En 1963, le grand-père maternel de Sidi ould Tah, Mohamed Salem ould Mkhaïtirat, qui fut ministre des Finances, de l’Intérieur et de la Pêche dans le premier gouvernement mauritanien postindépendance, était l’un des deux représentants de la délégation mauritanienne lors de la création de la Banque africaine de développement (BAD) à Khartoum, au Soudan. Un peu plus d’un demi-siècle plus tard, son petit-fils prend les commandes de l’institution panafricaine.
Ancien ministre mauritanien de l’Economie (2008-2015), Sidi Ould Tah, a été élu jeudi président de la Banque africaine de développement (BAD) avec 76,18% des voix au troisième tour du scrutin, devant le Zambien Samuel Munzele Maimbo qui a recueilli 20,26% et Amadou Hott du Sénégal (3,55%), selon les résultats officiels.
Les résultats du 1er tour de l'élection du président de la Banque africaine de développement (BAD).. DR
Il a été plébiscité par le vote des membres régionaux, pays africains, pour lequel il a obtenu 72,37% des voix, au 3e tour, illustrant une volonté claire de ces pays de reprendre la main sur la gouvernance de l’institution panafricaine.
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Sidi ould Tah est né le 31 décembre à Mederdra, dans la région du Trarza, au sud de la Mauritanie, à 55 km de la frontière avec le Sénégal, une ville fondée par l’administration coloniale française en 1907.
Issu d’une famille maraboutique et d’intellectuels francophones, il a rapidement intégré l’école française et fut un féru de lecture des classiques français (Baudelaire, Voltaire, Montesquieu…). Il obtient son baccalauréat en Lettres et intègre par la suite l’Université de Nouakchott en optant pour les sciences économiques. Après l’obtention d’une maitrise en science économique, il part en France pour y poursuivre ses études supérieures, sanctionnées par un DEA en économie de l’Université Paris VII et d’un doctorat en sciences économiques de l’Université de Nice Sophia Antipolis. Il a complété sa formation à l’Université Harvard, à la London Business School et à l’Institut suisse de Finance.
Polyglotte, Sidi ould Tah parle couramment le français, l’anglais et l’arabe, avec une maitrise professionnelle du portugais et de l’espagnol. Un atout qui porte dans un continent multiculturel dont il était le seul à se prévaloir parmi les 5 candidats.
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Après le doctorat il retourne en Mauritanie et démarre sa carrière à la Banque mauritanienne pour le développement et le commerce (BMDC). Par la suite il occupera plusieurs postes de responsabilités, dont celui de conseiller à la présidence (2006-2008), ministre des Affaires économique et du développement (juillet 2008- mai 2015).
En 2015, il est élu président de la Banque arabe pour le développement économique en Afrique (Badea). Il y restera jusqu’à l’annonce de sa candidature à la présidence de la Banque africaine de développement (BAD).
Dernier candidat à s’être déclaré, Sidi ould Tah a mis l’accent sur ces 10 ans passés à la tête de la Badea. Une décennie durant laquelle il a rencontré de nombreux chefs d’Etat africains, dont les pays bénéficient des concours financiers de l’institution multilatérale.
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Son succès à la tête de la Badea a beaucoup joué en faveur de sa candidature. «J’ai prouvé mon style de leadership transformateur qui a élevé la banque au rang d’acteur de premier plan dans le paysage du développement africain», soulignait-il dans sa déclaration de candidature à la BAD. Il faut reconnaitre qu’il a transformé la Badea d’une institution inconnue des agences de notation à une des institution de développement la mieux notée du continent après la BAD. D’ailleurs, il explique clairement son ambition pour la BAD en soulignant qu’il n’est pas «pas candidat à un poste, mais pour aider l’Afrique à se fédérer autour de cet outil qu’est la BAD, afin d’obtenir plus de résultats, de changer les réalités du déficit de financement, et de relever le défi du chômage». Mieux, il compte «contribuer à la transformation structurelle du continent», assure-t-il dans son programme électoral.
Il est considéré comme un leader discret, très posé, un homme d’action qui livre de vrais résultats sur le long terme, beaucoup le considérant comme celui à même d’incarner une vision transformatrice de la BAD.
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En ce qui concerne son programme, celui-ci s’appuie sur ces points fondamentaux: le renforcement des institutions financières régionales, l’affirmation de l’indépendance financière de l’Afrique sur les marchés mondiaux, l’utilisation de la dynamique démographique comme levier de développement, la construction d’infrastructures résilientes face au changement climatique, l’intégration régionale et le soutien au secteur privé.
Le nouveau président élu de la BAD, qui prendra ses fonctions le 1er septembre 2025, pour un mandat de 5 ans, doit concrétiser ses promesses dans un environnement complexe et difficile. Il doit faire face à d’importants défis et enjeux. D’abord, il y a la recapitalisation de la BAD pour faire face à l’augmentation des demandes de financement dans un contexte de baisse des aides publiques et d’arrêt de l’aide américaine aux pays africains. A ce titre, la recapitalisation du Fonds africain de développement (FAD) sera une priorité après le retrait américain. Ensuite, il doit s’atteler à transformer l’institution panafricaine, notamment en ce qui concerne la gouvernance de l’institution. Par ailleurs, il doit aussi faire en sorte que les financements de la BAD puissent produire leurs effets dans un continent où les déficits sont criants, contribuer à accélérer la mise en place de la Zlecaf…
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Il est particulièrement attendu sur la recapitalisation de la banque pour faire face à l’augmentation des besoins de financement des pays africains dans un contexte de baisse de l’aide publique au développement. Sur ce point, son expérience à la Badéa a été plus que concluante en une décennie, il a fait passer le capital de celle-ci de 5 à 20 milliards de dollars. Il a aussi multiplié par 12 le volume annuel des approbations et par 8 celui des décaissements, tout en améliorant la qualité du portefeuille de la banque en faisant passer le taux des créances douteuses de 10% en 2015 à seulement 0,4% en 2025.
Pour augmenter le capital de la BAD et faire face au désengagement américain -les Etats-Unis ayant suspendu leur aide au FAD-, Sidi ould Tah compte attirer d’autres acteurs financiers, notamment ceux du Golfe qui sont très faiblement présents dans le tour de table de la banque.
Ce sont ses résultats à la tête de la Badea, son engagement durant la décennie à la tête de cette institution en faveur des pays du continent et son programme qui lui ont valu, en grande partie, le plébiscite des actionnaires régionaux de la BAD. A cela il faut ajouter le soutien diplomatique des hautes autorités mauritaniennes grâce à l’implication du président Mohamed Cheikh el Ghazouani et une campagne réussie.
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Enfin, Sidi ould Tah est titulaire de reconnaissance pour ses contributions au développement économique et à l’intégration régionale. Il a été décoré par plusieurs chefs d’Etat africains: Grand officier dans l’ordre national du Burkina Faso, Grand Officier dans l’Ordre national du Niger, Officier de l’Ordre National du Lion du Sénégal…
En attendant qu’il prenne fonction, c’est le Nigérian Akinwumi Adesina qui va gérer l’institution jusqu’à la fin de son second mandant qui s’achève le 31 août prochain.