Si plusieurs opposants, appartenant notamment au parti islamo-conservateur Ennahdha et ses alliés, ont été arrêtés ou interrogés ces derniers mois, un cap semble avoir été franchi avec l’arrestation ce weekend d’un très influent homme d’affaires, suivie lundi par celle du directeur de la plus grande radio privée de Tunisie, Mosaïque FM.
Ce coup de filet est survenu au moment où Saied poursuit l’édification de son système hyperprésidentialiste en faisant peu de cas du boycott massif de toutes les échéances électorales et consultatives censées jalonner ce processus.
Outre les divisions politiques, le pays est plongé dans de graves difficultés économiques marquées notamment par des pénuries récurrentes de produits alimentaires et une inflation qui a fait plonger le pouvoir d’achat des Tunisiens.
Le Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’Homme, Volker Türk, a dénoncé mardi «l’aggravation de la répression» en Tunisie après les dernières interpellations.
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Lors d’un point-presse à Genève, son porte-parole, Jeremy Laurence, a indiqué que Türk exprimait «sa préoccupation face à l’aggravation de la répression contre ceux qui sont perçus comme des opposants politiques et de la société civile en Tunisie, notamment par l’intermédiaire de mesures prises par les autorités qui continuent de saper l’indépendance du pouvoir judiciaire».
«Terroriser l’opposition»
Un chef d’Ennahdha, Noureddine Bhiri, le directeur de Mosaïque FM, la radio la plus écoutée en Tunisie, Noureddine Boutar, ainsi que l’ancien ministre Lazhar Akremi, ont été arrêtés lundi soir.
Plusieurs autres personnalités avaient été arrêtées samedi, notamment le très influent homme d’affaires Kamel Eltaïef, ex éminence grise du président déchu Zine el Abidine Ben Ali, l’activiste politique Khayam Turki, ainsi que deux anciens magistrats.
Homme de l’ombre mais très introduit dans les milieux politiques, Eltaïef, 68 ans, est vu par de nombreux Tunisiens comme l’un des symboles de la corruption dans le pays.
Les autorités n’ont fait aucune annonce concernant ces arrestations mais selon des médias locaux, les personnes arrêtées sont soupçonnées «de complot contre la sûreté de l’Etat».
Depuis le coup de force du président Saied qui a fait vaciller le démocratie née en 2011 de la première révolte du Printemps arabe, plusieurs hommes politiques font l’objet de poursuites dénoncées par l’opposition comme des règlements de comptes.
L’avocat Ghazi Chouchai, qui défend l’activiste Khyam Turki, a affirmé que les dernières arrestations «visent à détourner l’attention de l’opinion publique (des problèmes du pays) et à terroriser l’opposition».
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«Le président semble avoir une hantise sécuritaire. Le pays se trouve à un tournant et traverse une crise d’une extrême gravité», décrypte auprès de l’AFP l’analyste politique Abdellatif Hannachi.
«Ligne éditoriale»
Dans un communiqué, les personnels de Mosaïque FM ont exprimé leur «soutien inconditionnel» à leur directeur général. Ils ont exigé sa «libération immédiate» et condamné «les atteintes récurrentes portées à Mosaïque FM pour faire taire sa voix libre».
Selon le communiqué, «la garde à vue du directeur général est en lien avec la ligne éditoriale de la radio et n’a rien à voir avec l’affaire de complot contre la sécurité de l’Etat».
«L’arrestation du directeur de Radio Mosaique FM , Noureddine Boutar, sans mandat d’arrêt ni raison officielle, son interrogatoire qui a porté sur ses choix éditoriaux, est tout aussi inacceptable que tristement révélateur de la répression qui s’abat sur la presse en Tunisie», a déploré l’ONG Reporters sans Frontières (RSF).
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La semaine dernière, plus de 65 ONG, partis politiques et personnalités en Tunisie ont exprimé leur «soutien total» à la centrale syndicale UGTT, après l’interpellation d’un de ses responsables dans la foulée d’un discours du président Saied dénonçant une instrumentalisation du droit de grève «à des fins politiques».
L’UGTT fait partie de quatre organisations ayant lancé fin janvier «une initiative pour sauver le pays» de sa crise.
La puissante centrale, qui avait accordé à Saied le bénéfice du doute après son coup de force, ne cesse de hausser le ton au moment où le gouvernement négocie avec le FMI un prêt d’environ 2 milliards de dollars en échange de réformes difficiles comme la levée des subventions étatiques sur certains produits de base.