djiboutien Mahamoud Ali Youssouf et le Kenyan Raila Odinga sera tranché par les chefs d’État et de gouvernement des pays africains ayant droit au vote.

Tous les pays membres peuvent y participer à condition d’être en règle avec leurs cotisations et s’ils ne sont pas sous l’effet d’une suspension comme c’est le cas des pays sanctionnés par l’UA suite à des coups d’État: Mali, Niger, Soudan, Guinée, Gabon et Burkina Faso. Ce sont ainsi 49 électeurs qui départageront les candidats à la présidence et à la vice-présidence de la Commission de l’UA. Le candidat qui sera élu doit obtenir les deux tiers des voix, soit 33 votes favorables.

Ainsi, entre les trois candidats de la présidence de l’UA, au premier tour, celui qui aura moins de votes favorables sera éliminé. Le second verra les deux candidats restant s’affronter. Et si aucun d’eux n’arrivent à obtenir les deux tiers des voix, le candidat ayant obtenu le moins de votes favorables se retire.

Et un dernier round est effectué pour le seul candidat restant qui doit obtenir la majorité des deux tiers pour être déclaré vainqueur. S’il n’arrive pas à obtenir la majorité des deux tiers requise après le troisième tour, le président est tenu de suspendre l’élection.

Si aucun candidat n’est désigné lors du sommet à Addis-Abeba, l’UA disposera d’un délai supplémentaire de six mois. Un délai qui pourrait permettre de faire émerger d’autres candidats.

Cela est aussi valable pour l’élection de la vice-présidente et des présidents des 6 Commissions

Vice-présidence de l’UA: un duel Maroc-Algérie qui risque de profiter à l’Egypte

Outre la présidence de la Commission de l’Union africaine, le vice-président sera élu lors de la même séance. Ce poste tournant revient à l’Afrique du Nord. Et du fait de la politique de parité de l’institution panafricaine, il doit être occupé par une femme.

Il s’agit d’un poste important et stratégique en ce sens que la personne qui l’occupe a la responsabilité des ressources humaines et des finances de l’Union africaine, en plus d’être le n°2 du président de la Commission. Dans l’impossibilité des pays de la région à s’entendre sur un nom, ce sont les votes qui vont départager les candidates.

Quatre concurrentes ont été présentées par autant de pays: Latifa Akharbach du Maroc, Malika Haddadi d’Algérie, Hanan Morsy d’Égypte et la Libyenne Najat Hajjaji. Il s’agit de quatre femmes hautement qualifiées ayant de longues expériences dans la diplomatie et les organisations internationales.

Latifa Akharbach, ancienne journaliste et figure diplomatique marocaine ayant une longue expérience internationale et des compétences en matière de négociations, celle qui fut ministre déléguée aux Affaires étrangères, actuellement présidente de la Haute autorité de la communication audiovisuelle (HACA) dispose de plusieurs atouts et sa candidature est fortement soutenue par la diplomatie marocaine

Pour sa part, l’Algérienne Selma Malika Haddadi est une diplomate qui a fait carrière dans les affaires africaines et internationales, en tant que directrice générale des Affaires africaines, ambassadrices auprès de nombreux pays dont le Kenya et l’Éthiopie et a exercé auprès du Bureau des droits de l’homme des Nations unies à Genève. Actuellement, elle occupe le poste d’ambassadrice d’Algérie en Éthiopie et représentante permanente auprès de l’Union africaine.

Quant à l’Égyptienne Hanan Morsy, elle jouit de plus de 25 ans d’expérience dans des organisations internationales dont la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique, la Banque africaine de développement (BAD) et du Fonds monétaire international (FMI). Elle connait aussi de nombreux pays africains pour avoir conseillé nombre d’entre eux sur la dette et l’efficacité des dépenses publiques.

Pour succéder à la Rwandaise Monique Nsanzabaganwa, les quatre pays s’affrontent pour que le poste de vice-présidente revienne à leur candidate, même si l’affrontement ressemble plutôt à un duel entre le Maroc et l’Algérie.

L’Algérie n’a pas lésiné sur les moyens et a dépêché deux ministres pour sillonner le continent en quête de soutiens. Mieux, pour soutenir sa candidate, le président Abdelmadjid Tebboune compte faire le déplacement à Addis-Abeba, ce qui sera son second déplacement depuis son accession au pouvoir en 2019. Un voyage qui s’explique par la perte de vitesse et d’influence de l’Algérie au sein de l’UA. Signe de l’importance qu’Alger attache à l’obtention de ce poste stratégique de vice-présidente de la Commission.

Le Maroc n’est pas du reste, même si le Royaume fait sa campagne de manière beaucoup plus discrète, le ministre des Affaires étrangères a visité quelques pays et rencontré beaucoup de ses homologues africains.

Toutefois, certains observateurs pensent que le vote est incertain et la lutte fratricide entre les deux pays risque de profiter à la candidate égyptienne, d’autant plus que celle-ci, ancienne de la Banque africaine de développement (BAD), maîtrise bien les finances.

