Le texte, censé remplacer un décret-loi adopté en 2011 ayant permis l’émergence de 25.000 associations, dont beaucoup ont contribué à la transition vers la démocratie après la révolution et la chute du dictateur Zine El Abidine Ben Ali, est en cours d’examen au Parlement.
Ses promoteurs, encouragés par le président Kais Saied qui soupçonne le monde associatif de servir l’agenda de «puissances étrangères», assurent vouloir lutter contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme.
Le projet place les ONG tunisiennes et étrangères «sous le contrôle et la supervision» des ministères de l’Intérieur et des Affaires étrangères. La création d’une association et l’obtention d’aides extérieures seront soumises à des autorisations préalables.
Plusieurs ONG internationales ont dénoncé une «régression croissante des droits» en Tunisie depuis le coup de force de M. Saied à l’été 2021 par lequel il s’est octroyé les pleins pouvoirs.
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Amnesty International a critiqué le «caractère discrétionnaire donné au gouvernement pour autoriser ou refuser des financements» aux associations, qui «pourrait constituer une restriction disproportionnée de la liberté d’association».
«On est vigilants par rapport à ce qui va se passer», notamment pour les autorisations préalables aux subventions étrangères, confie à l’AFP Mehdi Baccouche, directeur de l’association Shanti, qui dépend à «90-95% de financements internationaux».
Il parlait dans la cour de L’Artisanerie, «boutique sociale et solidaire» gérée par son association à Tunis, au milieu d’une dizaine de stands montés samedi dernier pour «un marché gourmand».
Outre L’Artisanerie, où sont vendus à un prix équitable les productions (tapis, poteries, meubles, etc.) de 60 artisans tunisiens, Shanti emploie «22 salariés à temps plein» qui «accompagnent une centaine de projets» dans l’artisanat, l’agriculture et l’écotourisme.
«C’est important de préserver les libertés acquises pour les associations et de continuer à développer l’obtention de fonds nationaux ou internationaux», dit-il, se disant ouvert à une régulation mais «dans un dialogue permanent» avec les autorités.
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«Parce que le développement du secteur associatif, ça porte des milliers d’emplois et au-delà des milliers de personnes directement impactées» dans leur vie quotidienne, souligne-t-il.
C’est le cas de Zohra Zimoumi, 38 ans, mère de deux fillettes, qui fabrique des tapis et bijoux à Nefta (extrême sud) vendus à Tunis, ce qui lui permet «de recevoir un salaire mensuel régulier utilisé pour payer son loyer et assurer une vie décente à sa famille».
«Un acquis de la Révolution»
Pour Bassem Trifi de la Ligue tunisienne pour la défense des droits humains (LTDH), avec la nouvelle loi, «la Tunisie peut perdre sa société civile et tout le travail qu’elle a fait».
«En limitant les ressources financières de la société civile, on risque de perdre environ 30.000 emplois directs» et jusqu’à 100.000 emplois indirects, assure-t-il à l’AFP.
Or la Tunisie est entrée en récession économique fin 2023 et le taux de chômage dépasse les 16% (40% chez les jeunes). L’Etat, très endetté, n’a pas les moyens de soutenir le secteur associatif.
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Pour M. Trifi, «l’intention du projet de loi est de restreindre la société civile, son financement, son activité et de limiter son travail à certains domaines suggérés par l’autorité politique».
Une inquiétude partagée par le rapporteur de l’ONU sur la liberté d’association et de réunion, Clément Nyaletsossi Voule.
«Le décret de 2011 c’est un acquis de la Révolution qu’il faut préserver», a-t-il dit à l’AFP en marge d’une intervention récente en Tunisie.
Pour lui, le nouveau système prévu de «pré-autorisations (pour créer des associations, ndlr) donne des pouvoirs excessifs à l’autorité qui peut, selon son agenda, refuser une association».
La réglementation actuellement en vigueur qui autorise la création d’associations par simple notification permet déjà aux autorités «de contrôler l’agenda de l’organisation et déterminer s’il y a un risque pour la sécurité», argue-t-il.
La Tunisie s’est distinguée dans la région par l’émergence après 2011 d’une myriade d’associations touchant parfois des domaines sensibles comme la défense des LGBTQ+ ou la liberté de la presse avec la création de médias indépendants.
«Il faut que les autorités ouvrent des discussions avec la société civile», estime le rapporteur ONU, pointant «un problème d’absence de consultations» au sujet du projet de loi controversé.