L’instance électorale, Isie, a annoncé une liste de candidats « définitive et non sujette à un quelconque recours » qui inclut, outre M. Saied, 66 ans, en lice pour un deuxième mandat, Zouhair Maghzaoui, 59 ans, un ancien député de la gauche panarabe, et Ayachi Zammel, 43 ans, un industriel peu connu, chef d’un petit parti libéral.
«Le Tribunal administratif n’a pas communiqué officiellement ses décisions (à l’Isie) dans le délai de 48 heures comme le prévoit la loi», a annoncé le chef de l’Isie, Farouk Bouasker, en direct à la télévision nationale, pour justifier le rejet de trois autres candidatures.
A la surprise générale, la semaine passée, le Tribunal administratif avait décidé la réadmission de trois postulants considérés comme ayant des chances de l’emporter face à M. Saied: Abdellatif Mekki, un ancien dirigeant du mouvement islamo-conservateur Ennadha, Mondher Zenaïdi, un ancien ministre du régime Ben Ali, et Imed Daïmi, un conseiller de l’ex président Moncef Marzouki, également proche d’Ennahdha.
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«Cela renforce l’impression d’élections verrouillées. Saied a un boulevard devant lui. Et la décision de l’Isie prouve qu’il n’y a plus d’Etat de droit», a indiqué à l’AFP le politologue Hatem Nafti, pour lequel « les candidats qui pouvaient gêner Saïed viennent d’être écartés».
Pour Isabelle Werenfels, politologue à l’institut allemand SWP, «on peut dire que l’Isie a pratiquement décidé de l’issue du scrutin». Et «ce qui s’est passé récemment montre que l’administration ou une partie de la justice sous influence du président (Saied) vont faire obstacle aux campagnes de ses deux concurrents», MM. Maghzaoui et Zammel, a indiqué l’experte à l’AFP.
M. Zammel a été interpellé lundi à l’aube pour des soupçons de faux parrainages dans son dossier de candidature, selon un membre de son équipe de campagne.
M. Saied, élu démocratiquement en 2019, est accusé de dérive autoritaire depuis un coup de force le 25 juillet 2021 lors duquel il s’est octroyé les pleins pouvoirs, avant de réformer la Constitution l’année suivante pour instaurer un régime ultra-présidentialiste.
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Ses détracteurs lui reprochent aussi d’avoir mis sous tutelle les institutions de contrepouvoir créées après la chute du dictateur Zine El Abidine Ben Ali en 2011 et l’avènement de la démocratie en Tunisie.
Face à M. Saied, on a «un candidat de l’intérieur du régime (Maghzaoui, qui avait soutenu le processus du 25 juillet) et un autre en prison depuis ce matin», a ajouté M. Nafti.
Pour Isabelle Werenfels, la réadmission inattendue de candidats par le Tribunal administratif reflète des «frictions au sein des élites entre pro et anti Saied, ce qui pourrait être positif pour ce qu’il reste de démocratie en Tunisie». Mais ces tensions pourraient être « problématiques, voire dangereuses car si le président se sent contesté, il pourrait devenir encore plus autoritaire », selon l’experte.
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Samedi, 26 ONG tunisiennes et internationales et près de 200 personnalités parmi lesquelles de nombreux juristes avaient appelé l’Isie à respecter les décisions du Tribunal administratif, en soulignant qu’elles étaient «exécutoires et ne pouvaient être contestées».
Leur pétition signée notamment par Legal Agenda et la Ligue tunisienne des droits de l’homme exhortait l’Isie à «éviter toute pratique pouvant porter atteinte à la transparence et à l’intégrité du processus électoral».
Rim Mahjoub, un responsable du parti social-libéral Afek Tounes, qui participait lundi à une manifestation d’une cinquantaine de personnes devant l’Isie, a jugé «regrettable» qu’une «institution de l’Etat ne respecte pas les décisions du Tribunal administratif». «Quel message cela envoie (l’Isie) au citoyen ordinaire?».
Pour Houssem Hami, coordinateur de la coalition de citoyens Soumoud (centre-gauche), avec les trois candidats retenus, «l’élection deviendra une pure formalité».
La sélection initiale des prétendants avait été très critiquée, experts et candidats déplorant la difficulté de réunir les parrainages nécessaires ou des entraves administratives. L’ONG Human Rights Watch avait aussi dénoncé l’emprisonnement ou des poursuites contre «au moins huit candidats», empêchés de facto de candidater.