Le régime tunisien durcit la répression à l’égard des opposants. Les arrestations se sont multipliées au cours de ces dernières semaines, touchant aussi bien les personnalités politiques et médiatiques que les acteurs de la société civile. Certains d’entre eux ont surtout un point commun, celui d’avoir rencontré des diplomates occidentaux et échanger avec eux sur la situation du pays.
Les coïncidences entre les arrestations et les rencontres de certaines de ses personnalités avec des diplomates occidentaux accrédités en Tunisie avaient suscité quelques suspicions. Mais, afin d’éviter tout grief avec certains partenaires occidentaux et inquiet de la tournure que pourraient prendre ces accusations, le gouvernement tunisien, par la voix de son ministre des Affaires étrangères, Nabil Ammar, a expliqué que «le fait de rencontrer un diplomate étranger en Tunisie n’est absolument pas un délit». Une manière de calmer les partenaires occidentaux, qui ne comprennent pas ces accusations gravissimes.
Pour autant, le régime tunisien n’a jamais cessé d’appeler les diplomates étrangers «à ne pas s’immiscer dans les affaires intérieures» de la Tunisie. Et personne n’était dupe des raisons à l’origine de l’arrestation de certains de ces opposants.
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La preuve vient d’être apportée par des fuites des enquêtes effectuées par les autorités. Monde Afrique , citant «les premiers éléments de l’enquête», souligne que les opposants arrêtés «sont soupçonnés d’avoir noué des contacts avec des diplomates dans l’intention présumée de porter “atteinte à la sûreté extérieure de l’Etat”». En clair, le contact entre les opposants tunisiens, ou ceux catalogués comme tels, et des diplomates occidentaux est désormais criminalisé.
Une vingtaine de personnes ont été ainsi officiellement mises en examen avec des accusations gravissimes, comme le terrorisme, le blanchiment d’argent, l’offense au président Kaïs Saied, les atteintes à la sûreté intérieure et extérieure de l’Etat… Pourtant, leur seul crime est d’avoir rencontré en Tunisie des diplomates étrangers. Et selon les accusations portées à leur encontre, ces personnalités encourent des peines pouvant aller jusqu’à la peine capitale.
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Parmi elles, cite Monde Afrique, figurent le militant pro démocratie Khayam Turki, fondateur du cercle de réflexion Joussour, qui militait pour fédérer une opposition tunisienne éclatée, l’homme d’affaires et lobbyiste Kamel Eltaïef, Abdelhamid Jelassi, ancien dirigeant du parti islamo-conservateur Ennahdha, ou encore Noureddine Boutar, directeur de la station de radio privée Mosaïque.
Si tout a été fait pour que ces arrestations ressemblent à la découverte d’un complot, comme les autorités ont voulu le faire croire aux Tunisiens, il semble qu’il n’en est rien. Ces personnalités ont en commun le fait d’avoir rencontré des diplomates occidentaux, notamment américains, français, italiens… D’après le média, les fuites des procès-verbaux d’interrogatoires font ressortir des questions qui tournent essentiellement autour des rencontres avec les chancelleries occidentales.
Il s’agit de questions du genre: «Êtes-vous déjà allé dans une ambassade?», «avez-vous organisé des réunions avec des diplomates?», «qui vous a autorisé à rencontrer des représentants de pays étrangers alors que vous n’avez aucun statut officiel?», etc.
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Et pour montrer que ces personnalités sont épiées par les services, elles sont confondues avec des preuves comme des conversations via des applications de messageries ou encore des cartes de visite retrouvées chez elles lors des perquisitions. A cause de ces rencontres, certaines personnalités proches de l’opposition risquent gros. Khayam Turki, particulièrement, est même accusé de connivence avec des militaires américains.
Les accusations d’atteinte à la sûreté de l’Etat sont bien évidemment réfutées par les personnes incriminées et leurs avocats. «Rien dans la loi n’interdit aux diplomates d’entrer en contact avec des personnalités politiques, c’est d’ailleurs au cœur du travail diplomatique», affirme l’avocat Ayachi Hammami.
Il faut dire que les diplomates concernés sont ceux de pays qui ont soutenu la Tunisie après la Révolution des jasmins, espérant que celle-ci allait s’ancrer durablement dans la démocratie. Seulement, aujourd’hui l’évolution de la situation politique et économique de la Tunisie inquiète. Avec Kaïs Saied, c’est un véritable recul démocratique qui s’est enclenché suite à la monopolisation de presque tous les pouvoirs entre ses mains.
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En les nouvelles arrestations, très suivies par les chancelleries occidentales, ne vont pas arranger la situation du régime, dont les échecs suscitent des craintes d’effondrement du pays de la part des Occidentaux. Ainsi, après le chef de la diplomatie européenne Josep Borell, c’est au tour du secrétaire d’Etat américain Antony Blinken de s’inquiéter d’un éventuel effondrement du pays.
En conclusion, ces arrestations, et surtout ce nouveau chef d’accusation, relance les inquiétudes sur une dérive autoritaire dans un contexte socio-économique de plus en plus dégradé et qui inquiète les partenaires occidentaux de la Tunisie.