L’enquête, menée auprès de 256 jeunes leaders issus de 49 pays africains, éclaire sur le fossé qui persiste entre les engagements politiques et leur mise en œuvre réelle. L’une des conclusions est que près de la moitié des jeunes interrogés n’étaient même pas au courant du 6ᵉ Sommet UA–UE de 2022 à Bruxelles. Seuls 15% déclaraient en connaître précisément les engagements du programme Global Gateway, malgré l’importance stratégique de ce cadre d’investissement évalué à 150 milliards d’euros pour l’Afrique. Ce déficit de communication, dans un continent où plus de 60% de la population a moins de 25 ans, interroge la capacité des partenaires à construire une relation réellement inclusive.
Parmi ceux qui connaissaient le sommet précédent, le jugement est sévère. Les jeunes parlent d’une exécution «lente», d’une transparence insuffisante et d’un manque d’appropriation africaine dans la définition comme dans la conduite des projets. Plusieurs témoignages contenus dans le rapport décrivent une dynamique où «la qualité de la mise en œuvre est en deçà des ambitions», malgré l’amorce de certains investissements productifs et de projets dans les énergies renouvelables, le numérique ou les infrastructures.
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De nombreux jeunes leaders regrettent que les avancées restent fragmentées et que beaucoup de projets demeurent «au stade préliminaire», malgré les annonces financières massives. Ils soulignent également que les rapports disponibles proviennent essentiellement de l’UE, appelant à une «responsabilité partagée» dans l’évaluation de Global Gateway. Le manque d’impact concret sur l’emploi, la transformation numérique, l’industrialisation verte ou la création de valeur locale constitue l’une des critiques les plus récurrentes.
À cela s’ajoutent les tensions géopolitiques qui ont détourné une partie de l’attention politique européenne, affaiblie les volumes d’aide et réduit la prévisibilité des engagements. Pour les jeunes interrogés, l’Afrique demeure trop dépendante de cycles politiques européens externes à ses priorités, ce qui fragilise la confiance dans le partenariat.
Ce rapport exprime un sentiment clair du fait que le partenariat UA–UE arrive à un moment charnière. Les jeunes interrogés attendent du sommet de Luanda un basculement vers la co-construction, la copropriété et la responsabilité mutuelle. L’heure n’est plus aux déclarations, affirment-ils, mais aux actions «communes, mesurables et transparentes».
L’une des priorités phares exprimées par le NGN est la nécessité de rompre avec les logiques verticales héritées du passé. Le modèle du «donateur-bénéficiaire», encore trop prégnant selon plusieurs réponses, doit s’effacer pour laisser place à un partenariat «de continent à continent», fondé sur l’égalité de voix, la respectabilité des engagements et la reconnaissance de l’Afrique comme acteur stratégique, notamment dans le G20, les chaînes d’approvisionnement mondiales ou la gouvernance climatique.
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Les jeunes insistent sur le rôle décisif d’un leadership africain renforcé, capable de définir ses priorités et d’en assurer le suivi. Ils réclament aussi l’intégration systématique des jeunes, de la société civile et du secteur privé africain dans les mécanismes de mise en œuvre. Cette exigence traduit une volonté de sortir d’une relation dominée par les gouvernements et de bâtir des alliances plus larges, plus inclusives et plus représentatives.
Lorsqu’ils dressent la liste de leurs attentes pour le sommet, les jeunes interrogés convergent autour d’un ensemble clair de priorités. D’abord, l’emploi et le développement des compétences, condition d’une croissance durable dans un continent où plus de 10 millions de jeunes arrivent chaque année sur le marché du travail. À ce titre, la transformation industrielle et le passage d’une économie centrée sur les exportations de matières premières vers la production à forte valeur ajoutée sont perçus comme essentiels.
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L’accès abordable à l’énergie, la connectivité numérique et les investissements dans les infrastructures vertes sont également placés au cœur des attentes. Ces choix reflètent l’urgence de moderniser les économies africaines, d’accroître leur compétitivité et de renforcer leur résilience face aux chocs climatiques et géopolitiques.
L’accélération de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) constitue une autre priorité centrale. Les jeunes appellent à des investissements qui facilitent les échanges intra-africains, réduisent les coûts logistiques et intègrent davantage les économies régionales. Ils demandent également une réforme du financement du développement, un meilleur accès au capital et un mécanisme plus robuste de restructuration de la dette.
Cependant, la paix, la sécurité, la lutte contre la corruption et l’amélioration de la redevabilité des dirigeants africains apparaissent comme des conditions non négociables. Pour nombre de répondants, il ne peut y avoir de développement économique ou industriel sans institutions solides, ni sans confiance entre citoyens et gouvernants.
L’évaluation générale de la relation Afrique–Europe reste marquée par une ambivalence persistante. Les jeunes reconnaissent des avancées dans les domaines de la paix, de l’éducation, de la santé ou du climat. Mais ils dénoncent aussi des dynamiques de pouvoir asymétriques, des engagements non tenus, une faible mobilité, un transfert technologique insuffisant et une trop forte focalisation européenne sur la gestion migratoire au détriment des enjeux économiques et structurels.
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Plusieurs voix vont plus loin, estimant que la relation demeure «exploitante», ou que l’Europe tire plus de bénéfices qu’elle n’en apporte. D’autres rappellent qu’un nombre croissant d’Africains aspirent à une relation «juste et équilibrée», dénuée d’influences politiques excessives. De même, l’idée que l’Afrique doit d’abord agir sur sa propre gouvernance, sa transparence et son unité pour bénéficier d’un partenariat plus solide apparaît comme un point de consensus.
Au moment où les dirigeants se réunissent à Luanda, les conclusions de cette enquête constituent un signal sans ambiguïté. La jeunesse africaine, qui représente plus de la moitié de la population du continent, attend un partenariat ancré dans l’action, la clarté, la responsabilité partagée et la création de valeur locale. Leur message est d’autant plus important que l’Afrique devient un acteur stratégique dans les chaînes de valeur mondiales, la transition énergétique, la sécurité alimentaire et les équilibres géopolitiques.
Luanda devra donc démontrer que l’Europe considère enfin l’Afrique comme un partenaire à part entière, et non comme une périphérie en quête d’assistance. Le sommet sera également l’occasion de réinvestir la dynamique du Global Gateway et d’en revoir les mécanismes de suivi, afin que les projets ne restent pas cantonnés aux phases préparatoires et qu’ils produisent un impact réel sur l’emploi, la digitalisation, l’énergie ou les infrastructures.
Pour les jeunes interrogés, le partenariat UA–UE ne pourra être transformateur que s’il repose sur le respect mutuel, la transparence et des objectifs à long terme partagés. Autrement dit, seule une relation équilibrée, inclusive et fondée sur l’action pourra offrir aux deux continents l’élan nécessaire dans un monde en recomposition.




