Sur une dizaine de coups d’Etat enregistrés en Afrique depuis 2020, huit ont réussi. Le point commun entre ces putschs est qu’il n’y a pas eu, ou presque, d’effusion de sang. Les présidents, souvent «élus démocratiquement», sont déposés avec une facilité déconcertante par des militaires, parfois sans qu’un seul coup de feu ne soit tiré.
Une fois le président déchu, la communauté internationale multiplie les condamnations dont les teneurs varient selon les relations et les intérêts de tout un chacun avant que la situation ne rentre dans l’ordre. Cette situation fait qu’aujourd’hui, de la Guinée au Soudan, en passant par le Burkina Faso, le Mali, le Niger et le Tchad, ce sont des hommes en kaki qui sont au pouvoir.
Mais pourquoi ces coups d’Etat se déroulent-ils avec tant de facilité alors que les présidents africains ont tendance à tout miser sur leur propre sécurité, au détriment même du reste de l’armée nationale? Ces chefs d’Etat s’entourent d’une garde présidentielle composée souvent de l’élite d’une armée bien entraînée. Certains n’hésitent pas même à recourir aux services étrangers.
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Les scénarios des putschistes sont devenus classiques. Des militaires prennent le président en place en otage, s’emparent de la radio et de la télévision nationales pour annoncer leur forfait, avant d’inviter les chefs des autres corps de l’armée à se rallier à eux pour former un organe composé uniquement d’officiers supérieurs qui prend, selon le pays, divers noms: Comité national pour le salut du peuple (CNSP) au Mali, Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration (MPSR) au Burkina Faso, Comité national du rassemblement pour le développement (CNRD) en Guinée, Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP) au Niger, Comité pour la transition et la restauration des institutions (CTRI) au Gabon…
Le tout suivi d’une annonce d’une période de transition politique durant laquelle une nouvelle Constitution est mise en place avec la promesse de nouvelles élections démocratiques et transparentes auxquelles peuvent prendre part les putschistes eux-mêmes en troquant leur kaki contre un costume. Le tour est joué et les militaires restent au pouvoir.
Reste à savoir pourquoi ces putschs se sont déroulés sans effusion de sang. Plusieurs facteurs expliquent les facilités qu’ont les militaires en Afrique à déposer sans dégâts des chefs d’Etat «démocratiquement élus».
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En premier lieu, si les coups d’Etat se déroulent sans pertes humaines, c’est parce qu’ils ont été menés en grande partie par la garde présidentielle, celle-là même en charge de la sécurité du président. A la tête de soldats bien formés, fidèles et bien équipés, les chefs des gardes présidentielles n’ont aucun problème à déposer les présidents sans coup de feu. Ce fut le cas au Niger et au Gabon, pays où les généraux Abdourahamane Tiani et Brice Oligui Nguéma étaient respectivement responsables des gardes présidentielles de Mohamed Bazoum et Ali Bongo.
Une fois le président maîtrisé, les autres corps d’armée, conscients de la puissance de feu de la garde présidentielle, rallient rapidement le nouveau chef pour éviter un bain de sang et surtout une issue incertaine. C’est ce qui s’est passé au Niger, au Gabon, ou encore en Guinée, où Mamady Doumbouya a été chargé en 2018 par Alpha Condé de mettre en place une unité des forces spéciales pour protéger le régime.
Doumbouya était l’un des chefs militaires de confiance de l’ancien président guinéen. A la tête de cette unité d’élite, l’officier n’a pas hésité à s’emparer du pouvoir par la force lorsqu’il s’est senti menacé à la suite d’un différend avec le président Condé. A la différence du Niger et du Gabon, il y a eu en Guinée des échanges de coups de feu lors du putsch. Toutefois, les hommes de Doumbouya, étant mieux entraînés et mieux équipés, n’ont fait qu’une bouchée des soldats en charge de la protection de Condé.
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Ces putschs, qui ressemblent à des révolutions de palais, ne sont pas sans rappeler le coup d’Etat perpétré en Mauritanie en août 2008 par Mohamed ould Abdel Aziz contre le premier président démocratiquement élu du pays feu Sidi ould Cheikh Abdallahi, après seulement 13 mois au pouvoir. Ould Abdel Aziz, qui était son chef d’Etat-major particulier et responsable du Bataillon de sécurité présidentielle (Basep), autrement dit la garde présidentielle, a déposé facilement le président élu suite à son limogeage par celui-ci, marquant le retour des militaires au pouvoir en Mauritanie.
