Madagascar: l’ombre française ravive la colère contre l’ex-colonisateur

Un manifestant tient une banderole critiquant le président français Emmanuel Macron alors que les habitants se rassemblent pour un rassemblement de la société civile exigeant la démission du président malgache Andry Rajoelina à Antananarivo, le 14 octobre 2025.. AFP or licensors

Le 16/10/2025 à 07h57

«Dégage la France», «Dégage Rajoelina et Macron»: les pancartes anti-françaises ont fleuri ces derniers jours dans les rues de la capitale malgache Antananarivo. L’ombre de la main de Paris dans l’exfiltration du président Andry Rajoelina a ravivé une colère vivace contre l’ex-puissance coloniale.

Les Français «nous colonisent encore, alors que nous sommes censés être indépendants», s’insurge Koloina Andrianina Rakotomavonirina, ingénieure de 26 ans qui manifestait à Antananarivo.

Pour elle comme pour de nombreux autres jeunes autres Malgaches, la fuite du président Andry Rajoelina dimanche dernier à bord d’un avion militaire français, d’après la radio française RFI, ne passe pas.

«C’est injuste qu’ils interviennent dans une affaire pareille», dit-elle.

On ignore toujours où se trouve le président Rajoelina, que plusieurs sources disent réfugié à Dubai après avoir fui son pays en proie aux manifestations contre le pouvoir depuis plusieurs semaines. L’Assemblée nationale l’a destitué mardi, ouvrant la voie à une nouvelle ère de régime militaire.

«Nous ne voulons pas d’un président français pour Madagascar», disait une autre pancarte des manifestants, peut-être en référence à la nationalité française de M. Rajoelina qui a irrité le pays depuis sa révélation en 2023.

Cette perception négative n’est pas surprenante, souligne Christiane Rafidinarivo, politologue et chercheuse associée au centre de recherches politiques Cevipof à Paris. Dans la «perception malgache», souligne-t-elle, «la France, c’est la colonialité».

Et la colonisation de cette île de l’océan Indien, achevée avec l’indépendance en 1960, est empreinte de nombreuses exactions, dont la répression dans le sang par l’armée française de l’insurrection de 1947, au prix de dizaines de milliers de vies.

«Cette perception court dans l’opinion publique et s’active en fonction de l’actualité», analyse Mme Rafidinarivo.

«Marchandage entre Français»

Interrogé sur l’exfiltration d’Andry Rajoelina, le président français Emmanuel Macron n’a pas confirmé, exprimant juste sa «grande préoccupation» à propos de la situation dans l’île.

Juste avant de disparaître, Andry Rajoelina a accordé des grâces présidentielles à un Franco-Malgache, Paul Maillot, emprisonné depuis 2021 pour coup d’Etat, et à un ancien colonel de l’armée de terre, Philippe François, condamné dans la même affaire et transféré depuis en France.

Un marchandage «entre Français», accusent beaucoup dans la rue.

Andry Rajoelina était arrivé au pouvoir en 2009, installé par les militaires après un mouvement de contestation qui a précipité le départ du président Marc Ravalomanana. Ce dernier, qui avait notamment renforcé les liens entre l’île et les Etats-Unis, a après son éviction accusé la France d’avoir soutenu M. Rajoelina dans le but de «coloniser à nouveau» Madagascar.

En 2011, Andry Rajoelina, alors président de transition dépourvu de reconnaissance internationale, a effectué une visite officielle en France, où il est reçu par le président Nicolas Sarkozy.

«Les gens n’ont pas pardonné à la France» d’avoir donné à Andry Rajoelina «une forme de légitimité», estime Adrien Ratsimbaharison. «Ils soupçonnaient aussi Sarkozy d’avoir aidé financièrement Rajoelina (...) pour renverser Ravalomanana.»

Les critiques se sont exacerbées depuis la révélation de la nationalité française de Rajoelina, obtenue en 2014 selon le Journal officiel français. Naturalisation assurent ses opposants, réintégration affirme l’intéressé, qui dit l’avoir obtenue via son père.

«Le sentiment anti-français a repris depuis l’élection de 2023 car l’opposition l’a accusé d’être un agent de la France», observe Adrien Ratsimbaharison, auteur d’un livre sur la crise politique de 2009.

Sur la Grande Ile, entre d’innombrables rumeurs, de fausses informations ont aussi circulé à propos du déploiement en renfort de gendarmes français pour réprimer les manifestations.

«Marre d’être insulté»

Si le sentiment anti-français est aussi fertile, c’est qu’en plus de gros contrats, comme le téléphérique d’Antananarivo ou l’autoroute, qui sont revenus à des acteurs économiques de l’Hexagone, les interactions avec les Français ne prêtent pas toujours à la sympathie.

Aux nombreux seniors français visitant Madagascar pour le tourisme sexuel, dont Madagascar est un haut lieu réputé, s’ajoute le travail pénible dans les centres d’appel de sociétés françaises implantés à la faveur de la création de zones franches, et qui représentent des milliers d’emplois.

L’île a l’avantage de combiner un grand nombre de francophones avec un coût de main d’œuvre minimal: le contrat type étant rémunéré environ 800.000 ariary par mois, soit environ 150 euros.

Rencontré dans une manifestation, Mampionona Razafinjoelina, 27 ans, explique être au chômage après avoir démissionné de son job dans un centre d’appel. «J’en avais marre d’être insulté par des Français», dit-il.

Autrefois puissance coloniale majeure en Afrique, la France a vu ces dernières années plusieurs de ses anciennes colonies d’Afrique s’éloigner, voire lui tourner le dos, notamment à l’ouest après des coups d’Etat militaires, au Niger, au Mali et au Burkina Faso.

En avril, le président Macron avait effectué une visite à Madagascar et déclaré vouloir créer les «conditions» du «pardon» pour la colonisation française de l’île, en restituant des restes humains emblématiques de ces «pages sanglantes et tragiques» et en engageant un «travail» commun d’historiens.

Début septembre, Andry Rajoelina accueillait lors d’une cérémonie à Antananarivo trois crânes de victimes d’exactions coloniales restitués par la France à Madagascar. Moins d’un mois plus tard, le mouvement de contestation menée par les jeunes de la «Génération Z» débutait.

Par Le360 Afrique (avec AFP)
Le 16/10/2025 à 07h57