La présidence très attendue de l’Angolais João Lourenço

Après la présidence du Mauritanien, c’est l’Angolais João Lourenço qui prendra le relais à la tête de l’Union africaine et ce pour une année. Il sera le premier président angolais à diriger la plus haute instance de l’Union africaine, après 50 ans d’indépendance. Un évènement majeur pour cette nation lusophone.

C’est un succès pour Lourenço qui tente d’imprimer une nouvelle dynamique d’influence régionale et continentale à son pays. Ainsi, il est devenu un acteur incontournable des questions sécuritaires de la région des Grands-Lacs de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) et tente de jouer un rôle majeur au niveau économique en tant que second producteur de pétrole du continent et avec le corridor Lobito qui vise à assurer les exportations des minerais stratégiques de la RDC et de la Zambie via un chemin de fer et le port angolais de Lobito. Un projet soutenu par les pays occidentaux, notamment les États-Unis qui ne souhaitent pas laisser ces minerais entre les mains des Chinois. Et c’est d’ailleurs le seul pays africain a avoir reçu l’ex-président américain Joe Biden durant ses quatre années à la tête des États-Unis.

Par conséquent, la présidence angolaise de l’UA est très attendue dans un contexte mondial changeant, surtout que ses deux prédécesseurs n’ont pas vraiment de bilans positifs à faire valoir. Outre le fait de booster les réformes de l’UA, d’essayer d’apporter des solutions aux conflits qui sévissent un peu partout en Afrique, il doit aussi porter la voix de l’Afrique au sein des instances internationales et surtout pousser à ce que le continent puisse enfin obtenir au moins un siège permanent au sein du Conseil de sécurité de l’ONU, comme c’est le cas actuellement au niveau du G20 où l’UA est représentée.

Mais la tâche de João Lourenço ne sera pas facile dans un environnement international devenu plus complexe et difficile à cerner avec l’arrivée à la Maison Blanche de Donald Trump. De plus, la multiplication des conflits et de l’insécurité qui sévit au niveau du continent ne va pas lui rendre la tâche facile alors qu’il peine à arrêter les hostilités entre le Rwanda et la RDC.

Ces guerres et conflits qui paralysent le continent

La 38ème session ordinaire des chefs d’État et de gouvernement de l’UA se penchera sur les conflits et le terrorisme qui coûtent environ 18 milliards de dollars par an au continent et entrainent le déplacement de millions de réfugiés, selon le président kenyan William Ruto. Ce dernier a expliqué, qu’entre avril et juin 2024, quelque 1000 attaques terroristes ont été enregistrées soit une moyenne de plus de onze attaques par jour causant les déplacement en interne de 35 millions de personnes.

Ces conflits inquiètent d’autant plus que certains d’entre ont tendance à se régionaliser. C’est le cas du conflit de l’Est de la RDC où le M23, mouvement rebelle soutenu par le Rwanda, vient de s’emparer la ville de Goma.

D’ailleurs, en marge du sommet de l’UA, le Conseil paix et sécurité, au niveau des chefs d’État, se réunira deux fois le 15 février pour évoquer la situation dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC) et la guerre civile au Soudan.

Partant, trouver des solutions à ces problèmes reste un enjeu majeur pour le nouveau président de l’UA, déjà très impliqué dans la recherche d’une solution à la crise qui oppose la RDC et le Rwanda.

La situation risque d’être ardue sachant que dans ces zones de conflits, la présence des casques bleus et des unités des pays africains reste tributaire des financements extérieurs. Et l’arrivée de Trump risque non seulement de se traduire par une baisse des interventions de l’ONU au niveau du continent, mais aussi et surtout un tarissement des soutiens financiers américains. D’où la nécessité d’accélérer les réformes de l’Union africaine, notamment en lui assurant une certaine indépendance vis-à-vis des financements extérieurs.

Reforme de l’UA: une urgence dans un contexte de changement géopolitique

La réforme de l’Union africaine tarde à se concrétiser. Il urge aujourd’hui d’accélérer les réformes engagées en 2016 afin de mieux répondre aux besoins du continent et de rétablir l’architecture de paix et de sécurité dans la région. Ces réformes doivent contribuer à renforcer l’UA et garantir que le continent dispose d’un cadre commun solide pour relever efficacement les défis complexes du monde actuel.

Après Paul Kagame, président du Rwanda, la tâche de la réforme de l’UA est revenu au président kenyan Wiliam Ruto qui a fait part de son intention de faire en sorte que l’instance africaine ait son autonomie financière. Il faut souligner que plus de 85% du budget de programme de l’UA provient des partenaires extérieurs tels que l’Union européenne.

Mais les réformes sont contrariées par la résistance au changement de certains États. Une fois installé dans ses nouvelles responsabilités, le président de l’UA devra conjuguer ses efforts avec le président kenyan afin que tous les pays puissent accepter les réformes qui sont nécessaires pour une meilleure efficience de l’UA.

Par Moussa Diop
Le 11/02/2025 à 16h38