Sénégal: la loi sur les lanceurs d’alerte, outil de transparence ou arme politique?

Dakar, la capotale du Sénégal.

Le 02/09/2025 à 11h53

VidéoLe 26 août 2025, l’Assemblée nationale a adopté une loi inédite. Pour la première fois en Afrique subsaharienne francophone, un texte protège officiellement les lanceurs d’alerte. Une avancée présentée comme un outil de lutte contre la corruption et un signal fort pour la démocratie. Mais, si l’espoir est bien là, les inquiétudes demeurent.

Abdallah Sow, entrepreneur, pense que cette loi est conçue pour protéger le pays contre les velléités de corruption «tout le monde sait que la corruption existe depuis de longues années au Sénégal. C’est devenu un phénomène chronique, présent dans presque tous les secteurs d’activité. Donc, cette loi qui vise à protéger les lanceurs d’alerte, à renforcer la transparence et à lutter contre la corruption, c’est une très bonne initiative», explique-t-il.

Quant à l’artiste Demba Ka, il s’interroge «je pense que cette loi aurait été pertinente si Sérigne Bassirou Guèye était encore à la tête de l’Office National de lutte contre la Fraude et Corruption (OFNAC). Parce que nous étions certains qu’avec lui, aucun membre du parti au pouvoir n’aurait été protégé. Mais si on enlève Sérigne Bassirou Guèye pour le remplacer par une personne proche du pouvoir, et qu’on adopte une loi sur les lanceurs d’alerte… alors, si je dénonce un responsable politique, et que celui qui est à la tête de l’OFNAC est pro-PASTEF, est-ce qu’il y aura vraiment des poursuites?», s’interroge-t-il.

Malgré ces appréhensions, la loi prévoit que les signalements se feront par des canaux internes aux administrations ou externes auprès des autorités compétentes. Elle introduit aussi une récompense financière pouvant aller jusqu’à 10% des fonds détournés récupérés.

Mais certains citoyens continuent de questionner la hiérarchie des priorités. Abdallah Sow poursuit: «Parfois, quelqu’un peut être victime de corruption et chercher à rassembler des preuves pour dénoncer son corrupteur. Mais souvent, tout se retourne contre lui: il risque d’être poursuivi pour diffamation ou pour diffusion de fausses nouvelles, au point qu’on oublie complètement le problème qu’il voulait dénoncer

Demba Ka ajoute: «La jeunesse continue de perdre sa vie en tentant de rejoindre l’Europe par les pirogues. L’État devrait d’abord trouver des solutions à ce phénomène. L’Assemblée nationale, au lieu de voter ce genre de lois, devrait se concentrer sur celles qui concernent directement la jeunesse, le coût de la vie, et les vrais problèmes du quotidien».

Ousmane Dia conclut: «Pour moi, cette loi a certes son importance, mais la vraie question, c’est de savoir si c’est une priorité. Est-ce que la loi sur l’homosexualité n’était pas plus urgente? Est-ce que d’autres lois, qui auraient un impact réel sur la vie des populations, n’auraient pas été plus utiles que celle-ci?»

Une avancée saluée à l’international, notamment par la Plateforme de protection des lanceurs d’alerte en Afrique, qui parle d’un «moment historique pour la démocratie sénégalaise et pour tout le continent». Mais sur le terrain, entre attentes et scepticisme, une question demeure: cette loi sera-t-elle une véritable arme contre la corruption… ou une promesse de plus?

Par Moustapha Cissé (Dakar, correspondance)
Le 02/09/2025 à 11h53