Au lendemain des putschs au Niger et au Gabon, les présidents Paul Biya du Cameroun et Umaro Sissoco Embalo de la Guinée-Bissau ont procédé à des changements au sein de leurs organes de défense. Le second a changé sa garde rapprochée en nommant le major général Tomas Djassi au poste de chef de la sécurité présidentielle et le major général Horta Inta chef d’état-major particulier à la présidence.
Ensuite, les militaires qui réussissent à renverser aisément les présidents en Afrique bénéficient aussi souvent des crises politiques nées surtout du non-respect des règles démocratiques, notamment des Constitutions, et de l’insécurité à laquelle font face certains régimes.
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Ces situations ont contribué à rendre ces systèmes impopulaires. C’est le cas du Mali sous Ibrahim Boubakar Keïta, dont les derniers jours au pouvoir ont été perturbés par de nombreuses manifestations populaires contre sa politique. L’insécurité, la corruption et le népotisme régnaient dans le pays. Conséquence: les résultats contestés des législatives avaient empêché la formation d’un nouveau gouvernement et les manifestations massives du Mouvement du 5 juin et le Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP) réclamaient la démission du chef de l’Etat.
D’ailleurs, après leur forfait, les militaires ont inscrit leur coup d’Etat dans le sillage des manifestations populaires. En conséquence de quoi, le putsch a été salué par la population et par l’une des figures de cette contestation, l’influent Imam Dicko.
C’est aussi un peu le cas au Burkina Faso où l’insécurité gagne du terrain. Despotisme et insécurité font que les putschistes passent pour des sauveurs auprès des populations de presque tous les pays africains.
C’est à cause de leur amour immodéré pour le pouvoir que ces présidents sont devenus aussi impopulaires. C’est d’autant plus vrai qu’ils recourent souvent aux réformes constitutionnelles et aux tripatouillages des élections pour perdurer au sommet de l’Etat. Ainsi, nombre de chefs d’Etat du continent ont modifié les Constitutions de leurs pays afin de pouvoir s’éterniser au pouvoir. Dans ces conditions, seuls les coups d’Etat peuvent constituer l’alternance au pouvoir tant souhaitée.
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Le cas du Gabon illustre cette situation. Après 14 ans de pouvoir d’Ali Bongo, précédés par 40 ans de règne sans partage de son père Omar, les Gabonais aspiraient au changement. Nombre d’observateurs craignaient des troubles après le scrutin présidentiel à l’issue duquel l’opposition réclamait la victoire, comme, d’ailleurs, lors de la précédente élection de 2016.
Cette impopularité de nombreux dirigeants africains, le népotisme, le manque de transparence lors des élections, la corruption des élites, l’enrichissement des dirigeants et leurs familles sont autant de facteurs qui font que presque tous les coups d’Etat sont salués par les populations africaines, notamment les jeunes, qui souhaitent des ruptures avec les régimes à la solde d’anciennes puissances coloniales.
Du coup, hormis le Niger où des pro-Bazoum ont manifesté contre le coup d’Etat, dans les autres pays, les putschs ont été salués par des manifestations de joie des populations, qui les entrevoient comme des délivrances.
Enfin, il y a aussi l’impact des évolutions géopolitiques dans la région et le développement du ressentiment anti-français de la jeunesse africaine, sur lequel surfent les militaires putschistes. Une situation qui fait qu’aujourd’hui, l’ancienne puissance coloniale n’intervient plus pour défendre le régime en place via l’usage de la force. Partant, les militaires qui prennent le pouvoir n’ont aucune crainte quant à une éventuelle intervention étrangère.
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En outre, à cause des tensions géopolitiques, les pays occidentaux essayent de modérer leurs condamnations afin de conserver leurs intérêts, sachant que toute prise de position radicale pourrait se retourner contre eux et faire le lit de la Russie. Le cas du Niger, où le soutien de la France au président déchu est en train de lui coûter cher, sert de leçon aux autres pays occidentaux, y compris les Etats-Unis, qui préfèrent édulcorer leurs condamnations du putsch.
Désormais, on attend de voir ce que les régimes de transition vont produire comme dirigeants et systèmes politiques pour savoir si ces coups d’Etat ont été salutaires, ou non, aux pays africains.